lundi 4 février 2013

Bibliothèques #5

Je ne fais pas la différence entre le corps de nos bibliothèques et mon corps physique. Foutoir partout des viscères. La gangrène des livres comme le pourrissement de la peau. Tout à jeter.
 
Je me souviens, j'avais dix-sept ans, fiévreux déjà, tous mes livres étaient passés par la fenêtre. La boue des ornières les avait recueillis. Vaine révolte. 
 
Aujourd'hui résigné, vaincu par tous les moisissures mais serein, je m'empare d'un chiffon électrostatique et d'un vaporisateur dont le détergent se pare de lavande. J'époussette. Je frotte. Je sépare les bonnes cellules des mauvaises. Je reconstitue les corps éparpillés qui se rebiffent. 
 
J'impose à Pierre Sansot le voisinage de Deleuze alors qu'ils ne se sont jamais parlé. Pensez donc ! Un gitan et un aristocrate ! Mais voilà qu'un poète arrive surgi d'entre deux polars médiévaux, talonné par Les nouveaux chiens de garde d'Halimi.
 
Je renonce. Je regarde sur le plancher tous les déchets que la bibliothèque a produits depuis dix ans que nous sommes là, dans cette maison qui craque : vase soliflore, hibou de terre cuite, portemanteau, billes, petits carnets demeurés blancs, capuchons de stylo, cure-dents, prise femelle, coupons de soie ou de satin, broche à un euro, post-it, fêve de l'épiphanie, images de dragonballZ, cordon de téléphone, mini cadre pour mini photo...
 
Tout jeter. Il y a encore de la place dans la poubelle. Y mettre aussi cet essai trapu sur Simone de Beauvoir, que je n'ai pas lu, que je n'y lirai jamais. Y glisser aussi ce Coelho, qu'est-ce qu'il fout là, lui c'est sûr il va y passer, et puis et puis.
 
En tassant bien de toutes mes forces, il restera une petite place pour moi.

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