dimanche 21 juillet 2013

Petit conte pour l'été, 1

 Juillet 2116. Dix heures du matin. Le soleil brille dans le ciel bleu. Depuis une vingtaine d'années, le soleil brille tous les jours partout sur la terre. L'humanité, enfin, a réussi à maîtriser le temps qu'il fait. Les ordinateurs de la Weather&Health exécutent leur partition météorologique sans fausse note. Le calibrage des pluies et des vents, l'équilibre entre le froid et le chaud, la mesure des bleus célestes piquetés de blanc maintiennent au plus haut le bonheur des populations.
Un indice de bonheur élevé est le garant de la bonne marche des affaires du monde, dans les chambres à coucher comme dans les chambres de commerce. Les militants du parti des Béatitudes, sourire jusqu'au bout des doigts qui grattent l'oud et le sitar, plus sautillants que des cabris sur un semis de pervenches, répandent du matin au soir leurs promesses d'un ici-bas meilleur.

Bercé par la brise des ionisateurs suspendus dans les palmiers, j'arpente, légèrement rêveur, la plage de Bordeaux.  Je lève les yeux vers le fil de l'horizon. Je pense au temps lointain où la ville n'était pas côtière, au paysage qu'il fallait traverser pour aller se baigner dans l'océan. Je retiens un soupir. Les robots nettoyeurs qui purifient le sable avant la ruée des touristes pourraient l'entendre.

Je bois le dernier cocktail cellulaire à la mode. J'ai choisi le plus fort, celui dosé à cent mille nano implants avec sélection aléatoire du goût. Des saveurs de pêche et de goyave succèdent à des délices de poire et de kiwi. Mes papilles se dilatent comme des spores. Une douce fraîcheur m'envahit. Sur la rambla, les voitures et le tramway aérien tintinnabulent. Leur musique n'est jamais la même.  Les ordinateurs de la Weather&Health sont aussi des artistes.

Vous vous souvenez, mademoiselle, du temps où il y avait des embouteillages ? La serveuse m'offre son plus parfait sourire et continue de vaquer entre les tables de la terrasse. Non, bien sûr, vous êtes trop jeune. Vous n'avez pas connu le monde ancien. Nous ne sommes plus très nombreux à l'avoir connu. Je finis mon verre sans avoir obtenu de réponse. Parler d'autrefois ne fait pas partie des conversations courantes. C'est même déconseillé.

Les adeptes des bains de mer matinaux font sagement la queue devant le portique qui délivre l'accès à la plage. Dès qu'une lumière rouge clignote, un robot soigneur s'approche. Un examen complémentaire est nécessaire. La température de l'eau est certes garantie à vingt-cinq degrés jusqu'à cent mètres du rivage mais la technologie du chauffage marin n'est pas encore totalement sûre. Il y a eu un accident l'an dernier. Il ne faudrait pas qu'il y en ait un autre.

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