dimanche 6 septembre 2015

Arbour Zena

Je n'ai pas écouté de musique depuis au moins dix ans. Je veux dire vraiment écouté. Alors Arbour Zena en faisant les vitres. Puis je pose le chiffon statique le liquide vitres 4 en 1 et je m'assois, oui, je m'assois et j'écoute ce disque de 1976 par Keith Jarrett accompagné de Jan Garbarek au sax (tenor et soprano) et de Charlie Haden à la basse. Le jazz ECM. Que j'ai découvert à cette époque-là, des 70 finissants, des 80 commençants. On s'asseyait, oui, on s'asseyait, on fumait ou pas un pétard, et on écoutait. Un disque entier avant de parler. Parfois un hochement de tête suffisait. Alors, voilà qu'à 60 ans, j'ai envie de redécouvrir tout ça, les Corea, Rava, Vitous, la génération d'après Coltrane et Dolphy. Le pétard en moins, je suis trop vieux depuis longtemps. Une musique classique en somme. Mais je n'ai fait qu'une porte. 18 carreaux sans oublier les coins à angle droit là où résiste l'opacité. A propos d'opacité je passe à l'actu. L'émotion suscitée par l'image du petit Aylan mort sur une plage turque. Une image visible, très visible, trop ? Evidemment, comme beaucoup, j'ai été touché. Un gosse c'est un gosse et on le voit, celui-ci, mort sur la plage, même si la photo a été retouchée pour rester "présentable". En revanche, ce que je n'ai pas vu, et ne veux pas voir, me hante. Les 71 cadavres dans le camion. J'y pense tous les jours. Avec effroi et colère. Penser que des hommes et des femmes, je dis bien des hommes et des femmes, ont fait ça... Je les flinguerais bien de ma propre main. Mais bon ! shocking ! Je retourne à mes vitres. Arbour Zena touche à sa fin. Le silence prendra le relais de la musique. La musique. The most beautiful sound next to silence. C'était écrit sur les pochettes d'ECM quand il y avait encore des pochettes et des disques dont le son n'était pas écrasé par la numérisation. Un deux un deux ! C'était hier, une époque opaque mais pas épique. On croyait qu'on aurait un avenir et on l'a eu. Petit mais on l'a eu. Demain, je ne sais pas. Je ne crois pas. Finalement, le vrai sujet de mon papier n'est pas la musique mais l'opacité. On voit tellement plus de choses à travers une fenêtre fermée, disait Baudelaire. Ben oui ! L'imagination ! Le jour où il n'y aura plus du tout d'opacité il n'y aura plus du tout d'imagination. Et même les mots, qui n'ont rien à voir avec les images, se mettront à tituber. Avant de crever.

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