lundi 27 mai 2019

Conversations 1 et 2


Conversation 1
Résultat de recherche d'images pour "épicure"-         Elles sont marrantes ces trottinettes électriques, finalement.
-         Pourquoi finalement ?
-         Une impression d’irréalité peut-être. Je ne suis pas certain qu’elles existent vraiment. Ca m’amuse.
-         Hum ! Comment des objets constitués de matière pourraient-ils être à la fois réels et irréels ? Si encore les trottinettes étaient gazeuses comme il y a des planètes gazeuses, je comprendrais, mais là…
-         Tu as raison. Cependant…
-         Cependant quoi ?
-         C’est tout un ensemble. Le sentiment d’irréalité que j’éprouve en regardant les trottinettes s’étend à ce qu’il y a autour. Les trottoirs sur lesquels elles roulent ne sont plus exactement les mêmes. Les murs qu’elles longent non plus. Quant aux gens qui se déplacent avec ces drôles de machines, avec leur casque et leurs écouteurs…
-         Simple question d’habitude. Pense à nos ancêtres quand ils ont vu une automobile pour la première fois. Les progrès mécaniques surprennent toujours la banalité puis on s’y fait.
-         Les trottinettes, c’est autre chose.
-         Autre chose ? Te voilà bien flou.
-         Oui. Flou. Forcément flou. Comme une image oubliée qui revient peu à peu à la conscience. Je doute qu’elle soit vraiment vraie. Je ne suis plus sûr de savoir ce que je sais.
-         Ah ! Je crois deviner. Tu penses aux enfants d’autrefois qui faisaient des courses de trottinette en riant. Une illustration de l’insouciance, du bonheur, même. C’est bien ça ?
-         Un peu, oui. Et je me dis que cette résurgence du passé colle mal avec le présent. Le présent prétendu moderne et qui incarnerait déjà le futur. En fait, je me demande si notre civilisation ne retombe pas en enfance. C’est mauvais signe.
-         Et si tu considérais que ces trottinettes sont seulement un moyen pratique pour se déplacer en ville, écologique en plus ? Tu ne te mettrais pas la cervelle au court-bouillon.
-         Certes. Mais, encore une fois, c’est tout un ensemble qu’il faut observer. Et il m’inquiète autant qu’il m’amuse. Pense aux chargeurs de trottinettes la nuit. A ce qui se passe dans leur tête.
-         C’est juste un nouveau job. Pas plus con qu’un autre. Idéal pour un étudiant.
-         Je ne peux pas m’empêcher de le trouver absurde. Un jour, on apprendra que deux chargeurs de trottinettes se sont battus à mort parce qu’ils convoitaient le même engin. Et ce sera absurde oui, totalement absurde.
-         Tu vois tout en noir. Tu pourrais aussi bien imaginer qu’un chargeur de trottinettes rencontrera une chargeuse de trottinettes et qu’ils tomberont amoureux. Ca serait marrant.
-         Et ils feront beaucoup d’enfants qui à leur tour deviendront chargeurs. Des générations de chargeurs comme il y a eu des générations de mineurs. Et le soir au coin du feu, quand ils seront vieux…
-         Aïe ! Te voilà cynique maintenant !
-         Pourquoi pas ? C’est une posture qui en vaut une autre. Une posture de chien*.
-         Ah ?
-         Oui. Ah !

*On dit que Diogène l’irrévérencieux souhaitait être enterré comme un chien.


Conversation 2

-         En fait, les drones, c’est un peu comme les trottinettes. Retour inconscient à l’enfance.
-         Tu forces le trait. Un drone qui livre un rein à un hôpital de Baltimore* n’a rien à voir avec l’enfance. C’est juste un outil.
-         Tous les outils ont une fonction dans l’imaginaire collectif. On en a même vus sur des drapeaux rouges…
-         Je suis bien d’accord mais on peut aussi décréter qu’on  ne s’intéressera qu’à leur fonction utilitaire afin qu’ils adhèrent mieux à la banalité que tu estimes menacée.
-         Je dirais plutôt dérangée.
-         La banalité peut être dérangée par toutes sortes de choses. Si une tuile tombe du toit sur la terrasse depuis laquelle tu regardes ton paysage tous les matins, par exemple.
-         Dans les deux cas, il s’agit d’une irruption qui perturbe la conscience floue. Une conscience floue pleinement voulue. Pour garder une vraie emprise sur le réel.
-         Une vraie emprise via le flou ? Je ne suis pas sûr de comprendre. C’est paradoxal.
-         Non. Le réel est souvent plus flou que précis. Les peintres impressionnistes l’ont bien compris.
-         Hum ! La lumière n’est pas la seule composante du visible. Et quand bien même ! Le flou sera mieux saisi par une conscience claire. Qui saura désigner les zones d’effacement.
-         C’est vrai. Mais nous ne regardons pas les choses comme si nos yeux étaient des microscopes. De même, nous ne percevons pas les durées avec une rigueur horlogère. Et nous ne le voulons pas !
-         Ah ! Encore la volonté !
Résultat de recherche d'images pour "diogène"-         Absolument. La volonté du banal, de l’ordinaire.
-         Reconnais que la banalité est surtout subie. Pense à tous ces citadins boudinés dans les métros dès sept heures, à toutes ces queues dans les supermarchés le samedi. Il faudrait qu’on puisse y trouver une profondeur pour qu’elle soit voulue, ta banalité.
-         Mais elle est profonde en soi. Elle ne signifie aucunement une absence de trouble. Sa quiétude n’est pas une ataraxie* mortifère.
-         N’empêche ! Cette primauté du vouloir me chiffonne.
-         Refuser d’être dépossédé de soi exprime une volonté de résistance. Une volonté nécessaire. Il faut vouloir vouloir.
-         Si tu le dis ! Ca devient compliqué. On en reparlera quand les drones commenceront à nous tomber sur la tête.
-         Pour le coup, ce serait vraiment une tuile. Dorénavant je porterai un casque. Comme les rouleurs à trottinette. Telle est ma volonté.

*Le 19 avril 2019, livraison effectuée en une dizaine de minutes
*Epicure notamment recherchait l’absence de trouble de l’ataraxie.



image 1, Epicure, france-culture.fr
image 2, Diogène de Sinope, babelio.com






















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