mercredi 9 octobre 2019

De la croyance et du singe qui ne rit pas





Résultat de recherche d'images pour "singe"La croyance, religieuse ou non, fait partie de l’homme de sa naissance jusqu’à sa mort. Elle le constitue dans toutes les dimensions du sujet. Cette assertion de la pensée commune est elle-même une croyance car, dans le langage et les situations ordinaires, croire et penser sont des synonymes proches.
Dans la mesure où elle est tenue pour vraie, elle intègre sans qu’il y paraisse le champ du savoir dont elle écarte souvent toute possibilité de doute. Dans de trop nombreux cas, elle peut déboucher sur une forme de totalitarisme. Lequel, la chose est connue, prend notamment sa source dans la langue incantatoire des religions du Livre et dissémine ses sentences dans tous les domaines de l’activité humaine : arts, sciences, politique, économie, droit, mœurs, traditions. Religieuse aussi à sa façon de promettre un avenir radieux, la croyance en la doctrine communiste, dévoyée par des potentats sanguinaires et leurs appareils, a également beaucoup sévi sur tous les continents, vidant les esprits et remplissant les cimetières.
Notre vingt et unième siècle, ce bateau ivre de promesses et de chimères profanes autant que mystiques, réunit dans un syncrétisme inquiétant les croyances les plus ancestrales et les croyances les plus technologiques. Aujourd’hui, par exemple, on peut croire sans sourciller que les clones du futur seront victimes d’envoûtements et commettront des assassinats. Ou que les extraterrestres oeuvrent pour que le ciel nous tombe sur la tête. D’autant plus que la Terre est plate, n’en déplaise aux astronautes dont les images d’une planète bleue toute ronde sont des faux grossiers.
Ce sont là, bien sûr, des cas extrêmes. Les illuminés qui croient qu’un jour le ciel se décrochera de l’azur comme un plafond vermoulu entraînant du même coup la chute de Dieu dans la boue, ne sont que quelques cohortes isolées sans capacité de nuire vraiment. Mais, en matière de croyance totalitaire, le pire est toujours certain. L’histoire récente des terrorismes islamistes le prouve cruellement. Les tueries des suprématistes blancs aux Etats-Unis aussi.
L’actuelle falsification des images et l’immédiateté de leur publication, à la portée de tout un chacun sur un téléphone portable, renforce les dérives mortifères de tous les fanatismes. Dans la Grèce antique, la création d’un mythe et sa propagation dans l’opinion publique prenaient plusieurs décennies voire plusieurs siècles. De nos jours, les rumeurs les plus folles auxquelles on croit dur comme fer s’installent dans les esprits en vingt-quatre heures via les réseaux sociaux. Une telle vitesse laisse peu de temps à la pensée pour qu’elle se dessaisisse de la croyance, d’autant qu’une rumeur en chasse une autre tambour battant tout le long des jours.
Mais venons-en à notre singe qui ne rit pas. Avec ces propos tenus lors d’une soirée festive par un homme d’une cinquantaine d’années, sobre et calme, au verbe clair. Il dit : « on nous ment comme on nous a toujours menti. La théorie de Darwin est fausse. Nous ne descendons pas du singe. C’est impossible. Nous ne sommes pas des animaux. » Et il fait l’éloge de la suprématie de l’homme dans l’univers. Ses interlocuteurs l’écoutent. Ne lui opposent aucun argument. Ne lui demandent même pas qui est le « on » qui nous mentirait et pourquoi. Ils sont sidérés, voire fascinés par la croyance absolue de l’individu qui ne fait plus confiance à la science. Il n’a, du reste, pas lu la moindre ligne de Darwin, qu’il a choisi d’ignorer.
Cette question de la confiance, (dans les systèmes économiques, politiques, sociaux et les corps constitués qui les représentent) s’inscrit dans un rapport inversement proportionnel à celle de la croyance. Moins on a confiance et plus on croit. On nous ment, répète le quidam qui n’imagine pas qu’un singe puisse rire puisque le rire est le propre de l’homme.
Et le mensonge est si général que s’impose une croyance générale, qui fait genre, qui devient réalité de substitution. Cette réalité de substitution n’est cependant pas universelle. Elle varie selon que l’on est sachant présumé ou ignorant présumé. Cramponné à ses statistiques comme l’anatife à son rocher, l’économiste libéral croyant est convaincu de détenir le vrai à la centimale près et que cette vérité doit régir toute vie dans la Cité. Cramponnée à son éprouvé, la ménagère qui a du mal à joindre les deux bouts de son portemonnaie est totalement sûre que tout augmente dans les magasins et que les chiffres du pouvoir d’achat sont trafiqués. La confiance perdue devient défiance si les tensions sociales s’exacerbent. Et va même jusqu’au soupçon d’autrui. L’anathème alors n’est jamais loin, les croyances ataviques étant aussi intransigeantes que les croyances religieuses.
Heureusement, tous les croyants ne sont pas des enragés du prosélytisme. Ils sont nombreux à accepter que le singe puisse rire tant que le contraire n’a pas été prouvé. Et leurs croyances sont le plus souvent inoffensives. Les patients qui consultent un spécialiste de la réflexologie plantaire ou un ostéopathe qui pratique la désengrammation admettent volontiers que leur démarche intrigue leur entourage. Les rêveurs qui, sans être mystiques, considèrent qu’une partie d’eux-mêmes leur survivra sous la forme d’une énergie volatile sont des poètes qu’on peut aimer écouter. Leur croyance est séduisante, enjolive le quotidien quand il est trop gris et les enjolive eux-mêmes d’un petit grain de folie assumé voire revendiqué.
Enfin, et peut-être aurait-il fallu commencer par-là, la croyance que l’avenir peut être révélé afin d’en infléchir le cours reste d’autant plus ancrée y compris dans les esprits dits rationnels que nos civilisations technologiques subissent une accélération sans précédent. Personne ne lit plus dans les entrailles des oiseaux mais la consultation de l’horoscope est un usage encore largement partagé. Les séances de voyance à distance procurent aux charlatans de tout acabit des subsides confortables.
L’engouement pour les sites de météo sur internet n’est évidemment pas de même nature puisque le temps qu’il fera ne peut être modifié par aucune action humaine. Cependant, avec des prévisions à quinze jours, ces sites transforment la science en croyance. Les météorologues ont beau répéter qu’ils ne savent pas prévoir au-delà de quatre cinq jours s’il pleuvra, ces nouveaux dévots gardent le pouce collé à leur écran, oubliant même de regarder le ciel pour deviner si le soleil brillera.
Notre singe qui ne rit pas est peut-être plus sage. Son intelligence est-elle perméable à la croyance ? Si oui, dépasse-t-elle le stade pratique pour y accéder ? Auquel cas, rit-il d’autant moins que le grand Tout lui échappe comme il continue d’échapper à l’homme ?
Mais c’est encore et toujours une autre histoire, tout en étant la même, que vous allez entendre.





Conversation pâtissière

-         En fait, si j’ai bien compris, l’inventaire des croyances est plus épais qu’un millefeuille.
-         La métaphore pâtissière me convient. De la pâte et de la crème. La pâte de la profondeur imprègne la crème de la surface et inversement. C’est le syncrétisme. Et pour rester dans la métaphore, je dirais que c’est un syncrétisme à prise rapide. Comme le béton du même nom.
-         Et on en est prisonnier si on y trempe le doigt ?
-         Oui. Les anciennes mythologies ont mis des siècles à s’imposer à la pensée commune. Elles ont été fondatrices de quelque chose d’indéfini dans l’humain pour son interprétation du monde. Elles ont généré des récits et inspiré la psychanalyse par exemple. A côté d’elles, les mythologies technologiques contemporaines sont des produits jetables. Je ne sais pas comment elles pourront, sans durée, fonder quoi que ce soit. Elles emprisonnent plus qu’elles ne libèrent.
-         Il en restera bien quelque chose. Parions que Neil Armstrong accédera au statut de héros mythologique. De même pour le premier homme qui marchera sur Mars.
-         Peut-être. A la condition que l’oubli puisse accomplir son œuvre.
-         Comment ça ?
-         L’oubli permet de recomposer des récits à partir de souvenirs résiduels. Mais est-il encore seulement possible quand toute trace numérique est conservée par les big data ? Et il faudra compter avec l’avalanche des croyances crépusculaires engendrées par le soupçon global.
-         Le millefeuille sera indigeste.
-         Et le béton armé.
-         Ce qui ne fera pas rire ton singe !
-         Je m’inquiète pour lui en effet. Il est déjà victime des croyances dans l’économie quand on détruit ses forêts.
-         Quelles croyances dans l’économie ?
-         Celle de la croissance perpétuelle. Elle a déjà beaucoup tué. Elle continue. Des peuplades au Brésil sont menacées sous le règne mortifère de Bolsonaro. La France s’apprête à défigurer la forêt guyanaise pour quelques pépites. Alors, oui, mon singe pleure. Peut-être croit-il que le ciel va lui tomber sur la tête.
-         Euh ! La fièvre de la jungle te fait perdre la raison, non ?
-         Qui sait ? La pensée du singe est suffisamment élaborée pour engendrer des émotions complexes. Pourquoi pas des croyances ! D’autant que celle du ciel qui tombe sur la tête est l’une des plus archaïques. D’ailleurs, elle persiste chez les hommes. Il y a même une association du même nom*.
-         Des hurluberlus.
-         Oui. Mais possédés par la pensée totalitaire conspirationniste. Prêts à glisser dans la banalité du mal. Parfois sans s’en apercevoir.
-         Change de lunettes ! Tu vois tout en noir.
-         Tu as raison. Il y a aussi le gris. Le gris du béton.


*L’association Le ciel nous tombe sur la tête dénonce des épandages aériens de produits chimiques dont le but serait de modifier le climat. Lesquels sont démentis par toute la communauté scientifique mondiale.







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