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mercredi 24 juillet 2013

Un petit conte pour l'été, 3

Lorsque la Weather&Health a étendu son filet de protection sur l'humanité en 2058, quelques quarterons de centenaires, philosophes oubliés, poètes atrabilaires, ont lancé un appel à l'insurrection. Le parti des Béatitudes, qui disposait déjà d'un étroit maillage de militants ainsi que de puissants relais médiatiques, a eu tôt fait de mouiller le pétard de la révolte.

Le réseau de géo localisation m'annonce que je ne peux pas tourner à gauche et projette sur un holécran la direction à suivre. J'admets volontiers que ma mémoire me lâche de temps en temps mais je suis sûr qu'il y avait une rue à gauche. J'en revois le tracé hésitant entre des immeubles mal alignés. On l'aura condamnée. Je m'arrête un instant. Je cherche sur le mur les marques d'un bouchage au ciment. Qui conforterait mon souvenir. Il n'y a rien. Je me suis trompé de quartier peut-être. J'obéis aux indications de l'holécran. Comme tout le monde.

Je vais jusqu'à la place des Béatitudes où l'on donne un spectacle de cloud movies. Une attraction nouvelle qui fait fureur. Les images sont sculptées dans la matière des nuages. Cerclées par un laser iridescent, elles offrent aux badauds ébahis une infinité de couleurs changeantes. D'immenses oiseaux muets vont ainsi de ramure en ramure, construisent des nids qui sont des châteaux où éclosent au ralenti des oeufs tout rebondis. Les applaudissements crépitent. La liesse pétille dans les yeux. Je m'éloigne discrètement.

J'éprouve soudain l'urgence de rentrer. Quelque chose ne tourne pas rond. Ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai ce pressentiment. Je passe, indifférent, devant d'autres ribambelles adolescentes qui se tortillent et se déhanchent sur de la musique infra sonore. Le tramway aérien arrive. Il est midi. Vite. Retrouver chez moi un vieux plan de la ville. Il date des années deux mille vingt. Rue Mauriac. Oui, c'est ça. Il est impossible qu'elle ait disparu.

Je fais tout le trajet avec cette idée de disparition qui me taraude. Si les rues disparaissent, les corps aussi le peuvent. Un matin, je me lèverai et je ne verrai plus mes bras. Auront-ils vraiment disparu ou seront-ils seulement devenus invisibles ? La rue Mauriac n'a pas été rayée de la carte mais on ne peut plus la voir. Il y a une raison à cela, qui m'échappe.


Demain, à la première heure du jour, quand ni les passants ni les robots ne sont trop nombreux à battre le pavé, je retournerai à Saint-Pierre. Le mystère ne me résistera pas.

lundi 22 juillet 2013

Petit conte pour l'été, 2

Le cocktail cellulaire me fait du bien. Mon corps se délie au mieux dans la marche et j'ai le moral au beau fixe. La moitié des cent mille nano implants sont dévolus au check up du cerveau. Les neurotransmetteurs revivifiés préviennent ainsi les moindres chutes de régime. Les maladies mentales, comme les autres, ont disparu. Les hôpitaux ont été transformés en centres de loisirs thématiques et le public est nombreux à s'y rendre.

Je m'enfonce dans ce qu'on appelait jadis le vieux Bordeaux. Je croise des militants du parti des Béatitudes qui vont bras dessus bras dessous en chantant. Des gens à leur fenêtre leur adressent des signes amicaux. Je souris. J'esquisse moi aussi un signe. Mais voilà que ma jambe droite glisse sur le pavé. j'étouffe un cri dans ma main. Un militant aussitôt accourt, me demande si je ne suis pas blessé. Je lui assure que non. Je suppose qu'un capteur du pavage rétractile de la rue est défectueux. Je souris encore. Le militant appelle un robot réparateur.

Des adolescents jouent avec leurs holocats autour de la fontaine Steve Jobs. Un concerts de miaulements se mêle aux piailleries juvéniles. Le pelage des animaux scintille sous le soleil. La mode des holocats durera-t-elle autant que celle des holodogs ? Alors que des holobirds sont annoncés pour l'an prochain ? Qu'importe ! En 2116, l'adolescence est un âge heureux, comme tous les âges de l'existence humaine, et c'est ainsi que le monde exulte.

La réalité radieuse, si bien organisée soit-elle par les programmateurs de la Weather&Health, montre depuis quelque temps de menus signes de faiblesse. Un homme, qui proférait des paroles aussi crépusculaires que décousues, a été arrêté sur la Cinquième avenue à New York. Trois cas de suicide ont été identifiés à Berlin et, à Paris, une jeune femme est morte en pleine rue. Le World Report a consacré une dizaine de secondes à chacun de ces faits divers. L'Indice de Bonheur Universel a chuté de cinq centièmes. Cela ne s'était jamais vu.

Je continue ma promenade dans les entrailles de l'ancienne ville. Onze heures sonnent au clocher de l'église Saint-Pierre. Les robots architectes qui en ont construit la réplique n'ont négligé aucun détail. Un graffiti amoureux des années 1960 a même été conservé. L'amour, ce tourment obsolète qui enténébrait les coeurs, voire les poussait au crime, ne cède plus de nos jours au dérèglement des sens. Le poison de la jalousie reste sous le contrôle des cocktails cellulaires et personne ne s'en plaint.


dimanche 21 juillet 2013

Petit conte pour l'été, 1

 Juillet 2116. Dix heures du matin. Le soleil brille dans le ciel bleu. Depuis une vingtaine d'années, le soleil brille tous les jours partout sur la terre. L'humanité, enfin, a réussi à maîtriser le temps qu'il fait. Les ordinateurs de la Weather&Health exécutent leur partition météorologique sans fausse note. Le calibrage des pluies et des vents, l'équilibre entre le froid et le chaud, la mesure des bleus célestes piquetés de blanc maintiennent au plus haut le bonheur des populations.
Un indice de bonheur élevé est le garant de la bonne marche des affaires du monde, dans les chambres à coucher comme dans les chambres de commerce. Les militants du parti des Béatitudes, sourire jusqu'au bout des doigts qui grattent l'oud et le sitar, plus sautillants que des cabris sur un semis de pervenches, répandent du matin au soir leurs promesses d'un ici-bas meilleur.

Bercé par la brise des ionisateurs suspendus dans les palmiers, j'arpente, légèrement rêveur, la plage de Bordeaux.  Je lève les yeux vers le fil de l'horizon. Je pense au temps lointain où la ville n'était pas côtière, au paysage qu'il fallait traverser pour aller se baigner dans l'océan. Je retiens un soupir. Les robots nettoyeurs qui purifient le sable avant la ruée des touristes pourraient l'entendre.

Je bois le dernier cocktail cellulaire à la mode. J'ai choisi le plus fort, celui dosé à cent mille nano implants avec sélection aléatoire du goût. Des saveurs de pêche et de goyave succèdent à des délices de poire et de kiwi. Mes papilles se dilatent comme des spores. Une douce fraîcheur m'envahit. Sur la rambla, les voitures et le tramway aérien tintinnabulent. Leur musique n'est jamais la même.  Les ordinateurs de la Weather&Health sont aussi des artistes.

Vous vous souvenez, mademoiselle, du temps où il y avait des embouteillages ? La serveuse m'offre son plus parfait sourire et continue de vaquer entre les tables de la terrasse. Non, bien sûr, vous êtes trop jeune. Vous n'avez pas connu le monde ancien. Nous ne sommes plus très nombreux à l'avoir connu. Je finis mon verre sans avoir obtenu de réponse. Parler d'autrefois ne fait pas partie des conversations courantes. C'est même déconseillé.

Les adeptes des bains de mer matinaux font sagement la queue devant le portique qui délivre l'accès à la plage. Dès qu'une lumière rouge clignote, un robot soigneur s'approche. Un examen complémentaire est nécessaire. La température de l'eau est certes garantie à vingt-cinq degrés jusqu'à cent mètres du rivage mais la technologie du chauffage marin n'est pas encore totalement sûre. Il y a eu un accident l'an dernier. Il ne faudrait pas qu'il y en ait un autre.