mardi 17 mars 2015

Vert printemps, Jacques d'Anglejan


Dans le cadre de La Ronde instituée par Dominique Autrou, cette image du désir de la soif par Jacques d'Anglejan du blog un promeneur. Imaginez comment cette vision peut faire chavirer le réel. Vous devez vous retenir à un chambranle et des cercles dansent devant vos yeux. 

vendredi 27 février 2015

Un autre regard dans mon regard

Grâce à Vincent Motard-Avargues, j'écris un nouveau recueil. Il m'a demandé des textes et je les ai aussi continués pour une revue et je les continue là, à moins que ça ne soit eux qui me continuent. Evidemment, je ne mets pas les textes pour Vincent ni ceux pour la revue.

Je pressens un autre regard dans mon regard
Les toitures semblent plus claires
Les cheminées moins penchées
Un rai de lumière sinue entre les tuiles
Comme un tremblement impossible à couturer
Le paysage entier soudain lui appartient
Mon corps défait ce qui le rassemble
Quelle vérité trouver encore dans la veille
Si mes mots mêmes ne battent plus
*
Avoir parfois la tentation du beau
Accorder au rideau qui tremble
L'aloi de la mélancolie
Allumer une étoile dans le grisé du ciel
Qui dessinerait un chemin
Mais tousser soudain renifler hoqueter
Le corps est à l'étroit dans ces apprêts
Les mots sont empêchés
Les étoiles ici ne voient jamais le jour
Le rideau a bu le suint de vieilles graisses
Et pend comme un chiffon
Il fait froid jusque dans les yeux des oiseaux
*
On a connu d'autres fenêtres avec vue sur les toits
Sous des ciels d'étain ou de papier mâché
Je n'ai pas la tentation du souvenir
Mes mots ne sauraient pas y faire
Les traces sont perdues autant qu'elles sont gardées
Et le chemin continue dans les hasards
Où les oublis fécondent les mémoires
Rien de nouveau pour abreuver le poème
D'une fenêtre à l'autre les bordures n'ont plus de lignes
Les oiseaux plus de plis
Tenir comme on a toujours tenu
Improbable
Ma seule puissance

samedi 21 février 2015

Poésie duel perdu

Je me souviens de Baudelaire, humble bien qu'il ait pu tenir la pose du savant, de ses mots sur l'art. Un duel perdu d'avance par l'homme, quoi qu'il fasse.
Je crois qu'il est salutaire de garder cela à l'esprit, pour écrire de la poésie. Trop d'auteurs donnent à lire des vers seulement convenables, qui ne sont pas assez tenus. Une métaphore parfois suffit pour jeter à bas le poème. Un adjectif de trop et c'est la débandade des sens et du sens. 
Je n'ai pas la prétention de livrer ici ma conception de l'art poétique. Mais tout de même ! Prenez, par exemple,  un poème de Thierry Metz ou d'Antoine Emaz. Cherchez, scrutez, traquez sans pitié l'excès de matière ! Réitérez l'expérience avec un tamis encore plus serré. Qu'y reste-t-il ? Rien. Aucun résidu. Le poème tient, c'est tout. Il n'est pas obligatoirement beau, il y a lurette que la poésie s'est affranchie de la beauté, mais il est obligatoirement juste. Le lecteur, toujours, reconnaît cette justesse du poème, qu'il l'éprouve ou non. Mais qu'est-elle donc, pour celui qui écrit dans cette recherche-là ? Bien difficile à dire. Je crois qu'elle se trouve dans la matière même, au moment exact où elle se compose. La question du signifié lui est postérieure, ne serait-ce que d'une seconde. Et de là surgit toute complication. Un poème juste à huit heures quarante ne l'est plus à huit heures cinquante. Il fuit de partout. On a un mal de chien à le rattraper. On le jette ou on le reprend. Mais on ne se trouve pas forcément dans la même tension émotionnelle à huit heures cinquante que dix minutes avant. Une course de vitesse commence entre la matière et la justesse que l'on souhaite retenir. Une course de vitesse ou un duel, c'est pareil. On perd toujours. Essayons alors de nous en tirer au mieux. Avec cette exigence de la traque. 
Enfin, évidemment, j'enfonce la porte ouverte de l'absolue nécessité de la lecture des aînés prestigieux. Croyez-vous un seul instant qu'Apollinaire serait devenu Apollinaire s'il n'avait croisé en chemin Rimbaud et Mallarmé ? Mais attention ! Il ne s'agit pas de les lire comme ci comme ça, dans le presque. Il faut plonger dans leur mer dégelée, clin d'oeil à Kafka, s'emparer de leur hache puis se fendre en deux. Et il vous reste tout ce que la vie voudra bien vous accorder pour tenter de recoller vos morceaux. Un projet poétique qui en vaut un autre, porté par la plus grande des lucidités.

mercredi 11 février 2015

Violaine Ripoll, Le syndrome du caliméro

Violaine Ripoll vient de publier aux éditions Sulliver son premier roman, Le syndrome du caliméro dans la société postmoderne. La conviction s'ancre en moi qu'un écrivain, un vrai, vient de naître. L'histoire est banale, cruellement, mais rien n'est plus difficile en littérature que le rendu de la banalité. En 2009, le personnage principal claque la porte de son conseil d'administration en rêvant de trucider ses collègues aux " cigares tétouillés ". Il se réfugie dans la maison de ses parents, inhabitée depuis leur mort. Les souvenirs sont aussi dépareillés que le décor où " il avait été décidé de laisser vieillir l'usure ". On y tourne sans même savoir que le temps passe, sans même deviner qu'il existe. 
Notre homme rencontre Sami qui subsiste de menus bricolages pour des propriétaires de villas souvent indélicats. Une nouvelle vie commence, qui le mène jusqu'au bassin d'Arcachon transformé en vaste parc de loisirs ultra sécurisé. Une existence en mobil home près de l'autoroute rebaptisée autoway par la modernité financière. Les chantiers sont de plus en plus difficiles sous le contrôle des sbires de Seacity, de plus en plus mal payés. Seule l'amitié permet de supporter la mouise, autour d'un mauvais plat de gargote et d'une bière déjà tiède. Mais les années se mettent à peser. La fatigue et les accidents du travail broient les corps sans qu'on puisse les soigner. En 2064, sonne le glas de la maison de retraite. Une lente, très lente mort va commencer...
Violaine Ripoll signe avec Le syndrome du caliméro dans la société posmoderne un ouvrage de Social Fiction qui dénonce les dérives meurtrières du capitalisme sans visage. Oeuvre de militante ? Certes oui ! Mais pour replacer au centre du monde l'humain et non le profit. L'humain dont Camus disait qu'il y a plus de choses en lui à admirer qu'à mépriser. Il faudra bien, un jour, tenir compte de ces voix qui résistent. Loin de toutes les modes, loin de tous les faux semblants.
Lisez sans tarder ce bref roman dont le style bousculé, heurté, proche souvent de la rupture, marque, je le répète, la naissance d'un écrivain. Les quarante dernières pages, notamment, sont admirables... et suffocantes...( Et rendez visite aux éditions Sulliver sur leur site. )

jeudi 15 janvier 2015

acheminements, par Hélène Verdier


Sur la glaise dans les affleurements coupants du silex et la rondeur des grès je contournais
les flaques. Le ciel était si pesant qu'il ne pouvait espérer de ses eaux nulle image
en miroir, comme un autoportrait. Le ciel était si gris qu'il semblait éclairé de bleu par le
dessous — le soleil à cette heure accélérait sa chute. Je lui tournais le dos, cheminant,
contemplant la bande noire qui disait la vallée. Le sombre abandonnait un semblant de
clarté aux nuages qui formaient en mirage une cordée remontant vers la gauche sur 
l'horizon absent, en silhouettes bouillonnantes. Ou peut-être entendrait-on bientôt venu 
du ciel, le ferraillement d' un train noyé dans ses vapeurs, comme un mirage de l’Orient sur 
la rétine de Flaubert dans le sable et les chaleurs du désert.
Je venais de passer devant un panneau dressé sur une clôture de fer barbelé signalant
la route de la Huchette. Là, dans ce paysage totalement désert se trouvait, dit-on, un
pavillon de rencontre,  celui qui abritait les amours déçues de Madame Bovary, ou pas, 
même si chacun alentour en avait la certitude par l'incroyable force du pouvoir romanesque.
C'était d'ailleurs la raison d'être du panneau qui se découpait dans les nuages d'une si 
vraie couleur normande, inutile, incongru, dans un paysage  où nul ne chemine à l'abri des
chemins creux, fanal pourtant d'une fiction comme un pan du réel en ce lieu.
Poursuivant mon chemin, j’entendais donc le pavillon de la Huchette se faire l'écho de
celui du château voisin du Héron, conjonctions de nuits, celle du bal d'Emma, celles 
de Flaubert enfant lorsqu'il connut en ces lieux ses premières visions.  Être Flaubert, 
être Emma en transfigurations successives. Dans le pavillon du Héron, les fenêtres étaient
garnies de verres de couleur modifiant le monde comme un vitrail métamorphose la lumière
au travers de l’image, avec laquelle il fait corps, et de la couleur dans ses cadres de 
plombs et barlotières. Mais peut-être les verrières du Héron étaient-elles aniconiques ? 
Emma, dans sa solitude, considérait le monde et ses paysages à travers les verres
colorés, expérience d'optique effacée du roman dans l'étrange genèse de l'écriture. 
J'étais loin et cependant si près des nuages roses d'Emma.
L'objectif de l'appareil photographique, de son verre blanc en fenêtre sur le paysage, ne
disait que le vide, quelques formes obscures, la plongée de la nuit, la descente vers la 
vallée. Mais il disait surtout la couleur. Il forçait le regard dans l'abstraction du cadre, le 
délivrant de la pensée pour le livrer à l'abandon, aux signes, aux sensations. La puissance 
du gris sur la palette venait m'envahir, faire monter des images en rupture, en
tressaillements de la mémoire, des lectures et des mots. Presque une extase peut-être,
mais à coup sûr un transport vers d'autres lieux, d'autres moments, d'autres histoires, vers
des présences,  ou des absences dans les pleins et les vides de la perception en alerte.
Je me souvins alors d'une promenade sur ce même chemin, un jour de juillet 2001, un jour
blanc de chaleur, un jour à pique-nique. Le chat tigré de gris nous suivait comme le font 
les chiens, heureux de cette aubaine, attendant le repas dans un champ fauché de frais. 
C'était quelques jours avant qu'il ne perde une patte et qu'il ne préfère la forêt à la 
compagnie des humains. Ce fut aussi pendant le mois d'août de cet été-là que, après les
deuils – pourquoi cette mortelle précipitation de juillet – nous traversâmes la Sibérie, de 
Paris vers Pékin. Dans les nuits blanches de Russie, contemplation sans fin d'un paysage
infini par la fenêtre du train
Auparavant, j'en avais maintes fois rêvé de ce paysage fait de fleuves en embâcles, 
débâcles, méandres, fleuves aux noms que seule peut dire la musique de la langue, 
rêvé en contemplant la terre devant les hublots des avions en route pour le Soleil levant.
Depuis à chaque occasion revient cet été-là, remémoré comme si, à lui seul , il se faisait
vision, tableau et  cadre de jours gravés dans le déferlement d'une incroyable série 
d'événements qui devaient définitivement changer le cours des choses.
Buées, nuées, tête nue, tête à nu dans les nuages. Les nuages comme les fleuves
dessinent des images qu'incise la mémoire dans une chambre obscure.

Je publie ce texte d'Hélène Verdier dans le cadre de La Ronde initiée par Dominique
 Autrou.
Voici les participants de ce jeudi 15 janvier :
Dominique B (Jacques Louvain) http://www.dominique-boudou.blogspot.fr/
chez
Céline (MESESQUISSES) http://www.mesesquisses.over-blog.com/
Jean-Pierre (Voir et le dire, mais comment ?) http://www.voirdit.blog.lemonde.fr/
Jacques (un promeneur) http://www.2yeux.blog.lemonde.fr/
Guy (Emaux et gemmes des mots que j'aime) http://www.wanagramme.blog.lemonde.fr/
Gilbert (le blog graphique) http://www.gilbertpinnalebloggraphique.over-blog.com/
Franck (quotiriens) http://www.quotiriens.blog.lemonde.fr/
Dominique A (la distance au personnage) http://www.dom-a.blogspot.fr/
Elise (Même si) http://www.mmesi.blogspot.fr/
Hélène (simultanées) http://www.simultanees.blogspot.fr/
Dominique B (Jacques Louvain) http://www.dominique-boudou.blogspot.fr/

samedi 10 janvier 2015

Notre jeunesse debout contre la barbarie

Grincheux parfois, désabusé trop souvent, je ne suis pas le dernier à dire que notre jeunesse ne s'intéresse qu'à son monde smartphonisé. Emma, 14 ans, que j'ai eu la chance d'avoir comme élève deux années de suite, m'a adressé le message suivant le jour même de l'attentat contre Charlie Hebdo. L'émotion m'a saisi et je vous offre les mots exemplaires de cette adolescente. 

" Je souhaitais partager avec vous ma désolation face au sang qui a coulé sur notre liberté aujourd'hui. Gardons l'espoir d'un monde humaniste. "

mercredi 17 décembre 2014

Sauver le soldat Erri de Luca

Pierre Mazet, président de l'Escale du livre de Bordeaux, attire notre attention sur les menaces qui veulent bâillonner la voix d' Erri de Luca. L'auteur du [ Poids du papillon ] risque plusieurs années de prison pour son soutien aux opposants au projet de ligne LGV entre Lyon et Turin. Il considère, avec raison, que " sabotage et vandalisme sont licites ". Le percement d'un tunnel de 57 km, dont l'utilité n'est pas avérée, constituera une offense au paysage des vallées traversées et à leurs habitants. Erri de Luca n'incite évidemment pas les résistants à poser des bombes sur les rails. Il n'est nullement un activiste de Lotta continua et rappelle que le verbe " saboter ", pris au sens large, signifie " entraver une action ". Il cite, à l'appui, les grèves qui désorganisent un service, l'obstruction parlementaire par cascades d'amendements, le troufion qui traîne des godillots en renaudant.
Erri de Luca comparaîtra devant la justice à Turin le 28 janvier prochain. Nous espérons que les magistrats n'auront pas une interprétation restrictive du mot " sabotage " et que le grand écrivain italien sortira libre du tribunal. Comme l'écrit Pierre Mazet, " sa condamnation traduirait une terrible atteinte à la liberté de parole et notamment à celle d'un écrivain qui ne fait que s'engager aux côtés d'habitants refusant un projet dangereux pour leur cadre de vie ".
Les pétitions ont certes un pouvoir limité. Je vous invite cependant à signer celles que l'on trouve sur Internet pour sauver le soldat De Luca. Sa liberté de parole est notre liberté de parole. Si on le prive de surcroît de sa liberté de mouvement, nous serons tous, aussi, des prisonniers.








samedi 15 novembre 2014

La feuille porte-feuille ou l'herbier du front, Jean-Pierre Boureux

Capitule doré et collerette d’argent, vous l’avez tous effeuillée la marguerite, un peu, beaucoup, passionnément…
En cette ronde, de date proche du 11 novembre j’ai choisi de mettre en valeur la feuille porte-feuille : celle du soldat à sa belle, sa sœur, sa mère, support de fibres naturelles qui éloigne du front bien qu’issu de ce même front sanglant.
Pouvait-il y avoir plus noble attention, quand la minute présente pouvait être la dernière vécue ? Des milliers de feuilles et fleurs ont ainsi été envoyées aux êtres chers, jointes, collées, dessinées. Parfois le ou la correspondante renvoyait au soldat une carte elle aussi inspirée par la végétation, comme celle de cet enfant à l’occasion du Nouvel An.

En ce 11 novembre 2014 tout à fait conforme à « l’été de la Saint-Martin », saint patron du jour, l’ossuaire du cimetière allemand de Soupir dans l’Aisne offrait aux regards une prairie fleurie. En ce village reposent désormais 22 371 soldats, dont : Allemands (11 089), Français (10 637) et, à quelques centaines de mètres à l’ouest, Italiens (593), au nord, du Commonwealth (52).

La grâce d’une embellie dans le ciel quand le clairon sonna dans ses vives tonalités rapides le « cessez-le feu » tant espéré. Puis le soleil d’hiver, bas sur l’horizon, encombré de vapeurs, jeta tout à coup sur les saules bleus, la prairie, les croix de granite et les pierres de grès roses, des lueurs inattendues, merveilleuses à contempler.


Nous, habitants des champs de bataille, avons plus que d’autres l’insigne privilège de commémorer en pleine conscience du lieu, en pleine réminiscence du total macabre. Si seulement ici l’Histoire évoquée, l’Histoire ressentie, pouvait servir de leçon aux hommes de bonne volonté, alors le monde, par mimétisme prendrait les couleurs fantastiques du jour.

Jean-Pierre Boureux, historien et archéologue, habite sur le Chemin des dames. Sa commémoration revêt évidemment un accent particulier, dans la conscience aiguë des paysages balafrés, des souvenirs fourbis au quotidien. Je l'accueille dans le cadre de La Ronde initiée par Dominique Autrou et dont le thème est ce mois-ci : la feuille. Pour en savoir plus sur Jean-Pierre Boureux, rendez-lui visite sur son blog http://voitdit.blog.lemonde.fr

Vous pouvez aussi lire de moi un bref texte sur la surdité (car je suis dur de la feuille) chez Guy Deflaux amateur de jeux de mots puisque son blog s'appelle Emaux et gemmes des mots que j'aime, wanagramme.blog.lemonde.fr

dimanche 9 novembre 2014

Faire lire, ou pas, les collégiens

Un collège de Bordeaux, assez huppé, propose en son CDI (bibliothèque) un ouvrage de Mandy Hubbard, Prada et préjugés. La première de couverture dégouline de niaiserie avec une photo d'adolescente comme on en trouve dans Elle ou autres torchons. Je lis l'incipit, je butine çà et là des blocs interchangeables.
Affligeant ! Ce n'est pas particulièrement mal écrit, non ! La prose de la dame tourne rondement au kilomètre. Elle pourrait rouler encore des dizaines de tomes en attendant qu'un robot-journaliste prenne le relais. 
Je ne doute pas que les jeunes filles de ce collège, formatées à la télé réalité et aux épanchements sur les réseaux sociaux prennent du plaisir à cette lecture. 
Mais je suis scandalisé qu'un établissement scolaire s'abaisse à ce genre de choix. Oh ! je connais l'argument qu'on ne manquera pas de m'opposer. Je l'ai moi-même utilisé quand j'enseignais en ZEP. " On offre ce style de livre dans l'espoir que, petit à petit, les ados en viendront à la littérature. "
L'âge venant, je suis de plus en plus sceptique quant à sa pertinence. Les jeunes qui prennent tôt l'habitude des lectures faciles y restent car elles sont tellement distrayantes et confortables. On demeure entre soi, dans un monde dont on connaît les légèretés et les menues cruautés, dont on maîtrise les codes. On ne risque rien, ni dans la trame narrative ni dans la langue. Comme à la télé ou sur Youtube. Et, en prime, on rêve de se payer un jour une paire de Prada..., qu'on exhibera lors de happy hours, quand on sera déjà sérieuse à dix-sept ans...
Je ne dis pas qu'il faille jeter à la corbeille la stratégie du crescendo du plus facile au moins facile. Mais est-on obligé de partir du quatrième sous-sol ? Quand on représente une institution de la République ? Jusqu'où ira le renoncement à la qualité ?
Il ne s'agit là d'aucun élitisme de pré carré. Je ne dédaigne pas un bon polar de Mankell. Je raffole des enquêtes de Jean-François Parot. 
Mais j'ai peur. Bientôt, si l'on n'y prend garde, Daniel Pennac deviendra aussi inaccessible que Marcel Proust. La littérature finira aux oubliettes, partagée par d'hirsutes illuminés : les derniers humains ! 
J'en serai.

samedi 8 novembre 2014

Claire Massart, L'oubli des étangs

Après Six petites perdrix, publié en 2010, Claire Massart fait paraître L'oubli des étangs, toujours aux éditions du Greffier. Elle poursuit avec cette nouvelle livraison son chemin philosophique en interrogeant la permanence fragile de la nature. " Et si les lieux n'étaient que nous-mêmes ? " , écrivait Catherine Sanchez au sujet de Claire Massart. Hélène Baron lui fait chorus : " On devient alors la respiration des arbres, le baiser de la rivière, ces ombres d'arbres qui se bagarrent sur le mur... "
Claire Massart n'est pas une promeneuse des arpents bucoliques où la pensée s'alanguirait. La nature est aussi un tumulte en écho avec les tumultes des souvenirs. L'écorce des troncs et l'écorce du coeur saignent tout pareil. Parfois , " il pleut des cris. "
Je vous recommande vivement la lecture de cette voix discrète et néanmoins ferme ainsi qu'une visite à son blog Les tempes du temps, en lien ici même. Savourez lentement les extraits suivants :

Tout fait ruisseau. L'air circule entre les jambages des arbres : échanges chuchotés de nouvelles vives et douces.
Le chien s'acharne sur sa chimère de taupe, fouaille la boue,
se prend pour un sanglier.
L'eau claire du fossé le regarde se rincer.
*
Le plus souvent l'été, atteindre cet état : dérive sans retour,
croisement ralenti de corps passant
sous la ligne de flottaison.
Reconnus à leur abandon d'enfants noyés
si semblable au nôtre, à leur éloignement.
Courants inverses, doux, définitifs.
Un temps arrimé par le regard,
dans un silence d'avant la vie et une lumière d'avant la nuit.
*
Lumière dévalant le toboggan de la colline
C'est là que les arbres délabrés
appuieront leur renaissance.
Larmes pas loin,
Juste derrière le mur gris
Là où ramiers et merles se toisent
Les pensées tournent en toupie.
*
Linges usés jusqu'à la transparence, effilochures grises
passant très bas, les nuages, ce matin,
ont tout de suaires anciens.
Livres de poussière, arrivés d'un horizon oublié.
Ainsi drossés vers nulle part, ils affolent le ciel
et le font courir.
Nous haletons sous notre souvenir.

Juste paru, l'ouvrage de Claire Massart (60 pages, 13 €) est disponible à la Librairie Olympique à Bordeaux et chez l"éditeur 3 Aillas-le-Vieux 33690 Sigalens, en attendant une meilleure couverture.