mardi 4 juillet 2017

Dictionnaire des mots rares et précieux, lettre a

Résultat de recherche d'images pour "dictionnaire des mots rares et précieux"Le Dictionnaire des mots rares et précieux a été publié aux éditions Seghers en 1965 sous la direction de Bernard Delvaille. Jean Paulhan ne s'en séparait jamais, refusait de prêter l'ouvrage à ses amis. 10/18 l'a republié en 1996. A butiner sans réserve. La langue n'arrête pas de bouger dans tous les domaines de la connaissance et il faut s'en réjouir. Elle dit que l'humain n'est pas mort. Extrayons quelques saveurs de ce livre ordinaire autant que précieux.

Lettre a :

Aborigène, adj. et n. Qui est originaire de la contrée où il vit. (Autrement dit, un natif de la Creuse qui n'a jamais quitté Guéret est un aborigène. Même pas besoin de grimper aux arbres !)

Accoiser, v. tr. Vieux mot qui signifiait proprement rendre coi et, par extension, calmer, apaiser, tranquilliser.
(Robert Merle l'a utilisé dans Fortune de France comme synonyme de se taire.)

Ahah, n. m. Ouverture pratiquée dans un mur de clôture pour dégager ou prolonger la vue.
(Un lien, peut-être, à faire avec l'onomatopée qui exprime l'étonnement voire l'émerveillement.)

Aiguail, n. m. Rosée matinale.
(Ma grand-mère, originaire du nord de la Charente, utilisait ce mot que je considérais comme du patois. Etonnant !)

Aisselle, n. f. Moitié inférieure d'une voûte de four.
(Décap'four plutôt que déodorant donc ! Amusant.)

Allège, n. f. Embarcation destinée à décharger les grands bâtiments d'une partie de leur cargaison. II Archit. Mur d'appui d'une fenêtre.
(J'ai découvert ce mot chez Thierry Metz qui s'y connaissait en matière de mur et j'aime l'employer dans un poème. )

Amourette, n. f. Nom populaire de plusieurs fleurs sauvages, muguet, coucou, etc. II N. f. pl. Art culin. Moelle de veau ou de mouton employée en garniture.
(Pour une amourette qui passait par là, j'ai cuisiné des amourettes. Lény Escudero aurait aimé.)

Amygdalin, ine, adj. Fait avec des amandes.
(Pas besoin d'opération dans ce cas ; rassurant !)

Anaphore, n. f. Réthor. Figure qui consiste à répéter un mot au commencement de phrases ou de commencements de phrases.
(Mot désormais célèbre grâce au président François Hollande. Moi président...)

Andouille, n. f. Manuf. Se dit d'une botte de feuilles de tabac.
(Ce qui n'empêche nullement de fumer en faisant l'andouille.)

Apnée, n. f. Méd. Suspension de la respiration pendant un temps plus ou moins prolongé.
(Ce mot était donc beaucoup moins connu en 1960 qu'aujourd'hui. Les piscines privées ne s'étaient pas encore démocratisées.)

Arlequin, n. m. Sorte de bateau portant un affût camouflé, utilisé pour la chasse au gibier d'eau.
(Un camouflage en forme de costume peut-être, carreaux noirs et blancs...)

Artichaut, n. m. Pièce de serrurerie, hérissée de pointes et de crocs, dont on garnit une clôture.
(Pensez-y la prochaine fois que vous préparez un artichaut. Coluche, qui disait que l'artichaut est le seul légume qui prend plus de place dans l'assiette après l'avoir mangé qu'avant, aurait rigolé.)

Aubagne, n. f. Planche refendue utilisée par les charrons.
(De quoi vous faire oublier la ville qui a oublié Pagnol pour tendre les bras à Le Pen.)

Augustine, n. f. Chaufferette munie de lampe à esprit-de-vin.
(Notre tante Augustine, qui allait sur ses quatre-vingt-dix ans, prisait fort son augustine après avoir lampé son whisky glacé.)

Auriol, n. m. Nom vulgaire du loriot commun.
( De quoi vous faire oublier les bartavelles depuis que Le Pen bivouaque là-bas dans les esprits et c'est bien attristant.)

Auvergne, n. f. Tann. Dissolution de tan dans laquelle on fait macérer les peaux de veau.
(Imaginez cette définichion lue à haute voix par l'anchien préjident Giscard d'Echtaing et pouffez !)

lundi 3 juillet 2017

My summer reading

Résultat de recherche d'images pour "été"J'ai cliné l'appart because on a fait une méga teuf ce week-end. C'est qu'on a pas drinké que des smoothies. Le gin tonic ça drope direct le brain. Pis j'ai fait mon running en tee-shirt et holster avant de r'trouver mon open space de coworking. Une dream team super cool, même le boss on dirait un teen. Cookies et crambles avec le café pour bien commencer le morning même quand on est busy too much. Après, faut s'y mettre of course. Si tu tiens pas la road t'es out pour ton job. Les mails, le phoning et que t'es tout le temps en call, les speed dating à finalizer pour le business plan, si t'as pas le training t'es down.
A midi, j'ai été vachement glad d'aller au health center avec la wild codeuse qu'est super pretty avec son eye liner black. Je la kiffe bath la meuf. Elle a un swag d'enfer quand elle met ses leggings en jean et son body transparent... Dessus, y'a écrit kiss my lips ! Crazy non ?
Des fois, j'l'invite à fluncher des hamburgers-french fries et des brownies. On boit des lemon sodas avec des pailles fluo hipster. Elle me raconte sa life qu'est souvent gloomy. Son boy friend est un bad guy en one to one. Pas le genre french lover tu vois, qu'elle me talk. Et grunge avec ça, connaît pas l'after shave mais abuse des happy hours... Mais elle l'a dans la peau for ever. 
Et moi j'ai que la loose à collectionner les râteaux et les vents. Le boss me l'dit often que j'ai la big loose. En smilant. J'l'appelle le king du smiley mais c'est plutôt le roi du return on equity. Y'a pas mistake. Une task force modèle top gun à lui alone. A trente years c'est pas tous les days qu'on en voit des comme ça même à Ouale street. Il ira très far vous pouvez m'croire. 
Bon. J'retourne dans ma turne compter mes thunes, mes râteaux et mes winds. Ce soir, j'regarderai Major crimes en buvant du Canada dry. Pis j'prendrai un lexo, ça aide bien pour kisser des lips en dream. Mais avant j'pétrai un coup, in french because in english I don't know.
Enjoy your summer reading and become some one !

picture enviedecrire.com

dimanche 2 juillet 2017

Georges Perec, Les choses

Résultat de recherche d'images pour "les choses perec"Les choses de Perec. Ma troisième lecture dans l'exemplaire que j'achetai en décembre 1975, à la librairie Gibert qui tenait l'angle de la place Pey-Berland et du cours Alsace-Lorraine. Pour Noël. Payé quatre francs.
Je ne vais pas raconter cette non histoire archi connue d'un couple d'étudiants besogneux qui deviennent enquêteurs pour des agences de publicité à Paris et en province. Je tairai comment ils se rabougrissent lentement, rongés par le désir de posséder des choses toujours plus belles, toujours plus nombreuses, dans des espaces toujours plus vastes, toujours plus lumineux. Comment tout autour d'eux devient fade, visages et paysages. Et c'est toute la vie marquée au sceau de la fatigue, de la mort lente... Alors, on a beaucoup dit qu'il y a de la sociologie dans ce roman implacable sur le consumérisme au début des années mille neuf cent soixante. Sans doute l'a-t-on trop dit à l'époque, par commodité critique, par emballement des plumitifs condamnés à la pige...

Résultat de recherche d'images pour "l'homme qui dort"Refermant le livre, j'ai plutôt le sentiment que c'est la mélancolie qui domine, une mélancolie déjà là, sournoise, un peu désabusée, et elle submerge le lecteur au fur et à mesure que Jérôme et Sylvie se mettent à renoncer. En ce sens, ou plutôt en cette privation de sens, Les choses sont une préfiguration de Un homme qui dort. Ou du superbe récit bref qu'est Lieux d'une fugue. Publié par feue la revue Présence et regard de Jean-Luc Maxence (laquelle voulut bien de mon premier poème en mille neuf cent soixante-treize) avant de paraître au Seuil en mille neuf cent quatre-vingt-dix.

Et puis l'écriture de Perec. Cette rigueur, cette précision parfaite dans la désignation des états comme des choses, cette beauté à la limite du soutenable, cette poésie et ses émanations à faire pleurer.

Et puis tous ces souvenirs que j'ai de La vie mode d'emploi, seul livre que je fis relier pour la somme de trois cent cinquante francs en mille neuf cent quatre-vingt-un, en compagnie d'un ami tôt disparu, d'un autre toujours vivant mais malade et de ma compagne sans laquelle je serais peut-être mort moi aussi. Le relieur se trompa et imprima Gorges sur le dos de cuir noir. On me moqua gentiment pour ne pas m'en être aperçu... En revanche, lorsque j'ai lu le roman, j'ai tout de suite prédit qu'il aurait le prix Médicis et il l'a eu.

Voilà. Je voulais recopier un extrait et les forces me manquent. Mélancolie. Aurai-je le temps d'une quatrième lecture ?

Rappel : 

Les choses, 1965
Un homme qui dort, 1967
La vie mode d'emploi, 1978

mardi 27 juin 2017

Edith Masson, Landschaft / Le décor

Résultat de recherche d'images pour "edith masson"A pied, en barque ou à dos d'âne, Edith Masson arpente sa terre natale d'Alsace-Lorraine dans toutes les directions des paysages, portes des villes et chemins de campagne, lieux de mémoire où le sang des guerres abreuva les sillons.
Landschaft / Le décor est composé de cinq mouvements polymorphes dans un tuilage de poèmes brefs et de textes plus longs, en italique parfois, comme des apartés, ou entre parenthèses avec enjambement sur la page suivante.
"Il est un temps qui colle au pied longtemps longue claudication un temps qui ne finit pas", écrit Edith Masson dès le premier texte. Un temps hypothétique, conditionnel ; le présent parfois y fait ses incursions et le poème a des brisures mais qui restent claires au passage de l'émotion. Alors, reprenons le mot d'Antoine Emaz à propos de James Sacré : "poète expérimental clair". Edith Masson est un poète expérimental clair et sa scansion n'est pas si éloignée de celle de l'auteur originaire des paysages vendéens. Avec ses zones d'ombres et ses énigmes sans lesquelles aucune littérature ne serait viable. (Qui se cache derrière l'emploi du nous "quêtant l'aumône" ? De quels suints peut bien émaner cette récurrence du poisseux, du tiède ou encore du coulant ?). La littérature d'Edith Masson, qui a également publié un premier roman remarqué, est viable et je la devine emplie de promesses à venir, "chargée de futur".

Extraits :

nous passerions là de longs jours une vie
rêvée de femme et d'homme
de soupe et de robinet de poivrons effilés
à l'espagnole oignons frais huile
d'olive

(la nuit sans tain moquerait dans la vitre nos têtes ahuries
blafarderait nos rêves de murs nus béton froid)

*
(contempler repu
l'objet abandonné sur la terrasse
son entêtement au vent et à la pluie)

*

au bord d'un étang
la barque étranglée au piquet
à demi noyée nous la prendrons c'est elle
au fil des canaux qui fendra ces couteaux de pluie
s'ébrouant des mares aux furies de nèpes

et chaque matin à la lessive des brumes neuves
nos mains suffisamment lavées
le drap de nos nuits
nous le hisserons comme un fanion

*

N.B. : Landschaft signifie en allemand paysage, campagne, décor.

Landschaft / Le décor d'Edith Masson est publié aux éditions des Vanneaux. Des illustrations, dessins en noir et blanc, d'Olaf Idalie accompagnent le récit. L'ouvrage coûte quinze euros.

image éditions des Vanneaux


lundi 26 juin 2017

Claire Massart, L'aveu des nuits

Résultat de recherche d'images pour "claire massart"Claire Massart a l'intuition du dernier vers qui ouvre le poème au grand large de la terre et du ciel, quand les confins tracent l'improbable ligne des horizons. L'un d'eux me semble contenir L'aveu des nuits tout entier. " Commence alors la précieuse errance : lieu du dénuement."
Toutes sortes d'oiseaux en "pointes fines" ou "blancs dans l'oeil" traversent le chemin des silences. Silence fissuré. Silence empêché. "Silence épais dans la maison". "Silence qui peluche". "Silence en rumeurs, ponctué de scories"... Tant d'autres encore, pour peu que le lecteur s'attarde à les écouter. 
Cette errance qui voudrait oublier jusqu'à l'oubli lui-même, parfois harassante, "habillée de froid et de murmures" laisse deviner la blessure profonde qui cherche à se dépouiller. "Au réveil, ranger les rêves dans une mémoire mate", écrit Claire Massart, pour ne pas [s'écoeurer à triturer les débris enfouis]. Un long travail de patience avec [des mots qui n'aiment pas les mots d'ordre].
La deuxième partie du recueil, après quelques haïkus en intermède, s'intitule Le calendrier oublié. Dans le désordre des mois et de la mémoire "dont on défait les plis", cet ensemble de proses a le ton plus grave, presque désabusé. La colère pourrait poindre et troubler les oiseaux "déroutés".
Ce nouveau livre de Claire Massart, avec ses fragilités d'estampe japonaise, nous touche par son humilité devant le grand chantier du métier de vivre. Je le recommande vivement. Attentifs à sa lecture, vous y trouverez bien d'autres choses encore, qu'une simple chronique ne sait pas dire... (!!!)

Extraits :

Métrer le temps passé
A bâtir le silence à grands points.
Nous voyons à travers la transparence de la peine :
Elle est très semblable à la fumée de cigarette.
Elle en a le parfum, invisible et présent.

Explorer les doublures à la recherche de miettes abandonnées.

Seule notre ombre est tendre.

*

Je compte les courbatures des draps.

*

Ne se souvient-on que des instants où l'on s'est dédoublé ? Les souvenirs sont des ombres portées, mémoire fripée qu'on lisse de la paume, dont on défait les plis. 

*

L'aveu des nuits de Claire Massart est publié aux éditions des Vanneaux. Il coûte quinze euros.

image lestempesdutemps.com (blog de l'auteur)

Antoine Emaz, Planche

Résultat de recherche d'images pour "antoine emaz" Après Cambouis, Cuisine, FlaquePlanche est tantôt un journal, quoique jamais daté, tantôt un carnet de notes. Le titre même nous signifie depuis quelle place Antoine Emaz écrit. Celle des lieux ordinaires, voire pauvres dans l’accomplissement des jours au jour le jour. Pauvreté de la langue aussi qui fuit les ornements que Montesquieu pourfendait. Il s’agit pour Emaz d’aller au plus près de la justesse de l’éprouvé et du dit, dans l’évocation du décor (jardins, ciels marins et citadins, volet à repeindre…) comme dans la matière au cœur du poème. Tout en composant avec l’imprévu qui forcément échappe.
Egalement auteur de nombreuses notes de lecture, il nous fait part de ses querencias (James Sacré, Valérie Rouzeau, Jacques Ancet…) mais donne aussi des coups de griffes sans méchanceté : trop de romantisme chez Jaccottet atteint à l’occasion de « douloureuse emphase », ennui parfois à la lecture des journaux plaintifs de Pierre Bergounioux. Camus non plus n’est pas épargné. A Propos de La Peste : « … ses personnages parlent comme des livres. C’était sans doute le ton de l’époque, on a plus de mal avec ça aujourd’hui. Comme quoi, même si une éthique et une esthétique peuvent durer, elles s’encrassent tout de même avec le temps, mais la seconde plus vite que la première. »
La question de l’esthétique et de la forme est l’une des pierres angulaires du travail d’Antoine Emaz qui refuse la disjonction vivre/écrire : «  Rien ne m’est plus étranger qu’une utilisation gratuite ou ornementale de la langue en poésie. Si le poème bouscule la langue, c’est moins dans un but esthétique que dans son effort d’ajustement à une saisie brute du réel… Ce qui m’intéresse, me passionne, c’est l’acte même d’écrire, lorsque l’intensité de l’expression fait fondre réalité et langue en un poème. »
Antoine Emaz ne se pose pas pour autant en donneur de leçons. Il planche tout simplement, avec son obstination coutumière même si, l’âge venant, il peut se sentir « réduit à une mécanique de vivre ». Foudroyante lucidité de ce poète-artisan-philosophe à nul autre pareil y compris dans le semblable.

Extraits :

Sauf au début et à la fin peut-être, aimer quelqu’un est bien trop compliqué pour que ça puisse entrer dans un poème.
*
Je suis pour les temps morts, et pas loin de croire que l’on ne vit vraiment que dans ces moments de vide.
*
Seul dans la maison, je ne suis pas seul. Je suis avec la maison.
*
Au départ du poème, il y a toujours un événement, un choc qui ébranle le cœur, le corps, la mémoire, la langue. J’écris en contre : vivre est premier. Un poème comme un contrecoup de langue à partir d’un coup de vivre.
*
Nous sommes presque tous des journaliers ; on met un jour à la suite d’un autre, sans voir la fatigue qui rouille le corps, la tête. On fait ce qu’il faut, ce qu’on doit à on ne sait trop quoi, une sorte de moloch social. Jusqu’au jour où quelque chose déraille dans la machine, une pièce refuse le service, casse. Et on est où, là ?
*
Moins rechercher le temps perdu que récupérer le temps sauf.
*
Tout est calme sous le ciel vaste bleu. Je sais qu’il faudrait avancer dans la besogne à faire, mais je n’en ai pas envie. Et je ne peux pas écrire sans impulsion interne : nécessité urgente ou vague désir, peu importe, mais il faut une intensité de pression minimale. Sinon, non. Regarder le jardin suffit, présentement. Et je sais que ce n’est pas paresse mais incapacité. Inutile de m’obliger, je ne ferai rien de bon.
Il faudrait descendre plus bas dans le calme, au fond, pour trouver encore des mots dans le sable silencieux de ce début d’après-midi d’été. Et non. On va rester dans le plat calme bleu et l’immobilité des arbres.


Planche d’Antoine Emaz est publié aux éditions Rehauts. 16 €.

image sitaudis.fr

samedi 24 juin 2017

Frédérique Germanaud, Quatre-vingt-dix motifs

Résultat de recherche d'images pour "frédérique germanaud"Trente brefs passages chacun composé de trois fragments constituent Quatre-vingt-dix motifs de Frédérique Germanaud. La narratrice écrit et lit dans sa maison sous le regard mi-clos des trois variations de la Mémoire de Magritte. « Aucune souffrance ne marque les traits de ce masque d’absence alors qu’une blessure à la tempe droite laisse s’échapper une large tache de sang qui dégouline sur la joue jusqu’à hauteur de la bouche ».
Et c’est bien de mémoire dont il s’agit, ou bien de non mémoire, ou encore de déni de la mémoire. Tout en la désirant, allez savoir, dans un trouble accommodement entre autobiographie et fiction. Frédérique Germanaud reçoit de sa mère (jamais nommée en tant que telle) une douzaine de photos « dans une enveloppe vierge » et revisite son enfance qui, détournons les mots d’Artaud, ne lui appartient que par éclaircies.
Le ton de ce récit fragmentaire, très retenu dans ses épanchements, est parfois d’une cinglante froideur. L’enfance de l’auteur est-elle aussi un masque d’absence ? D’où vient qu’elle en fasse un fardeau ? Pourquoi pèse-t-il à ce point sur son ventre auquel elle refuse l’engendrement ? Décidément, quelque chose ne passe pas dans ces passages tissés d’empêchements. Les mères sans cesse recommencées empoisonnent ce qui reste de l’embryon « par définition parasitaire »…
En sourdine à toutes ces questions, le lecteur découvre aussi les pérégrinations littéraires qui accompagnent l’écriture de Frédérique Germanaud. Petit traité de la marche en plaine de Gustave Roud. Petit traité de la marche sous la pluie de Joël Vernet. Mais comment marcher dans un temps sans appartenances en se recroquevillant ? Où se trouve la frontière de l’épuisement si tant est qu’elle existe ?
Résultat de recherche d'images pour "la mémoire de magritte"D’autres figures traversent cette œuvre puissante qui laisse le silence sans voix : Dagerman dont L’homme étranger ferme les paupières  comme la Mémoire de Magritte, André du Bouchet, Paul Celan, Keith Jarrett et son concert à Cologne, Frank Venaille, Sôseki qui [a par hasard obtenu une journée de sérénité], et le voisin angevin Antoine Emaz…
A la fin de ces soixante-dix pages qui en recèlent bien davantage tapies sous les mots et entre les plis, dans une démultiplication des motifs sans ornements, une nouvelle enveloppe vierge fait son apparition. Le lecteur écrira dessus le nom qu’il voudra…

Extraits :

« … rester concentrée sur l’écriture en cours. Elle aussi s’est faite fragmentaire et détachée de son tout. Elle existe pourtant. Le poison entre de force dans l’écriture, la polluant de ses doutes, de sa fausse douceur, de son faux réel. »
*
« Regarder en moi n’a jamais été mon fort. Aucune parenté entre ces deux territoires que sont mon ventre et ma pensée. Mais ce qui se développe dans le premier m’informe tout de même et paradoxalement de ceci : mon incapacité à engendrer. »
*
«  Une lune complète encore à perdre du sang. Je suis exsangue, on ne saurait mieux dire. Je n’ai pas l’appétit de vivre, comment, dans ces conditions, pourrais-je avoir celui de perpétuer la vie ? J’ai l’appétit de toi. Je prends soin de rendre mon corps à ses instincts. J’aurais accepté plus facilement qu’un arbre pousse en moi. Un pêcher qui fleurirait rose chaque printemps et dont les fruits viendraient grossir les seins que j’ai si menus. »


Quatre-vingt-dix motifs de Frédérique Germanaud est publié aux éditions La clé à molette. Il coûte 13, 50 €.

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