dimanche 6 mai 2018

No hay camino sin el cansancio


Résultat de recherche d'images pour "renaud allirand"Cet ensemble écrit en 2013 dans une langue qui m'appartient par éclaircies plus encore que le français plaît beaucoup à Elaine Vilar Madruga, jeune poète cubaine que j'aime traduire pour Recours au poème. Le recueil entier s'intitule Poemas pobres y algo màs. J'ignore en quoi réside exactement ce quelque chose de plus. Et c'est peut-être cette ignorance qui permet à la poésie d'être.


No hay camino sin el cansancio
Que sale de mis huesos
Escucho los rumores de mi cuerpo
Tropiezo en la lengua
Como si fuera una piedra
O un pájaro muerto
Y el camino va siguiendo la escritura
Sin saber nada de lo que late

*

No soy poeta de palabras preciosas
Como alfombra o madreselva
No soy poeta del horizonte
Mirando la humanidad que yace
En su pozo cerrado
Soy poeta si lo soy
Del asco y de lo sucio
En la lengua como en el cuerpo

*

Mi lengua no sale del corazón
Tampoco de las entran᷉as
Sino de un cuerpo que no ha nacido

*

Salí muerto de mí madre
Un pedazo de carne
Encerrado en una sangre pálida
Ni cuerpo ni lengua
Ni piel dibujando un rostro
Sólo el camino que inventé
Me hizo nacer

*

Cansar el cansancio
Que borra los pasos
Como borra los versos
Quedar vivo a lo largo del día
Haciendo un surco invisible
Con el andar

*

No hay lugar seguro en mi idioma
Cosas y palabras se juntan mal
Hacen nudos en el poema
Y roturas en su soplo
Pero no existirían sin ese mal

*

Me acuerdo que el cielo tocaba la tierra
Como una hoja sobre otra hoja
Y que mi camino se borraba
Me acuerdo que había en los árboles
Un silencio que me asustaba
Y no podía escaparme
Ni siquiera en el canto de los pájaros

gouache de Renaud Allirand, galerie Michelle Champetier. J'aime beaucoup cet artiste qui travaille avec les éditions La tête à l'envers notamment.













jeudi 3 mai 2018

La vie s'accorde à la lenteur du sang


Résultat de recherche d'images pour "soulages"La vie s'accorde à la lenteur du sang, aux murmures des instants égrenés.
D'autres enfants passent de mystère en mystère. J'ouvre mes bras qui étreignent du vide. La lumière est basse encore et patine les flaques de ramures froissées. Je marche avec le silence derrière les fenêtres. Je ne regarde pas les oiseaux qui m'en détourneraient. J'ignore le grésil de mon corps. La marche a fondu mes gestes et mes mots dans la stupeur du matin blanc.
La fatigue même a perdu mon visage.

La rumeur de la berge s'accorde au silence des ornières. Le sommeil des bêtes grince dans l'étable. La mouche en a fini de l’agonie sous la solive. Une ombre gribouille sur la lune, berce l'enfant qui cherche à grandir. Demain aura-t-il seulement lieu, si la nuit lui refuse sa porte ? La solitude est plus lente sous la lumière à pic. On s'éloigne du monde qui penche, on ne veut pas sombrer dans ses rumeurs de peaux mortes. Mais le paysage est un étau pour les oiseaux. Les mots manquent pour le défaire.

Comment inventer des sortilèges avec une langue coupée ? 

Il faudrait retourner à la rivière des enfances, à la berceuse aux dents vertes, ses appels jetés à mon visage quand les rêves ne portaient plus mon corps. Il faudrait éprouver le vide lancé par-dessus les berges d'où montaient des vapeurs, chercher des signes à conjurer les spectres, inventer des mots venus d'une autre voix dressée comme un parapet pour m'ouvrir à l'oubli. « Cet arbre debout dans son squelette quelle voix ranime-t-il en nous sous la tuile obtuse qui bat ». Des ombres dressées contre la marche, leurs plaintes de bêtes saignées. Une frondaison s'ouvre à mon chemin avec ses souvenirs de poix blanche. Les peupliers tremblaient depuis l'aurore, entendaient déjà le pas lourd de la hache, les cris à l'écho rabattu.

image pierre soulages christies.com

dimanche 29 avril 2018

Michel Bourçon, ce peu de soi

Résultat de recherche d'images pour "ce peu de soi"ce peu de soi de Michel Bourçon est constitué de quatre ensembles de proses fragmentées. Certaines n'excèdent pas deux lignes. Les plus longues en comptent une douzaine. Une datation entre parenthèses indique le commencement et la fin de l'écriture de chacun de ces ensembles. Est-ce là un détail qui nous dit à bas bruit une obsession du temps non égrainé, fondu comme du plomb  dans la boîte crânienne ? Le lecteur s'emparera comme il pourra de cette idée, si elle lui passe "en tête".

Le premier ensemble, chasser du silence cette voix, "nous embourbe dans l'indécision". Ni le passage des jours ni les corps ne sont des lieux sûrs. Des éléments de décor et de paysages attestent parfois une présence au monde (un radiateur, une table, une fenêtre, des feuillages avec ou sans oiseaux, la pluie sur la ville...). Mais rien ne tient longtemps. Comment "tenir sur presque rien" ? Quand les mots comme la mémoire sont aussi incertains entre le dehors et le dedans, entre la présence et l'absence... La lassitude monte avec le vide. La voix est impuissante malgré sa prégnance. Qui est-elle au juste ? Où se trouve-t-elle exactement ? Mystère !

Le deuxième ensemble, qui donne son titre au recueil est le plus court. Il exprime l'homme et la langue à l'état d'ébauche, dans la tension de l'effacement qui vient. La peur peut poindre. Qu'avons-nous donc "en tête" ? Pourquoi Michel Bourçon préfère-t-il le mot tête au mot esprit ? La perspective de la mort est-elle ainsi plus supportable ? Mystère encore. "Une larve de capricorne" comme "une bête creusant des galeries" apportera qui sait une réponse un peu sûre.

Le troisième ensemble s'intitule pauvre légende. " Comment s'établir dans la durée, il n'y a pas de lieu pour ces corps dans l'attente", écrit Michel Bourçon. Et, quelques fragments plus loin, cette question terriblement philosophique : " Qu'y a-t-il de part et d'autre de cet intervalle où nous demeurons ?" Cet intervalle que la datation essaie de garder "en tête". Cet intervalle pétri d'absence et d'ignorance par les empêchements du corps et de la mémoire.

Le dernier ensemble, cette avide attente, reprend, avec d'autres, ces tracas de l'intervalle. " Entre ce qui se déploie et se resserre". Et nous sommes la proie de cette attente, avides dans le vide au fil des instants carnivores. Cette attente plus vaste que nos carcasses et qui nous survivra. Quand tout visage se sera défait.

J'aime, sur ce blog, m'amuser au jeu des appariements littéraires. Mais j'en devine tant ici qu'il faudrait écrire tout un ouvrage de littérature comparée. Alors, faisons bref pour clamer une évidence : ce peu de soi de Michel Bourçon est un très grand livre. Oui. J'insiste. Un très grand livre.

Il est publié aux éditions la tête à l'envers et coûte 16 euros. Un fragment de peinture de Renaud Allirand en ouvre le chemin.


samedi 28 avril 2018

Non, je n'aimerais pas avoir 80 000 euros !

Résultat de recherche d'images pour "argent"Une conversation ordinaire en regardant une émission ordinaire à la télévision. Une émission où des gens chantent et peuvent gagner beaucoup d'argent s'ils n'ont pas oublié les paroles.

Ma compagne me demande : " Et toi, tu aimerais avoir 80 000 euros ? "

Je bafouille un peu, je réfléchis quelques secondes, et je lui dis : " Non, je n'aimerais pas avoir 80 000 euros."

Elle me regarde, a le geste qu'on a tous de porter l'index gauche à l'oeil gauche. Elle ne me croit pas. 

La conversation continue sur le même ton, cependant qu'une jolie étudiante jouit sur le plateau de son quart d'heure de gloire et, précisément, du cap des 80 000 euros de gains qu'elle vient de franchir :

- Et 10 000, tu aimerais ?
- Oui, on rembourserait le crédit des travaux dans la maison et on aurait un petit reliquat pour s'amuser.
- Et 20 000, tu aimerais ?
- Euh ! Oui. On pourrait aller à Rome et pas seulement un week-end. (Reprise de Daho)Tu pourrais aussi faire de la Thalasso à Saint-Jean-de-Luz. C'est bien, Saint-Jean-de-Luz.
- Et 30 000 ?
- Euh ! A quoi bon ? Mais si tu y tiens ! Je fais un effort.
- Et 40 000 ?
- Ben non. Je n'aimerais pas avoir 40 000 euros non plus.

J'entends déjà mes lecteurs murmurer : " Houou ! le menteur ! Tout le monde aimerait avoir cette somme."

Et bien, moi, c'est non ! J'en ferais quoi ? (Reprise de Zaz) Je ne vais pas ici ravauder la question trop usée de l'Etre et de l'Avoir. N'étant pas meilleur que quiconque, je pourrais céder aux petites sirènes de la consommation. Changer la Clio d'occasion pour une Mégane neuve par exemple. Histoire de me dire qu'à bientôt soixante-trois ans, un siège en cuir siérait à mon dargif raplapla. Allez ! Soyons fous ! Je ne cracherais pas sur un voyage dans une grande métropole européenne, hébergé dans un hôtel quatre étoiles où quelques canards génétiquement modifiés à cause de l'odeur, ça fait cossu (Reprise de Belmondo qui n'a jamais chanté), pataugeraient dans un bassin à l'entour de la piscine à jets bouillonnants...

Et après ? Ben... Rin... Quèqu' vous v'lez que j'vous dise ? ! Ma retraite d'instituteur même amputée de 40 euros par Monsieur Macron me suffit. Je n'ai pas besoin de plus. Oh ! c'est vrai, si j'ai une rentrée de quelques biftons supplémentaires, je les mets pas à la poubelle. J'en profite pour donner davantage à nos petits-enfants et j'achète un Pléiade. Sinon, rin de rin (Reprise revue et corrigée d'Edith Piaf) !

En fait, ce qui m'interroge, c'est le " J'AIMERAIS ". Je ne comprends pas, dès lors qu'on a les moyens de vivre sans être trop gêné, qu'on puisse aimer avoir une somme aussi importante. Je ne comprends pas la nature de ce désir-là, attaché à de l'argent. Le pognon, c'est pas forcément cradingue, mais je ne perçois pas l'intérêt que j'aurais à posséder d'un seul coup l'équivalent de trois ans de salaire d'une infirmière. A la vérité, j'ignore comment ce pactole serait bienvenu dans ma réalité (Nouvelle reprise de Zaz), forgée et reforgée tout du long de mon existence, avec ses joies comme avec ses repentirs. Il me faudrait beaucoup d'élan pour m'y projeter, la pécune lesterait par trop mes poches, et je me casserais la chetron dans le sable mouvant des illusions.

Je suis trop âgé pour que ma binette soit retouchée au mercure au chrome. Je n'aimerais pas ça. Vraiment, je n'aimerais pas ça !

" M'enfin ! M'sieur Boudou, qu'aimeriez-vous donc ?", demandent mes lecteurs.

Je pourrais leur rétorquer, (paraphrasant Baudelaire qui n'a pas plus chanté que Belmondo), que [haïssant Dieu autant que l'or], j'ignore à quel saint me vouer pour esquisser une réponse. Et pis, hein, si j'en avais une, de réponse, p't'êt' même que j'arrêterais d'écrire ! Alors là, quel arroi me resterait ? mais c'est une autre question. Dans la grande mare sans canards des questions (Reprise allusive de Georges Brassens) !

En attendant, la jolie étudiante continue de se dandiner. Tiens ! Elle a gagné 10 000 balles de plus. Elle connaît son Céline Dion sur le bout du fi... non, c'est pas sympa pour elle, du doigt. De ce doigt qu'on porte à l'oeil quand on ne croit pas quelque chose.

image franceculture.fr (ça fait cossu itou)

jeudi 26 avril 2018

Julien Thèves, Le pays d'où l'on ne revient jamais

Résultat de recherche d'images pour "le pays d'ou l'on ne revient jamais"" Cette histoire n'est peut-être qu'une fiction pure, relation de faits étranges, probables, supposés, racontés, réinventés avec les photos, retranscription de choses qu'on m'a dites...", écrit Julien Thèves dans son récit Le pays d'où l'on ne revient jamais. Le lecteur comprend vite que ce pays est l'enfance. Cette enfance si souvent invitée à la table des mots par la plupart des auteurs. Pour l'apprivoiser dans ses laideurs comme dans ses beautés. Et ils n'en reviennent pas d'y revenir sans cesse tout en sachant qu'on n'en revient jamais, qu'elle colle à la semelle des souvenirs quoiqu'on s'en défende.
Julien Thèves ne fait pas exception à la règle mais il a une conscience très aiguë d'arpenter une voie sans issue. Il ressasse, il rumine, il piétine la mémoire de la banalité qui jamais ne fut un lieu sûr. Au point d'être empêché dans son écriture même.
" Plus ce livre avance, et moins le pronom se précise, il se dissout dans la foule de la côte, dans les souvenirs minces... Les pronoms sont brouillés car la mère ne disait jamais "je", jamais "tu", mais toujours "on" : un ON énorme et englobant qui dissolvait toute identité..."
Au demeurant, l'auteur-narrateur ne réussit à dire franchement JE qu'au milieu du livre. Mais l'incertitude poursuit son travail de sape. Comment affirmer qu'on a eu une enfance heureuse ? Comment affirmer au contraire qu'elle ne le fut pas ? Si on est de surcroît incapable d'écrire en entier le nom de la ville où on a grandi.
Cette ville de H. est pourtant un "personnage" qui compte dans ce récit fragmenté. Sa situation frontalière entre la France et l'Espagne accentue le brouillage des dits et des non dits. Il est bien difficile de la percevoir dans ses changements invisibles tout au long des années mille neuf cent quatre-vingt. Mais il y a la mer et la pluie, de cela on est sûr. Il y a aussi "une vieille gare abandonnée", "un cinéma abandonné, "un hôtel abandonné". Répétitions, ruminations...
Et c'est l'écriture de Julien Thèves qui répète et rumine, qui s'agence dans le bégaiement comme celle de Laurent Mauvignier dans ses tout premiers textes. La mer avec sa "grande plage abandonnée" assourdit ses échos puis les reprend jusqu'au bout de la fatigue et de l'ennui. Alors, oui, voilà une écriture de ressac à marée montante. Elle recouvre puis recouvre encore, un peu plus loin à chacun de ses passages, un peu plus profondément dans ce qui reste à creuser de l'oubli, ce qui n'a jamais peut-être eu lieu : L'enf...
Lisez comme un puzzle sans contours Le pays d'où l'on ne revient jamais de Julien Thèves publié chez Christophe Lucquin éditeur (19 €) et abandonnez-vous sans vous dissoudre à ses beautés.

P.S. : N'ayant pas lu le roman d'André Dhôtel auquel Julien Thèves adresse un clin d'oeil, je n'en parle pas.

image christophelucquin.editeur

mercredi 18 avril 2018

Réaménagez vos combles pour huit euros, 1

Résultat de recherche d'images pour "bétaillère"Comme d'aucuns le savent, j'ai auto publié mon roman La tentation des combles sur la plateforme numérique du groupe Kobo. Le prix est modique, huit euros, mais l'ouvrage n'a aucune visibilité car il figure sur le site parmi des centaines de milliers d'autres. De plus, mon lectorat est davantage habitué à lire sur papier que sur écran. C'est aussi mon cas même si je possède une liseuse. N'ayant vendu en trois semaines que trois exemplaires, (je connais les noms des acheteurs !), je me résigne à faire un peu de publicité en vous offrant cet extrait dit de la bétaillère :

Je serais bien incapable de dire en quelle année j'ai rencontré Catherine tant j'ai l'impression de l'avoir toujours connue. Avais-je déjà, à cette époque, commencé à espionner mes voisins avec des jumelles ? Je n'en sais rien non plus. Je garde en revanche un souvenir précis de l'endroit et des circonstances. J'avais décidé d'aller à M***, une station balnéaire où le tapage était presque supportable, pour me promener au bord de la mer. Je n'étais pas spécialement attiré par les houles océanes, je détestais les baigneurs transformés en sardines à l'huile, les joueurs de frisbee et leurs bonds ridicules,  mais j'aimais voir bouger la ligne d'horizon. Ses rapprochements, ses éloignements au hasard de la marche me procuraient une inexplicable sensation de paix intérieure.
         Pendant longtemps j'ai roulé derrière une bétaillère qui transportait des cochons. Véhicule poussif. Route sinueuse et bande médiane effacée. Bas-côtés trop sablonneux. Il m'était impossible de doubler sans risque. Les animaux semblaient dormir debout. Leurs têtes avaient les tressautements réguliers des jouets mécaniques. La bétaillère exhalait un énorme nuage de fumée et mon pare-brise se recouvrait de particules charbonneuses. Les essuie-glaces de la voiture, même avec le soutien d'un liquide savonneux qui fleurait bon la fraise des bois, peinaient à les balayer. J'aurais dû m'arrêter car mon champ visuel rétrécissait dangereusement. Mais quelque chose en moi souhaitait rester en contact avec ces cochons qui dodelinaient. Comme si la condition humaine et la condition porcine entretenaient depuis des temps immémoriaux une liaison secrète. Je me suis rapproché autant que j'ai pu de la bétaillère. J'ai essayé de fixer les yeux rouges d'un verrat qui venait de se réveiller. J'ai voulu surprendre le regard du chauffeur dans le rétroviseur, deviner en lui un rapport intime avec ses animaux. Quand j'ai abandonné cette question que le docteur Klamm aurait expédiée d'un trait sur un avion en papier, la bétaillère avait disparu.
Résultat de recherche d'images pour "blockhaus mimizan"         J'ai continué à rouler en fumant des cigarettes et en écoutant la radio. De vieilles chansons françaises diffusaient leur nostalgie de bastringue. Elles m'étourdissaient. Une fatigue sournoise montait en moi, s'agrippait à mon cou. Je me suis arrêté à une station-service pour boire un café et manger un sandwich. Mais il n'y avait ni café ni sandwichs. Seulement de la bière dont la mousse sentait l'éther. J'ai vidé deux canettes et j'ai repris la route encore plus étourdi. Le soleil commençait à cogner dur sur le paysage. Des villages, des silos à grains, des coupes de pins dans des sentiers forestiers ont défilé sans que je m'en aperçoive. Puis je suis arrivé à M***. J'ai garé la voiture sur le front de mer et j'ai couru vers les flots. Les touristes me regardaient un peu comme un extraterrestre. Je portais des souliers jaunes et des chaussettes noires en tire-bouchon sur mes chevilles. Ma chemise était boutonnée de travers et ses pans froissés grimaçaient sur mon pantalon trop large. Qu'importe ! La brise marine secouait ma torpeur. L'horizon dansait au loin et j'aimais ça. J'ai marché jusqu'aux rochers les plus proches, croisé quelques rondouillards à la peau rouge, des joueurs de volley et des joueurs de badminton tout aussi ridicules que les adeptes du frisbee, une chienne qui tirait sa langue toute bleue en rotant et je me suis assis sur la plus haute pierre. J'étais maintenant complètement réveillé. Mon cerveau avait retrouvé toute sa plasticité et j'ai repensé à la bétaillère. Les cochons partaient sans doute à l'abattoir. Ils n'avaient aucune conscience de leur fin prochaine. Et nous, me suis-je demandé ? Où se trouve l'abattoir vers lequel nous nous dirigeons ? Combien d'entre nous ont vraiment conscience de leur fin prochaine, une conscience aiguë qui transfigure leurs perceptions, leurs émotions, leurs actes ? J'ai observé des gens qui mangeaient des œufs trempés de mayonnaise, assis en rond autour d'une serviette. Ils n'étaient pas laids. Ils se tenaient sans s'avachir et leurs gestes étaient presque délicats quand ils portaient les victuailles à la bouche. Ils gardaient le contrôle de la mayonnaise qui gouttait parfois. Ils ne parlaient pas fort et leurs plaisanteries, même un peu lestes, restaient dans la limite de la décence. J'ai cependant pensé qu'ils étaient des porcs. Je les ai imaginés en train de faire l'amour, se grimpant dessus, se suçant dessous, dans une cacophonie de gloussements caoutchouteux. J'ai eu bien du mal à me retenir de rire. Il m'apparaissait que j'étais aussi animal qu'eux et c'est dans cet état inconfortable de la comparaison que j'ai rencontré Catherine.

image de blockhaus à Capbreton, non loin de M***. Ce détail du blockhaus a son importance.

mardi 17 avril 2018

L'imagination prend le pouvoir


Résultat de recherche d'images pour "mai 68 affiche" (Le samedi 26 mai à onze heures à la bibliothèque de Bacalan à Bordeaux, Brigitte Giraud (voix), Gérard Hello (guitare, accordéon), Marc Buffan (contrebasse), et moi-même (voix), donnerons une lecture théâtralisée de textes sur et autour des événements de mai 1968.  Nous espérons que vous serez nombreux à venir boire notre bouillon. Ci-dessous ce petit montage en guise d'apéro.)

La lutte des travailleurs et des étudiants qui est née dans la rue s’étend maintenant aux lieux de travail et aux pseudo-valeurs de la société de consommation.
Le théâtre, le cinéma, la peinture, la littérature sont devenus des industries accaparées  par une élite dans un but d’aliénation et de mercantilisme.
Aliénation. Aliénation.
Mercantilisme. Mercantilisme.
Sabotez l’industrie culturelle !
Réinventez la vie !
L’art, c’est vous !
On ne matraque pas l’imagination.
Le bourgeois n’est pas un ouvrier qui a réussi : c’est un état d’esprit. Le problème est de changer les structures profondes, être des gens qui pensent. L’ouvrier américain a un grand confort mais il ne pense pas.
Quoi qu’il arrive, la flamme de la révolution populaire ne doit s’éteindre et ne s’éteindra pas. Demain comme aujourd’hui nous parlerons.
On ne matraque pas l’imagination.
L’art c’est vous ! Vous ! Vous ! Vous ! Vous !
Réinventez la vie !
Demain comme aujourd’hui nous parlerons.
Le théâtre est devenu une industrie. Le cinéma est devenu une industrie. La peinture est devenue une industrie. La littérature est devenue une industrie.
Une industrie accaparée. Accaparée par une élite dans un but d’aliénation et de mercantilisme.
Résultat de recherche d'images pour "mai 68 affiche"La flamme de la révolution populaire ne s’éteindra pas.
Ne s’éteindra pas.
Ne s’éteindra pas.
Le bourgeois est un état d’esprit.
Les valeurs de la société de consommation sont des pseudo valeurs.
Pseudo valeurs.
Pseudo valeurs.
Pseudo.
Pseudo.
L’art c’est vous. Et vous ! Et vous ! Ici c’est vous ! Là c’est vous ! Aujourd’hui c’est vous. Demain c’est vous. Demain c’est maintenant. Aujourd’hui et demain partout.
Dans la rue et sur les places.
Dans les usines.
Dans les bureaux.
Dans les gares et dans les cafés.
Dans les théâtres.
Dans les amphithéâtres.
Dans les champs et dans les jardins.
Vous et personne d’autre. Ou que ce soit et quand que ce soit.
On ne matraque pas l’imagination.
On ne matraque pas.
Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas !
L’imagination.
L’imagination.
Réinventez la vie !
Prenez le pouvoir !

(montage réalisé et augmenté à partir de paroles étudiantes et ouvrières au théâtre de l’Odéon en mai 1968)

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