jeudi 12 octobre 2023

Xavier Girot et la lumière au coeur de la nuit, 2

 Quelle lumière sous le soleil ?


Le mot soleil apparaît près de trente fois dans le recueil et notamment dans les textes écrits à partir de 1978 comme si, imaginons, une ombre bientôt définitive se mettait à branler. Il en va de même pour les mots or et lumière avec, sauf erreur de comptage, vingt-cinq occurrences cumulées. Le poème Le soleil est considérable, daté de mai 1981, réunit les trois vocables et l’émotion confine à la sidération. « à l’horizon du fou », écrit Xavier Girot. Et c’est un surgissement de matières inaugurales aux accents d’épopée, dans le très haut comme dans le très bas, où « tous les cris de la création… reconstituent les moindres faits du rêve ». Lequel est un accoucheur de villes. L’or y est doux, la lumière grande.

La réalité de l’ordinaire est beaucoup moins engageante. Sous la « ligne d’horizon mauvaise habitée par l’enfance », le « soleil injecté » par le rêve ne procure aucun enchantement. Tombera-t-il en poussière par la volonté d’un « dieu radioactif » ? Ou « en miettes » sur le bitume condamné au silence ?

Et la lumière n’est pas davantage un éther sûr. « hors d’hommes » dans une foule borgne livrée à on ne sait quel bourreau baudelairien, elle trouble le papier où l’écriture tremble. L’or lui-même, élémentaire ou allégorique, a des pulsations [équivoques]. « le plein or natal du désir » est empêché par le réel qui ne tient pas debout, ses fissures menacent les quais la nuit et les [façades pétrifiées]. Parfois quelque chimère alchimique le change en « glaire ».

Reste alors la présence trompeuse des lampadaires et des lampes pour tenter une percée au plus profond des nuits. Associés à « la fonderie des égouts », - la lumière peut-elle empester ? – les « lampadaires glauques » ne rassurent pas le souvenir des enfances. A Vitoria-Gasteis, ville du pays basque espagnol rongée par le vide et la fumée des usines, une lampe peine à éclairer « l’heure la plus pesante » quand « la nuit s’ouvre les chairs ». Rappelons enfin ce beau tercet reverdien qui mériterait à lui seul bien des lignes pour en explorer les suspens et leurs retentissements dans l’imaginaire :

          La lampe s’assemble

          Les chênes noirs ont été promis

          Bientôt tombe la mer

Et le lecteur de penser au proverbe chinois repris par Roland Barthes :  « le lieu le plus sombre est toujours sous la lampe ».

 

Des façades, des cours et des linges

Il est tentant d’opposer l’extérieur des façades à l’intérieur des cours. Et, sur le terrain mouvant de la psychanalyse, de confronter la conscience, même parcellaire, à l’inconscient forcément fangeux. Mais ce serait enfermer Xavier Girot dans de fausses dualités. Son œil multiple à la vision éclatée perçoit des « façades à dix formes » qui expriment les mouvements qui déplacent les lignes du réel*, au-dedans comme au dehors. Le relevé des épithètes est éloquent. Les façades, parfois [sûres mais vides] sont tour à tour bouffies, liquides, borgnes et pétrifiées. Si on les compare à des visages, entre veille et sommeil, les émotions sont difficiles à cerner, Xavier Girot n’étant pas non plus un affligé permanent. Quant aux cours et aux arrière-cours, dans leurs enfilades et leur fond caché, elles sont soit infirmes soit obscures. Les ombres n’y tiennent pas bien, qui restent après que les corps s’en sont allés. La ruine menace avec ses sortilèges surgis d’une mémoire impossible à nommer et c’est encore le vide, sans lieu ni figure.

Alors le linge. Ses quelques apparitions, plutôt fugitives, questionnent d’autant plus le lecteur qu’elles persistent dans son imaginaire. Ne cherchons cependant aucune pureté symbolique en lui. « Il vole aux balcons » et traverse les jardins, l’image est presque tranquille mais ne dure pas. Le voilà sur « les plaies banlieusardes », il « pue les odeurs tue-mousses » et, « le soir sur les fils », il évoque la « barbarie des morts humaines ». Dans le long poème en cinq mouvements Solitude des pierres, « des linges traînent, avec un immense vide tournoyant du ciel ». Ainsi associé au linge comme il l’est aux façades et aux cours, le vide est peut-être ici la quête en creux d’une sorte de plénitude, liquide et minérale à la fois.

La terre et l’eau, comment elles font signe

Alors que les linges sautent aux yeux du chroniqueur dès la première lecture, c’est beaucoup plus lentement que le champ lexical de la terre et de l’eau imprègne ses perceptions. Les mots travaillent les peaux de l’écriture presque à leur insu et disséminent des terminaisons racinaires entre les couches. Immersion / émersion, ce va-et-vient depuis les commencements de toute littérature.

La scrutation des poèmes révèle quarante mots qui évoquent l’eau et quasiment autant apparentés à la terre. Voici les principaux concernant l’eau : abysse, brouillard, canal, crue, delta, estuaire, flaque, fleuve, givre, iceberg, mer, neige, nuage, ruisseau, torrent, tourbillon, verglas. Et maintenant ceux de la terre : ardoise, caverne, champ, charbon, colline, contrefort, craie, désert, falaise, jardin, montagne, pierre, plaine, poussière, suie.

« Je vis dans l’eau / ma terre est un tapis », écrit Xavier Girot dans son poème Feu à l’automne 1977. Les deux éléments sont intimement liés dans tous les entrelacs de la réalité. « La langue des terres », y compris dans la ville, existerait-elle sans « les visages de l’eau » ? Et le poète questionne la mémoire inaugurale de la pierre dont l’une des fonctions est d’être liquide. Une mémoire au « chant clair » avec un « regard d’eau ». La cosmogonie de Xavier Girot est un orpaillage de toutes les concrétions imaginables dans les replis des cavernes et des abysses et des confluences parfois tumultueuses réinventent des mythologies perdues.  Dans le chavirement de Babylone.  Et l’Abyssinie n’est pas si loin, avec ses mirages de semelles venteuses. « De jeunes génies sans amour » iraient là-bas « relever le pain du monde dans des déserts ». Mais que s’agit-il vraiment de féconder ? En mai 1981, le jour de l’attentat contre le pape Jean-Paul II, Xavier Girot assiste aux « mille accouplements de la terre et de l’eau ». Et la résurrection advient dans le [ciel recréé]. « Partout les êtres libres échangent leur joie, leur beauté sans honte, leur jeunesse innée ».

Puis, de nouveau, c’est le précipice. Puanteurs et infections font chavirer « la glace lourde de la nuit ». L’ici-bas et l’ici-maintenant ne réussissent pas au corps des hommes. La clé de la délivrance se trouve, qui sait, par-delà l’au-delà…

*Baudelaire

 

(à suivre)

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