dimanche 7 janvier 2018

Rémi Caritey, Les vertiges de la forêt

Résultat de recherche d'images pour "rémi caritey"Enfant, déjà, Rémi Caritey répondait à "l'appel de la forêt" dans ses Vosges natales. Adulte, la magie des arbres est toujours sa compagne. Depuis les racines fouissant les humus jusqu'aux plus hautes branches qu'il explore afin de prélever des graines destinées au reboisement.

Biologiste et botaniste, Rémi Caritey est dans le même temps poète, historien des mythes sylvestres et philosophe proche de l'Américain Thoreau. Ses pérégrinations dans les forêts de France font écho aux lenteurs africaines où murmurent les arbres à palabres. En solitaire ou en groupe très restreint, il escalade aussi bien le fromager que le chêne, écoute le petit peuple des insectes sous l'écorce et le cerf qui brame, recueille les mille et un langages des troncs et des houppiers. Parfois, tout en partageant le vin et les histoires, il "construit un feu" qui ajoute encore au mystère de la création.

Les vertiges de la forêt de Rémi Caritey, introduit par un long exergue de Claude Lévi-Strauss, est un livre ardent dans son humilité même. L'homme n'est qu'un maillon parmi d'autres dans le grand agencement de l'univers. Mais, il faut plus que jamais le rappeler, le plus redoutable des prédateurs. Tel arbre dans la savane peut se défendre si un koudou trop gourmand dévore tous ses fruits. Il ne peut rien en revanche contre les tronçonneuses des multinationales de la filière bois.
Un jour qui sait, n'en pouvant plus des humains, Rémi Caritey imitera l'un de ses héros favoris, le baron perché d'Italo Calvino : il ne descendra plus de son arbre. C'est un bel endroit pour donner des leçons de sciences et de philosophie. Sur la longévité fragile de l'olivier ou du baobab. Sur les frémissements  de la lumière et des ombres éparpillées parmi les branches. Sur le visible et son revers à deviner.

Extrait :

" Un souffle sur les cimes et me voici fourmi rivée à un brin d'herbe. La futaie ondule en balancements lents et décalés. L'arbre exprime ici sa capacité d'abandon aux caprices du vent, et sa confiance ultime dans la force de cohésion du groupe. J'aimerais entendre ce qui se passe au coeur du bois, les frictions micrométriques de chacune des fibres lignifiées dont les chaînes s'étirent et se contractent. Mais à vif, au contact de l'écorce, le message est physique : l'arbre se joue de mon poids. Je me grise de l'ondulation puissante, de la souplesse organique du tronc, comme agrippé au col d'un troll endormi, dodelinant d'un sommeil antique. "

Le lecteur appréciera ici le subtil mélange des notations scientifiques et des envolées poétiques ancrées à la cohorte des siècles. Des souvenirs lui viendront des lectures de Reclus et de Thoreau, accompagnés d'un peu de joie pour accomplir les besognes du jour.

Les vertiges de la forêt, sous-titrés "Petite déclaration d'amour aux mousses, aux fougères et aux arbres" est publié par les éditions Transboréal dans la collection "Petite philosophie du voyage". Il coûte 8 €.

image transboreal.fr


jeudi 4 janvier 2018

Jim Harrison, Nord-Michigan

Résultat de recherche d'images pour "nord michigan harrison"Joseph, fils d'immigrés suédois et estropié, enseigne sans conviction dans une école du Michigan. Il occupe son temps libre aux travaux de la ferme familiale mais préfère la pêche comme son père prématurément décédé. Il boit beaucoup aussi, en compagnie du médecin de famille, philosophe désenchanté. Il lit ses poètes préférés, Withman et Keats, écoute de la musique classique et répare obstinément le vieux cuir d'une vieille selle. Depuis plus de vingt ans, il a une liaison amoureuse avec sa collègue Rosealee. Une liaison trop tranquille. Qui finira par un mariage mais quand ?

L'irruption de Catherine dans le train train de Joseph chamboule tout. Elle est son élève, n'a que dix-sept ans et un corps de rêve. Elle aime faire l'amour dans toutes les positions et toutes les circonstances. Danger. Grand danger. La société rurale des années cinquante n'est pas portée sur la gaudriole, a fortiori avec des mineures. Tôt ou tard, les frasques de Joseph seront connues de tous... Danger. Grand danger.

Sachant que la mère de Jim Harrison était d'origine suédoise et que son père travaillait dans le domaine agricole, le lecteur peut deviner dans Nord-Michigan de nombreux éléments autobiographiques. La mort d'une jeune soeur notamment. Il appréciera aussi les descriptions de paysages giboyeux, les scènes de genre à la taverne ou à la chasse, les évocations de la guerre en Corée, les espoirs de vie meilleure après les privations de la crise économique.

Du bon Harrison. Disponible en 10/18.

dimanche 17 décembre 2017

Mario Rigoni Stern, Les saisons de Giacomo

Résultat de recherche d'images pour "les saisons de giacomo"Lire et relire Mario Rigoni Stern est toujours un enchantement. Dans Les saisons de Giacomo, il évoque la vie laborieuse d'un village de haute montagne en Vénétie pendant les années trente. Giacomo et sa mère récupèrent les métaux enfouis dans le sol depuis la fin de la Grande guerre, cependant que le père travaille en France pour améliorer, un peu, l'ordinaire à son retour. Le cuivre, particulièrement recherché, rapporte jusqu'à deux lires le kilo. Les cartouches, quand elles sont intactes et en nombre suffisant, constituent un gain appréciable. 
Souvent, autour d'un squelette, (et ils sont nombreux), un reste de vareuse ou un brodequin hors d'usage apparaissent. Plus rarement un médaillon, une montre. Les mines des récupérateurs se font plus graves. Des morts en souvenir. Des morts à venir. Une autre guerre se prépare, vingt ans à peine après la première. Giacomo, tout juste sorti de l'adolescence, y survivra-t-il ? Que deviendra Irene, son amoureuse, occupée à constituer petit à petit son trousseau de mariage ?
Mario Rigoni Stern, "documentariste" autant que romancier, décrit précisément les travaux des montagnards et leur gain, la construction d'un monument à la gloire des soldats morts au combat (et du Duce), les beautés des paysages sous la neige ou le chant du coucou lorsque le printemps reverdit. Il détaille aussi les ramifications administratives de l'Etat fasciste et son emprise sur les esprits dès l'école dont les enseignants en uniforme organisent des marches au pas de l'oie.
Primo Levi déclarait que "le fait que Mario Rigoni Stern existe est en soi miraculeux". Paolo Cognetti auteur de Les Huit montagnes lui voue une admiration sans bornes. Nous ne doutons pas, en effet, du caractère universel de cette oeuvre qui témoigne de l'humilité des hommes devant les fracas de l'Histoire avec sa grande hache.
Les saisons de Giacomo de Mario Rigoni Stern sont disponibles en Pavillons poche des éditions Robert Laffont pour la somme de 8, 50 €. Notons également que les belles éditions de La fosse aux ours ont récemment republié ses recueils de nouvelles.

image laffont.fr

mercredi 13 décembre 2017

Ecrivains, qu'avez-vous appris à l'école ?

Ci-dessous, une liste d'écrivains français et francophones du XXème siècle à aujourd'hui avec les études qu'ils ont faites, ou pas, avant de commencer ou de poursuivre leur oeuvre. La plupart des grands auteurs y figurent et cela dans tous les genres (roman, nouvelle, poésie, théâtre, essai). L'absence de certains s'explique par le manque de détails biographiques sur Internet (Edmond Jabès par exemple), ou par un oubli de ma part (Annie Saumont par exemple). Ne souhaitant pas dresser de barrière entre littérature savante et littérature populaire, des romanciers de science-fiction et de polar côtoient les oeuvres les plus prestigieuses de la littérature dite blanche. En revanche, j'ai banni de cette liste les machines industrielles que sont les inusables Musso, Pancol et autres Lévy...

Cette micro recension n'a aucune prétention scientifique et le lecteur l'interprétera comme bon lui semblera. La présence de 28 autodidactes (sur 200 auteurs) dans cette liste m'oblige cependant à préciser ce que j'entends par "autodidacte". Je comprends le terme au sens sociologique le plus large. Quelqu'un qui fait des études secondaires médiocres et obtient son bac au rattrapage voire l'année suivante peut être considéré comme autodidacte s'il ne poursuit aucunes études supérieures. Des écrivains aussi admirés que Camus ou Gide, du fait de parcours tourmentés avec de longues interruptions, pourraient être considérés comme autodidactes. Bien sûr, être autodidacte n'empêche nullement de briller dans tel ou tel domaine scolaire. Georges Simenon, comme un certain Rimbaud, était un excellent élève mais il ne supportait pas les contraintes de l'institution éducative. Il est loin d'être un cas isolé. Patrick Modiano s'est inscrit en études de lettres mais n'aurait assisté à aucun cours. Il me semble enfin important d'évoquer l'environnement culturel de ces autodidactes. Certains, comme Marguerite Yourcenar, bénéficiaient dans leur entourage immédiat de "leçons" au plus haut niveau, en feuilletant les ouvrages de la bibliothèque familiale avec le père ou la mère. Les rencontres, fortuites ou suscitées à l'adolescence, d'aînés ayant réussi "dans la carrière des lettres", ont largement favorisé l'éclosion de talents précoces.

Amusez-vous à butiner dans ces parcours parfois surprenants. Claude Simon aurait-il été le même Claude Simon s'il n'avait pas étudié et exercé la viticulture ? Frédéric Beigbeder se serait-il avéré meilleur écrivain s'il n'avait pas étudié le marketing ? Ce qui pose la question de la prise en compte ou non de la biographie dans l'approche d'une oeuvre...Vous noterez enfin une importante représentation des études de droit et de sciences politiques. Sans doute restent-elles la voie royale pour réussir dans les milieux les plus aisés... "Passe ton droit d'abord ; tu écriras ensuite."









Andrevon Jean-Pierre : études d'arts décoratifs
Angot Christine : études d'anglais et de droit
Annocque Philippe : études de lettres (agrégation)
Apollinaire Guillaume : autodidacte
Aragon Louis : études de médecine
Artaud Antonin : autodidacte
Audeguy Stéphane : études d'arts plastiques et de cinéma
Audiberti Jacques : autodidacte
Avon Sophie : études d'art dramatique (cours Florent)
Barbery Muriel : études de philosophie (agrégation)
Barjavel René : autodidacte
Baroche Christiane : études d'ingénieur (Institut Curie)
Barthes Roland : études de lettres, grammaire et philologie
Bataille Georges : études de théologie et d'histoire
Beck Beatrix : études de droit
Beckett Samuel : études de lettres françaises, anglaises et italiennes
Beigbeder Frédéric : études de sciences politiques et de marketing-publicité
Belletto René : études de lettres
Ben Jelloun Tahar : études de philosophie et de psychologie
Bens Jacques : études de zoologie
Benson Stéphanie : études de psychologie et de russe
Bergounioux Pierre : études de lettres (agrégation)
Biga Daniel : études d'arts plastiques
Blanchot Maurice : études de philosophie et de médecine
Bobin Christian : études de philosophie
Bon François : études d'ingénieur mais n'obtient pas son diplôme
Bordage Pierre : études de lettres (échec à la maîtrise)
Bosco Henri : études de lettres, de musique et d'italien (agrégation)
Bouraoui Nina : études de philosophie et de droit
Bouvier Nicolas : études d'histoire, de sanskrit et de droit
Breton André : études de physique, chimie et sciences naturelles
Brussolo Serge : études de lettres et de psychologie
Bonnefoy Yves : études de mathématiques et de philosophie
Butor Michel : études de lettres et de philosophie
Caillois Roger : études de lettres et de grammaire (agrégation)
Calaferte Louis : autodidacte
Camus Albert : études chaotiques pour cause de maladie
Carco Francis : autodidacte
Carrère Emmanuel : études de sciences politiques
Caster Sylvie : études de journalisme et sciences politiques
Cavanna François : autodidacte
Céline Louis-Ferdinand : études de médecine
Cendrars Blaise : études de médecine
Césaire Aimé : études de lettres
Chardonne Jacques : études de droit et de sciences politiques
Chedid Andrée : études de journalisme
Chessex Jacques : études de lettres
Chevillard Eric : études de journalisme
Cioran Emil : études de philosophie
Claudel Paul : études de droit
Claudel Philippe : études de lettres (agrégation)
Clément Catherine : études de philosophie (agrégation)
Cohen Albert : études de droit
Condé Maryse : études d'anglais
Crevel René : études de lettres et de droit
Curval Philippe : autodidacte
Cusset Catherine : études de lettres (agrégation)
Daeninckx Didier : agrégation
Darrieussecq Marie : études de lettres (agrégation)
Deck Julia : études de lettres
Delaume Chloé : études de lettres
Delvaille Bernard : études de sciences politiques
Déon Michel : études de droit
Depussé Marie : études de lettres (agrégation)
Desbordes Michèle : études de lettres
Desnos Robert : autodidacte
Dhôtel André : études de philosophie
Didier Marie : études de médecine
Djian Philippe : études de journalisme
Dorgelès Roland : études d'architecture
Dubois Jean-Paul : études de sociologie
Dugain Marc : études de sciences politiques et de comptabilité
Duhamel Georges : études de médecine
Dupin Jacques : études de droit
Duras Marguerite : études de droit et sciences politiques
Emaz Antoine : études de lettres
Echenoz Jean : études de sociologie
Enard Mathias : études à l'Ecole du Louvre, d'arabe et de persan
Faye Estelle : études de théâtre
Ferney Alice : études de sciences économiques
Forêts Louis-René des : études de droit et de sciences politiques
Gary Romain : études de droit et préparation militaire
Gaudé Laurent : études de lettres
Genet Jean : autodidacte
Germain Sylvie : études de philosophie (avec Levinas)
Gide André : études chaotiques pour cause de maladie, bac philosophie
Giesbert Franz Olivier : études de droit et de journalisme
Giono Jean : autodidacte
Giovannoni Jean-Louis : études d'assistant social
Giraudoux : études de lettres et d'allemand
Glissant Edouard : études de philosophie (avec Bachelard)
Goffette Guy : études d'instituteur
Gracq Julien : études de philosophie, sciences politiques, histoire et géographie
Grainville Patrick : études de lettres (agrégation)
Granotier Sylvie : études de lettres et d'art dramatique
Grosjean Jean : études de théologie (prêtre)
Guitry Sacha : autodidacte
Holder Eric : autodidacte
Houellebecq Michel : études d'agronomie et de photographie
Huston Nancy : études en sciences sociales (avec Barthes)
Izzo Jean-Claude : autodidacte
Jaccottet Philippe : études de lettres
Jacob Max : études de droit
Jardin Alexandre : études de sciences politiques
Jauffré Régis : études de philosophie
Jenni Alexis : études de SVT (agrégation)
Jonquet Thierry : études de philosophie et d'ergothérapie
Jourde Pierre : études de lettres (agrégation)
Juliet Charles : études de médecine
Kérangal Maylis de : études d'histoire, de philosophie et d'ethnologie
Khadra Yasmina : études militaires interarmes
Koltès Bernard-Marie : autodidacte
Kundera Milan : études de lettres et d'esthétique
Lainé Pascal : études de philosophie (agrégation)
Lamarche Caroline : études de philologie romane
Lambrichs Louise : études de philosophie
Larbaud Valéry : études de lettres
Laurens Camille : études de lettres (agrégation)
Léautaud Paul : autodidacte
Le Clézio Jean-Marie Gustave : études de lettres, histoire et langues rares
Leduc Violette : autodidacte
Leiris Michel : études de philosophie et de chimie (abandonnées)
Lépront Catherine : études d'infirmière
Leroux Gaston : études de droit
Loti Pierre : études militaires (école Navale)
Louis Edouard : études d'histoire, philosophie et sciences sociales
Mabanckou Alain : études de droit
Maillet Antonine : études d'arts plastiques
Malet Léo : autodidacte
Malraux André : autodidacte (même pas le bac)
Manchette Jean-Patrick : autodidacte
Martin du Gard Roger : études de paléographie
Mauriac François : études de lettres
Mauvignier Laurent : études d'arts plastiques
Merle Robert : études de philosophie, lettres et anglais (agrégation)
Metz Thierry : autodidacte
Michaux Henri : abandon des études de médecine
Michon Pierre : études de lettres
Mingarelli Hubert : autodidacte (engagement dans la marine)
Modiano Patrick : études de lettres mais n'assiste à aucun cours
Moix Yann : études de commerce, philosophie et sciences politiques
Nothomb Amélie : études de droit et de philologie (agrégation)
Olmi Véronique : études d'art dramatique
Ormesson Jean d' : études de lettres histoire et philosophie (agrégation)
Ovaldé Véronique : études de lettres
Pagano Emmanuelle : études d'arts plastiques et de cinéma
Pagnol Marcel : études de lettres et d'anglais
Pancrazi Jean-Noël : études de lettres (agrégation)
Paulhan Jean : études de psychologie et de langue malgache
Pautrel Marc : études de droit
Pennac Daniel : études de lettres
Perec Georges : études de lettres
Perros Georges : études de piano et d'art dramatique
Picouly Daniel : études de comptabilité, droit et économie
Pinget Robert : études de droit
Pirotte Jean-Claude : études de lettres et de droit
Ponge Francis : études de philosophie (échec à la licence)
Pontalis Jean-Bertrand : études de philosophie (agrégation)
Prévert Jacques : autodidacte
Prigent Christian : études de lettres
Proust Marcel : études de sciences politiques et de philosophie (avec Bergson)
Queffélec Yann : études de navigation à voile
Quignard Pascal : études de philosophie
Rahmy Philippe : études d"égyptologie et de médecine
Réza Yasmina : études de théâtre et de sociologie
Robbe Grillet Alain : études d'agronomie
Rodanski Stanislas : autodidacte
Rolland Romain : études d'histoire (agrégation)
Romains Jules : études de philosophie (agrégation)
Rouaud Jean : études de lettres
Roubaud Jacques : études de mathématiques et de lettres
Roux Annelise : études de sciences politiques, histoire de l'art et ethnologie
Rouzeau Valérie : études de lettres
Sabatier Robert : autodidacte
Sagan Françoise : autodidacte
Saint-Exupéry Antoine (de) : études d'arts plastiques et d'architecture
Saint-John Perse : études de droit
Sallenave Danièle : études de lettres (agrégation)
Salvayre Lydie : études de lettres et de médecine (psychiatre)
Sansal Boualem : études d'ingénieur et d'économie
Sarraute Nathalie : études d'anglais, histoire, sociologie et droit
Sarrazin Albertine : études chaotiques pour cause de maladie
Sartre Jean-Paul : études de philosophie (agrégation)
Schneck Colombe : études de droit et de sciences politiques
Senghor Sédar Léopold : études de lettres et de grammaire (agrégation)
Serena Jacques : études d'arts plastiques
Simenon Georges : autodidacte
Siméon Jean-Pierre : études de lettres (agrégation)
Simon Claude : études de peinture et viticulture
Simonin Albert : autodidacte
Sollers Philippe : études de sciences économiques et de lettres
Supervielle Jules : études de lettres
Tesson Sylvain : études de géographie et de géopolitique
Valéry Paul : études de droit
Vautrin Jean : études de lettres et de cinéma
Vian Boris : études d'ingénieur (Centrale)
Vigan Delphine de : études de sciences de l'information et de la communication
Weyergans François : études de cinéma (IDHEC)
Wiasemsky Anne : études de philosophie (avec Francis Jeanson)
Yourcenar Marguerite : autodidacte        

samedi 9 décembre 2017

On a perdu aussi le chemin des fossés

Résultat de recherche d'images pour "oiseaux en vol"On a perdu aussi le chemin des fossés. Ils ne disent plus rien des enfances croupies. Il faudrait prendre les oiseaux de vitesse, secouer les rires alanguis de nos dix ans autour des margelles où l'ennui gauchissait la lumière. Inventer des idées de voyage dans le miroir de l'eau. Son visage arrêté. Des souvenirs de mantes encore sous l'horizon des coteaux. Leur attente dans l'herbe couchée, des lames au fond des yeux. Comment fuir quand le ciel même se dérobait ? En quel repli de soi découvrir un refuge ? Parfois, dans les contrebas du chemin, une silhouette passait sans me voir et mes gestes restaient coupés. Cette image-là toujours, que mes mots font durer.
Il reste beaucoup à traverser de soi jusqu'au soir, beaucoup à apprivoiser des faux silences.
L'herbe fait des faux plis dans la lumière. L'air couvera bientôt les braises du jour. Mon cœur se serre. Mon sang est une poix, le nuage du sable dans ma bouche. « Tu seras bientôt conscient d'une absence qui grandira près de toi comme un arbre ». L'absence du père disparu en des sables lointains, gorge tranchée. L'absence de la mère au ventre trop fiévreux. Fardeau de l'ormeau mort qu'on n'a pu essoucher, des gestes coupés avant le premier souffle. On y creuse avec des mots sans élan.
On attendra la mort pour grandir.
J'invente dans la marche des mémoires d'avant moi, des ombres penchées sur des silences, des bouches fermées contre des puits.  Un chien jaune y tourne et s'hypnotise. Les mots de ma mère ont trop manqué de gestes. La lumière ne fixe pas les marges du chemin. Aucune mémoire ne m'appartiendra jamais. Les heures vides se sont assourdies. La fatigue n'entend plus ni les feuilles ni l'eau, tous les corps s’égarent dans des traverses.

On reste comme un point sur une ligne sans fuite, on ne cherche aucun lieu sûr

image pixabay.com

vendredi 8 décembre 2017

Jean-Baptiste Pedini, Trouver refuge

Résultat de recherche d'images pour "trouver refuge pedini"Une sourde inquiétude traverse les paysages de l'arpenteur Jean-Baptiste Pedini dans son dernier recueil Trouver refuge. Le pas se fait lourd dans la glaise même si la vie est à peu près légère. Une peur pourrait venir. Elle vient. Et le silence comme une peau a d'étranges étirements.
Rien ne tonitrue dans la langue de Pedini. La mélancolie va à bas bruit avec l'enfance sur le dos. Celle qu'on a portée et porte encore. Celle qui nous prolonge. Mais on ne renonce à rien dans la marche des jours. Le refuge se trouve là où le veut la volonté en sa lucidité. "On fait avec ce qu'il reste", écrit l'arpenteur, "au chevet des souvenirs".
A l'égal de celle de Thierry Metz, la poésie de Pedini nous émeut par sa simplicité nue. Aucune tricherie dans ses notations souvent lapidaires qui dressent le constat du réel. Et c'est toute la vérité friable et puissante de l'humain qui nous apparaît. De là, peut-être, vient le vertige du lecteur, dans cette transparence à la limite du soutenable, avec tout ce tragique en embuscade, comme une bête ou un grain de poussière. "On ne sait pas ce qui coince."

Extraits :

Délier le paysage. Si l'angoisse de vivre tient. Si le désir s'étiole, on peut se contenter d'en picorer les miettes. Un rejet curieusement seul dans les branches du cerisier. Une langue sèche au fond du puits. Les paniques en fleurs. Et les ronces dedans. Et la fragilité des pierres.
On peut s'en contenter. Faire des fenêtres un temps mort.

*

Tant de regards pour rien. Tant de paysages rétrécis pour contenir la peur. Ecouler le peu de chaleur qui subsiste au-delà. Pour faire face peut-être.
Ici on manque d'air. Les champs gonflés d'obscurité remuent tout doucement. Une impression froisse les mots. On recule sans cesse les contours maigres de l'absence, mais ça ne change rien. 
La nuit au fond des yeux reste entière.

*

Trouver refuge de Jean-Baptiste Pedini, préfacé par Jean-Claude Dubois, est publié aux prestigieuses éditions Cheyne. 17 €.

mercredi 6 décembre 2017

La revue Phaéton, livraison 2017

Résultat de recherche d'images pour "éditions phaéton, 2017"La revue Phaéton, sous la houlette de l'écrivain Pierre Landete, nous revient cet automne avec un fort volume consacré à la ville de Bordeaux. La première partie constitue un ensemble de contributions universitaires.

Jean-Rodolphe Vignes évoque l'exil à Bordeaux de Gabriel de Tarega, médecin victime de l'Inquisition à la fin du quinzième siècle en Espagne, et le développement parfois tumultueux de l'hôpital Saint-André. Cet article très documenté pourra faire penser aux aventures de Zénon dans L'oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar.
Viennent ensuite deux études très détaillées, (Charles-Henry Cuin, Gérard Hirigoyen et Amélie Villéger), sur Emile Durkheim installé à la faculté de Bordeaux mais impatient de rejoindre la Sorbonne pour faire connaître la sociologie naissante.
Résultat de recherche d'images pour "ludovic trarieux"Le lecteur retiendra aussi l'hommage rendu à Ludovic Trarieux par Robert Badinter en 1984 grâce à la verve de Bertrand Favreau dans son texte intitulé L'inauguration. Garde des Sceaux en 1895, Ludovic Trarieux prend courageusement la défense de Dreyfus et se retrouve au ban de sa famille politique dévorée par l'antisémitisme. N'ayant pas la plume aussi acérée que celle de Zola, son combat connaît un retentissement moindre mais le conduit à fonder la Ligue française des droits de l'homme et du citoyen en 1898. Près d'un siècle plus tard, l'hommage de Robert Badinter n'est pas unanimement applaudi. La gangrène antisémite corrompt toujours certains esprits. La veuve d'un ancien bâtonnier lâche ce trait glaçant : "Après tout Dreyfus n'était peut-être pas coupable".

La partie centrale de la revue est consacrée aux écrivains qui ont séjourné ou vécu à Bordeaux, de la fin de l'Antiquité à nos jours. On retrouve Ausone, les inséparables Montaigne et La Boétie, le romantique allemand Hölderlin, la féministe Flora Tristan que la bourgeoisie bordelaise haïssait, Jean de la Ville de Miremont fauché par la guerre en 1914, et, plus près de nous, Jean Vautrin le gouleyant, Thierry Metz l'incomparable ou, encore, Jean Forton dont Pierre Veilletet (absent de cette brève anthologie) était l'un des plus fidèles admirateurs. Quelques auteurs vivants sont également présents dont Florence Vanoli, Brigitte Giraud, Eve de Laudec et Isabelle Mayereau, parolière et chanteuse qui connut la notoriété à la fin des années soixante-dix.

La dernière partie réunit des textes sans liens précis : traité d'héraldique, nouvelle policière, glossaire du bordeluche et questionnaire de Proust parmi d'autres curiosités. Notons plus particulièrement, sous la plume ciselée de Patrick Rödel, les relations ambivalentes que François Mauriac entretint toute sa vie avec Bordeaux ville de son enfance. " On oublie trop souvent que l'essentiel des romans mauriaciens n'ont pas Bordeaux pour cadre, mais ces bourgs des Landes où l'ennui est le terreau des plus sombres passions."

Enfin, Phaéton accorde une place non négligeable aux illustrations. La photo en médaillon de la couverture nous montre la fameuse Jaguar en équilibre au bord du vide dans un étage du parking cours Victor Hugo. On note aussi un dessin de Goya, autre exilé à Bordeaux, une gravure du temple des Piliers de Tutelle fort apprécié d'Ausone, une Nature morte et bouteille vide de Geneviève Larroque, un mascaron de la Place de la Bourse, une photographie de la Cité du vin signée Letizia Felici, une toile d'Alfred Smith montrant Le quai de Bordeaux, le soir en 1892...

La revue Phaéton est disponible dans les librairies bordelaises et parisiennes ( Les cahiers de Colette, 4ème ; Librairie Pippa, 5ème ; Amalivre, 15ème et Librairie de Paris, 17ème). Egalement sur internet pour la somme de 20 €.

image phaéton cervantes.fr
image Ludovic Trarieux dreyfus-culture.fr

dimanche 3 décembre 2017

Sandra Lillo & Cédric Merland, Le silence coule sous les branches

Découvrir de nouveaux talents, comme découvrir de nouvelles terres, me transporte dans l'étonnement des premiers matins du monde. Ainsi, la poésie simple et puissante de Sandra Lillo (reverdienne parfois) et la lumière nuageuse des images de Cédric Merland, apprivoisée avec le noir dans Le silence coule sous les branches.

Sandra Lillo regarde les paysages comme elle regarde des visages. Elle est aussi regardée par eux quand elle [range dans des valises imaginaires / les routes les paroles rabattues / la poussière des étés perdus]. Tout un va-et-vient fragile entre la mémoire des chambres "dans lesquelles l'enfance dort" et les trouées des fenêtres, avec en bruit de fond les rumeurs de la mer et le frémissement des grands arbres au passage des ambulances. La douleur aussi est en maraude, dans la fatigue, dans le silence, dans l'impuissance de naître vraiment. Mais naître à quoi ?

En résonance, en chambre d'écho pourrait-on dire, les images de Cédric Merland nous livrent les tourments de la lumière en prise avec le noir. Des lignes souvent dessinent des géométries ouvertes ou fermées, (barrière, grillages, bande blanche au mitan du bitume, bastingage en demi-lune, fils électriques oblitérant le ciel ou réverbère sous le crachin des nuages...) Nul apprêt dans ces images de hautes solitudes sous le firmament trop vaste, seulement cette prescience du regard, cette anticipation de l'instant qui vient. Même quand les horloges rouillées nous renvoient à nos chimères qui, elles aussi, participent de cette naissance qui n'en finit pas.

Ce magnifique ouvrage de Sandra Lillo et de Cédric Merland, au format carré, est présenté dans une boîte-coffret. Les pages, non numérotées, non reliées, peuvent s'assembler selon les hasards de la lecture, les émotions, les intuitions suscitées au gré des agencements. L'impression des photographies, très soignée à en juger par la profondeur des noirs, fait de ce livre-objet une authentique oeuvre d'art.

Nous saluons le travail d'infinie patience de l'éditrice Valérie Ghévart à l'enseigne de La Centaurée pour ce superbe tirage.

Extraits : 

On retient ce qui reste

à l'intérieur des cordes tendues par
le monde

une lampe allumée dans la nuit un
souvenir

comme une minute qui ne s'achève
pas

La mer est toujours derrière nous 

*

Le lampadaire éclaire l'arbre devant
la fenêtre

le vent chuinte dans ses feuilles le
sommeil d'une forêt entière

Tu ne veux pas fermer les yeux
la nuit du dedans éteint les étoiles

la terre ne suffit pas

*

Vapeurs d'eau de terre mouillée
au bas des fenêtres

l'orage gronde de loin en loin

Tu aimerais que tout s'arrête
les claquettes du manège sur la place
du marché

l'homme qui crie dans la rue le soir
qu'on lui ouvre la porte ou les veines

les jeux de dames jamais
terminés

*

Le silence coule sous les branches, aux éditions La Centaurée, coûte 24 €. Une excellente idée pour un cadeau original à Noël.

Aucune image disponible sur Internet. C'est dommage !

dimanche 26 novembre 2017

Murièle Modély, Tu écris des poèmes

Murièle Modély, en évoquant l'île de la Réunion où elle est née,  pourrait reprendre le célèbre mot de Kafka à propos de Prague : " Cette petite mère a des griffes."
Dans Tu écris des poèmes, son sixième recueil publié, l'auteure de Penser maillée questionne de nouveau l'acte d'écrire. Et l'île grandit avec le poème dont la langue résiste au plus profond des plis du corps. " tes poèmes sont / n'importe quelle partie de ton corps / n'importe laquelle / une jambe / un rein / un os / n'importe laquelle / sauf la tête. 

La poésie modélienne, hachée menu ou en longues traînes, resserrée ou éparpillée est une texture-mixture travaillée par les fluides, les sucs, les menstrues, les pulpes et les morsures. Un corps-à-corps avec ce qu'il y a d'inaudible et d'étrange-étranger dans les plaies du quotidien. 

Bien sûr, Murièle Modély s'égare dans cette triangulation de l'île, du corps et du poème. La quête est d'autant plus infinie que l'être Modély n'est pas certain d'être ce qu'il est. Dans la deuxième partie du livre intitulée à la lettre, l'auteure s'amuse, entre ironie et amertume avec les consonnes et les voyelles de son nom. Qui pourrait bien être mrlmdl ? Qui se cacherait derrière uieeoey ? Un nom pareil n'est pas prononçable, n'est pas appelable : il n'existe pas !

Dans la dernière partie, des signes, essentiellement constituée de proses, chaque texte s'ouvre-ferme par des signes entre crochets : [ ? ], [ ( ) ], [ ; ]... Et le lecteur (mais il s'en doute) découvre que Murièle Modély, même si elle ne dédaigne pas le cru et le trash des sécrétions glandulaires, écrit aussi, et ô combien, avec sa tête. Pour répéter encore et encore l'incertitude, l'impuissance de l'être avec la lettre.

Extraits :

tu écris des poèmes dans une profusion d'odeurs, de
couleurs
pour attraper le brin d'herbe et son suc
le souvenir ultime, premier
loin    loin
vibrant et lumineux comme le mot racine
dissimulé dans ta première dent de lait

*

tu dois pourtant les écrire
tes poèmes
tu n'as pas le choix
il te faut retranscrire
le sang qui palpite à tes tempes
(cliché)
le dérèglement des synapses
de la mémoire
il te faut mettre
sur la table
(poncif)
ce que ne peut le récit

*

[ , ]
parfois, quelque chose file, dans la poitrine, l'espace, entre l'inspiration, l'expiration, de la page, contre ses lèvres, tu ne sais pas vraiment, parfois, un postillon tombe, la phrase chute, fait une boucle, sursaute, accroche coeur, sur le menton, parfois tu comptes, tu recomptes, les champs ouverts, par la courbe des répétitions, tu fais semblant, les petits oui, les petits non, souffle coupé, sous la virgule, ton lent et mol émiettement,

Un bel ensemble avec un ton à nul autre pareil. Nous en recommandons vivement la lecture. Tu écris des poèmes (comme Penser maillée) est publié aux éditions du Cygne en lien sur ce blog, pour la somme de 12 €.

image éditions du Cygne