lundi 12 décembre 2022
Mila Tisserant, Contre-fugue
vendredi 9 décembre 2022
Jean-Christophe Belleveaux, Territoires approximatifs
Dans son recueil Territoires approximatifs, Jean-Christophe Belleveaux procède à des relevés du réel si mouvants qu'il peine à s'y [agrafer] tant "la part de l'ombre" brouille les lignes des géographies intimes et quotidiennes, que l'on vive sur l'île de Gorée ou celle de Sein. Difficile donc, de construire "une maison habitable...plutôt ouverte sur la mer (et sur la lumière) que torchée de mots, de mémoire, du fatras habituel".
La langue écrite constitue un empêchement qui condamne à "naviguer à vue dans l'approximation". Le torchis des mots ne fait pas longtemps trace quand leur sens reste "provisoire". Jean-Christophe Belleveaux met sans complaisance en accusation sa propre langue, allant jusqu'à juger sa poésie désaccordée. L'écriture est un cheval de Troie, dit-il. Sait-on jamais quelles fallaces en jailliront ! Peut-être "des fantômes...qui hantent l'imparfait de l'indicatif". Peut-être des "compléments circonstanciels [qui] se tortillent sur le tapis où gisent des pantoufles abandonnées".
Et nous touchons là à la dimension un peu grinçante du poète "prince sans rire" qui se définit d'emblée comme un "pouilleux, vérolé, biberonnant l'affreux sauvignon". Et pratique une salutaire auto-dérision. Ainsi, dans son poème a pulso lento lors d'un voyage à Gran Canaria : "il convient de rester l'idiot qui photographie un coin de rue", tout en sirotant une bière accompagnée d'olives fourrées aux anchois.
La défiance que Jean-Christophe Belleveaux éprouve envers le langage et la langue n'enlève cependant rien à la richesse de sa palette. Le lecteur la découvre parfois classique, dans le texte territoires qui ouvre la deuxième partie du livre par exemple, ou, dans Fusée, tour à tour étirée comme une pâte molle ou compressée comme une sculpture de César. De nombreux procédés d'accumulation et l'usage assez fréquent d'apartés entre parenthèses dans les textes les plus longs se prêtent à une lecture oralisée. Accompagnée pourquoi pas d'un dispositif scénique où le spectateur, rêvant devant une carte de géographie, se prendrait pour Savorgnan de Brazza. Jean-Christophe Belleveaux maîtrise également l'art du bref avec suspens. Ces passages, par exemple, dans côté sud, à côté : "on prend le train / comme une suite / à donner / sait-on /// dans les mailles / de l'être / l'émail des mots / les murs d'hôtel / dans". Pour dire ce qui manque, à chercher dans l'inachevé, en soi et à l'autre bout du monde, en Indonésie ou au bord du Mékong.
Extraits :
Rome
enfermé dans l'obligation d'être, on s'ébroue le soir venu, dans la conversation de soi avec soi, on secoue les apparences aux abords de la gare - quartier des pensions bon marché - pour se donner l'illusion d'une sincérité qui tient debout
débarrassé de ses oripeaux, l'ossature est bien maigre au milieu des véhémences, dans la décomposition lente de l'être, on mastique un carré de pizza bianca ; et le vide
*
perdre son temps n'est-il pas toujours déjà perdu s'ennuyer Voilà qui m'est équilatéral dirait quelqu'un car chacun va à ses plaisirs fussent-ils d'ennui et de gribouillis sur des carnets des coins d'enveloppes oui-da ! l'oeil n'ayant ni glycines ni papillons à savourer que le plâtre jauni des murs détapissés on baragouine solitairement on puise dans la flaque d'encre noire on éclabousse les dimensions
*
le sable ne s'arrête pas aux portes
pénètre la ville
on se tient sur le seuil d'un restaurant
dehors paraît jauni
on a soif
*
on croque des piments on boit du thé
on fait semblant
on ressemble
pour finir on regarde
la chaleur de la rue
les auvents sales des épiceries
tout cela
autre
Territoires approximatifs de Jean-Christophe Belleveaux est publié aux éditions Faï fioc dont on remarque la belle facture. L'ouvrage coûte dix euros.
mardi 6 décembre 2022
Belén Zavallo, Aspas/Pales
mercredi 23 novembre 2022
Christian Gailly, Nuage rouge
jeudi 17 novembre 2022
Philosophie magazine, Réparer la Terre ? (2)
LES NOUVEAUX PROMETHEE
Pour mémoire, dans la mythologie grecque, Prométhée vola le feu aux Dieux pour l'offrir aux hommes. Le feu est assimilé à la connaissance, laquelle pousse l'humain à un orgueil démesuré (hubris).
Le philosophe Dominique Bourg et l'économiste Emmanuel Hache débattent des politiques énergétiques et des solutions imaginables pour préserver l'habitabilité de la Terre. Ils questionnent les possibilités et les limites de la géo-ingénierie. Et partagent le même constat : l'énergie n'est pas produite par les humains, seulement captée, transformée et déplacée. Ces opérations demandent beaucoup d'énergie et de matériaux mais la finitude des ressources (cuivre, bauxite, cobalt, nickel...) constitue un obstacle indépassable. D'où l'appel du Giec en 2021 à la sobriété économique.
Les consommateurs sont-ils prêts à l'entendre ? Emmanuel Hache précise : "Les gouvernements créent des consommateurs schizophrènes auxquels on envoie le message selon lequel il faut réduire leur consommation, tout en prônant la croissance." Et comment aboutir à un consensus citoyen alors que la France, par exemple, "compte une dizaine de millions de précaires énergétiques" ? Si la contrainte porte surtout sur les ménages les plus pauvres, l'appel à la sobriété est inaudible, selon Dominique Bourg. La révolte des Gilets jaunes contre la taxe carbone en 2018 en témoigne.
Une réforme du contrat social, (centré sur le rapport à la biodiversité), couplée à une remise en cause de la fonction technologique loin des simplismes habituels (croyance aveugle dans la technique / retour à l'âge de pierre), pourrait ouvrir au futur un chemin plus durable. Emmanuel Hache observe que de grandes inventions et découvertes "ont fait avancer le monde et la société vers un mieux et non vers un plus". Dans le monde médical notamment. La pénicilline a permis un progrès significatif de l'Indicateur de Développement Humain. Mais une innovation technologique ne constitue pas forcément un progrès. Dominique Bourg dénonce l'innovation numérique qui "a complètement déstabilisé nos démocraties en fragmentant l'espace de l'information... il n'y a donc rien d'automatique à ce que les nouveautés techniques accroissent le bien-être".
Les deux débatteurs se retrouvent sur la nécessité d'une science agissante et éclairante. Le contexte géopolitique actuel ne s'y prête hélas nullement. La compétitivité pour l'accaparement des matériaux rares est de plus en plus sauvage. Dans un monde fragmenté entre pays développés et pays émergents, une politique climatique concertée verra-t-elle le jour ?
Dominique Bourg et Emmanuel Hache terminent cependant leur entretien sur une note moins pessimiste. "Dans beaucoup de pays, une sensibilité à la souffrance animale et au monde végétal émerge, ainsi que des droits de la nature". Le concept de préjudice écologique peut "nous empêcher d'emprunter les voies les plus consuméristes, qui compromettraient l'habitabilité de la Terre".
L'article suivant le débat s'intitule : Les ingénieurs vont-ils refroidir la Terre ? La géo-ingénierie propose des Technologies à Emissions Négatives pour capter le co2 de l'atmosphère. Soit par la dispersion en mer de sulfate de fer qui favoriserait la croissance d'algues absorbeuses, soit par le développement de ventilateurs dotés de filtres sur lesquels se déposeraient les particules.
Trois solutions sont également à l'étude sur la gestion du rayonnement solaire :
- Mettre en orbite des panneaux solaires afin de refroidir la Terre
- Accroître la réflectivité des surfaces terrestres afin de renvoyer une grande partie du flux solaire (en couvrant les montagnes d'un mélange de chaux, de sable et d'eau)
- Pulvériser des aérosols dans l'atmosphère grâce à une flotte d'aéronefs
Des solutions artificielles au plan local seraient-elles plus viables ?
- Créer des nuages réfléchissants censés réduire la température de la mer et protéger la Grande Barrière de corail australienne
- Installer en Arctique 10 millions d'éoliennes reliées à des systèmes de pompe pour augmenter l'épaisseur de la banquise
Toutes ces propositions sont débattues au sein de la communauté scientifique. Certaines semblent presque raisonnables quand d'autres sont carrément fantaisistes. Leurs effets négatifs sur le climat constituent un risque difficilement mesurable. Il ne s'agit pas de rejeter en bloc la géo-ingénierie ni de lui accorder une confiance totale. La volonté de modifier le climat n'est viable qu'au regard d'expériences validées par des observateurs indépendants et dans le cadre "d'une morale déontologique qui prescrit que l'on ne perde pas de vue le devoir - à savoir la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre".
Photo : Dômes intégrés à un système permettant de capter du dioxyde de carbone, à Hellisheidi, en Islande.
mardi 15 novembre 2022
Philosophie magazine, Réparer la Terre ? (1)
samedi 12 novembre 2022
Pier Paolo Pasolini, Ecrits corsaires
mercredi 9 novembre 2022
Michel Bourçon Corps habitable
Notons enfin, en couverture, la peinture saisissante d'Hubert Duprilot : un corps enchevêtré à son double qui le hante. Les bouches peuvent-elles seulement crier ? Et on pense à un autre peintre, Jean Rustin. Les mots de Michel Bourçon accompagnent ses corps défaits, enfermés : "Ils sont là, au bord de rien, n'éprouvant plus le besoin de crier, car ils savent qu'ici, pour soi, il n'y a personne, qu'après leur chute interminable, d'autres viendront pour rien, car nul n'est à sauver." (in Jean Rustin, la vie échouée, éditions la tête à l'envers)
mardi 8 novembre 2022
Combien de commencements inaperçus
Combien de commencements inaperçus
Dans la vie minuscule
Sous les allèges qui ne tiennent plus
Au creux des fissures
Où vont les petits peuples des animaux
Il s'en est fallu de peu croit-on
Pour que le regard s'attarde
A la naissance d'un brin d'herbe
Mais le chemin s'abolit déjà
Qu'on aurait pu voir
*
Ce qui n'est pas encore là dans un visage
Le regard en imagine l'instant
Et le réel s'y tient plus qu'ailleurs
Toute une petite philosophie du presque
Prend son branle si peu sûr
Mais voilà que surgit un chien courant
D'une allée qu'on n'avait pas vue
Et le visage ne tient plus qu'à un fil
*
Le réel serait une résille sans rien dedans
Quelles formes contiendrait-elle
Passées et à venir
L'arbre nu au coeur de l'hiver
S'étonne du vent décousu entre les mailles
Il attend que la neige ineffable
Donne au paysage des lignes provisoires
Où il saura se retrouver
*
Une lampe s'éteint dans la chambre
Un geste lisse le pli d'un drap défait
Un grain de plâtre va tomber du mur
Ces instants seront presque un ensemble
Qu'on voudrait arranger pour dire une
Présence
Avec un peu de mélancolie
On ricane
*
Pourquoi tant de mélancolie
Dans la rumeur des gares
Quand la lumière est un peu sale
On observe les pas perdus des attentes
On devine les visages presque défaits
Aucun trait ne saura les reprendre
La vie n'est plus tout à fait là
Et pas encore ailleurs
Même les pigeons sont suspendus
(In On voudrait dire suivi de Presque)
Photo de Ruben Markaryan