Quel plaisir de t'avoir retrouvé, tout sourire ou sérieux comme un pape, les mains dans les poches et la facétie aux lèvres, autour de la table ouverte pour les trente et un ans de ton père. A bientôt huit ans, tu grandis dans ton corps et dans la langue. Tu commences tes phrases par " en fait ", tu ornes d'un " gavé " sonore les joies de l'épithète. Tu évoques la possibilité d'un plan B ou d'un plan C si le plan A débouche sur une impasse. Tu aimes l'interminable cohorte des nombres et les sauts qu'on peut faire avec, comme à dos de mouton par-dessus les dizaines.
Il régnait ce soir-là, malgré un ciel trop bas, des parfums calmes et sereins ; les toasts portés à la vodka venue d'Arménie nous caressaient l'âme.
Et tu découvres l'amour. Ta belle s'appelle Elyana. Tes yeux brillent quand tu la vois, quand tu l'entends, quand la maîtresse prononce son prénom.
Tu l'as dit : " J'ai les yeux qui brillent."
Nous, les adultes, nous avons ri, et, pour un peu, tu te serais renfrogné. Mais nous ne nous moquions pas de toi. Peut-être retrouvions-nous dans tes mots un brin de nos enfances perdues.
L'amour ! Ah ! l'amour ! Qu'en savons-nous de plus que toi aujourd'hui ? Rien. Nous ne sommes plus des enfants mais nous demeurons des êtres perdus. L'amour, non, nous n'en savons rien. Il nous émerveille, il nous effraie, il nous mène à la beauté ou à l'épouvante, tout caparaçonné de son mystère.
Voilà, mon Ruben Shreck, que cette quatrième lettre t'accompagne sur ton chemin ; il y en aura d'autres puisque ce chemin ne fait que commencer. Et nous ne doutons pas, Brigitte et moi, que tu parviendras à l'enchanter.
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