Chaque pas visible est un monde perdu*
La marche abolit aussitôt qu'elle a vu
Le chemin n'a plus de franges
Où se tenait la langue avant le franchissement
Mais comment inventer d'autres pas
Qui remettraient le monde au jour
Si la fatigue m'efface
Si l'invisible emporte mes restes
Jacques Dupin, Gravir (Le chemin
frugal), 1963
Il y a ce mur blanc, au-dessus duquel le
ciel se crée -
Infini, vert, totalement intouchable.*
On n'a plus sous les pas
La sensation de la terre
Les yeux à tâtons dans la marche
Eprouvent l'épuisement de la langue
On échoue à désigner ce qui manque de nom
L'infini résonne si mal par delà le mur
Le ciel s'est perdu depuis nos enfances
Comment savoir si ce n'est pas lui sous nos semelles
Comment retrouver sa mémoire
Sylvia Plath, La Traversée
(Appréhensions), 1971
Marcher.
N'avoir de lien qu'avec ce mot.*
La durée a tout effacé des gestes
Qui tenaient mon corps
Les lignes ont brouillé
Les traverses du ciel et de la terre
Je ne vois plus les abords du chemin
Où les toits se sont couchés
Je marche avec le mot marcher qui chuinte
Il n'est d'aucun commencement d'aucune fin
Dans quelle langue m'appartient-il
A jamais étrangère
Thierry Metz, Terre, 1997
Désormais nous ne sommes plus du même
[mouvement que le vent*
On ne se sait jamais au-delà
du chemin
La fatigue a pris les derniers
restes
Qui pensaient encore en
nous
Les mots mêmes n'ont plus
d'établi
Où me rassembler
La mue du sable sur ma peau
ne tardera pas
Le grand sommeil vient déjà
Avec ses blancheurs nues
Ses murmures d'horizon lent
Son rien immobile
Raphaële George, Eloge
de la fatigue, 1985
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire