Dans
la vallée du Jabron, du côté de Curel ou du col de l'Homme Mort, les flocons de
neige sont aussi abondants que les habitants sont rares. La température peut
chuter à moins trente dès la mi-décembre et le manteau blanc reste sans accrocs
jusqu'à la fin février. Les voitures s'échouent comme des carcasses. L'huile
gèle dans les mécaniques des tracteurs. Les téléphones restent muets.
David,
la soixantaine chevelue, vit seul dans la ferme qu'il a retapée à bras le
corps. Sa compagne Mireille est morte en pleine jeunesse, fauchée par un fou du
volant. Sa fille Noémie a fait sa vie, comme on dit, deux gosses et un divorce
cahin-caha... Alors la solitude pèse lourd au trébuchet des souvenirs. Les
étreintes fugaces avec la voisine Muriel n'y changent pas grand chose. Une
douleur contre une douleur, il y a mieux pour engendrer la joie. Même la
musique n'y parvient pas. Steppenwolf. Nina Simone. Norah Jones et ses
nightingales. Tant d'autres. Nostalgies...
Alors
que le paysage s'immobilise dans la neige et dans la glace une veille de Noël,
David reçoit deux appels à l'aide. Un vieux berger dans sa masure. Un jeune
voyageur épris des mêmes rythmes nord-américains, l'image du fils qu'il aurait
tant aimé. David commence une longue très longue marche dans la nuit. Les
souvenirs sont très vivants sur le grand écran du blanc. Les morts parlent,
c'est sûr. La fille de Muriel notamment, qui a disparu, qu'on a cherchée tant
et tant... Et si elle s'était transformée en saumon ? !
Déneiger
le ciel de André Bucher est un roman de la nature
tourmentée par les éléments. La langue est directe, rugueuse parfois comme la
vie à ras de terre saignée avec les mains. Mais empreinte tout du long de
poésie. Les arbres sont des "vieillards décavés". Un peuplier figure
"un nu aux bas noirs, une allégorie de la douleur". "La brume
[laisse] perler quelques flocons emberlificotés dans sa toile" cependant
que "le ciel courbaturé de la veille [compte] ses bleus".
Lors
d'un récent passage sur un plateau de télévision, sans jamais poser à
l'écrivain, hésitant parfois quand tant d'autres déblatèrent d'un trait
d'assommantes considérations, André Bucher a évoqué Rick Bass, ses Cinq
saisons dans le nord rigoureux de l'Amérique. La parenté est en effet
évidente. Dans l'humilité. Dans la tendresse retenue, pudique. Comme avec le
vieux berger sauvé de justesse. Mais David se sauvera-t-il lui-même ? Qui
rencontrera-t-il au bout de cette nuit peuplée de chimères ?
Allez
! Encore un refrain, pour la route, un refrain de poupée, et retenez vos larmes
:
"J'avance,
j'avance, me prépare pour le grand jour.
Je
fais des claquettes sur une scène blanche.
Des
claquettes sur un champ de mines.
Donne
donc tout ce que tu as, jusqu'à la fin de ton malheur."
Déneiger
le ciel de André Bucher est disponible dans la collection
de poche des éditions Sabine Wespieser.
André
Bucher, entre terre et ciel est un documentaire de plus de
deux heures réalisé par Benoît Pupier et visible sur Internet.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire