Après Cambouis,
Cuisine, Flaque… Planche est
tantôt un journal, quoique jamais daté, tantôt un carnet de notes. Le titre
même nous signifie depuis quelle place Antoine Emaz écrit. Celle des lieux
ordinaires, voire pauvres dans l’accomplissement des jours au jour le jour.
Pauvreté de la langue aussi qui fuit les ornements que Montesquieu pourfendait.
Il s’agit pour Emaz d’aller au plus près de la justesse de l’éprouvé et du dit,
dans l’évocation du décor (jardins, ciels marins et citadins, volet à repeindre…)
comme dans la matière au cœur du poème. Tout en composant avec l’imprévu qui forcément
échappe.
Egalement
auteur de nombreuses notes de lecture, il nous fait part de ses querencias
(James Sacré, Valérie Rouzeau, Jacques Ancet…) mais donne aussi des coups de
griffes sans méchanceté : trop de romantisme chez Jaccottet atteint à
l’occasion de « douloureuse emphase », ennui parfois à la lecture des
journaux plaintifs de Pierre Bergounioux. Camus non plus n’est pas épargné. A
Propos de La Peste : « …
ses personnages parlent comme des livres. C’était sans doute le ton de
l’époque, on a plus de mal avec ça aujourd’hui. Comme quoi, même si une éthique
et une esthétique peuvent durer, elles s’encrassent tout de même avec le temps,
mais la seconde plus vite que la première. »
La
question de l’esthétique et de la forme est l’une des pierres angulaires du
travail d’Antoine Emaz qui refuse la disjonction vivre/écrire : «
Rien ne m’est plus étranger qu’une utilisation gratuite ou ornementale de la
langue en poésie. Si le poème bouscule la langue, c’est moins dans un but
esthétique que dans son effort d’ajustement à une saisie brute du réel… Ce qui
m’intéresse, me passionne, c’est l’acte même
d’écrire, lorsque l’intensité de l’expression fait fondre réalité et langue en un poème. »
Antoine
Emaz ne se pose pas pour autant en donneur de leçons. Il planche tout
simplement, avec son obstination coutumière même si, l’âge venant, il peut se
sentir « réduit à une mécanique de vivre ». Foudroyante lucidité de
ce poète-artisan-philosophe à nul autre pareil y compris dans le semblable.
Extraits :
Sauf
au début et à la fin peut-être, aimer quelqu’un est bien trop compliqué pour
que ça puisse entrer dans un poème.
*
Je
suis pour les temps morts, et pas loin de croire que l’on ne vit vraiment que
dans ces moments de vide.
*
Seul
dans la maison, je ne suis pas seul. Je suis avec la maison.
*
Au
départ du poème, il y a toujours un événement, un choc qui ébranle le cœur, le
corps, la mémoire, la langue. J’écris en contre : vivre est premier. Un
poème comme un contrecoup de langue à partir d’un coup de vivre.
*
Nous
sommes presque tous des journaliers ; on met un jour à la suite d’un
autre, sans voir la fatigue qui rouille le corps, la tête. On fait ce qu’il
faut, ce qu’on doit à on ne sait trop quoi, une sorte de moloch social.
Jusqu’au jour où quelque chose déraille dans la machine, une pièce refuse le
service, casse. Et on est où, là ?
*
Moins
rechercher le temps perdu que récupérer le temps sauf.
*
Tout
est calme sous le ciel vaste bleu. Je sais qu’il faudrait avancer dans la
besogne à faire, mais je n’en ai pas envie. Et je ne peux pas écrire sans
impulsion interne : nécessité urgente ou vague désir, peu importe, mais il
faut une intensité de pression minimale. Sinon, non. Regarder le jardin suffit,
présentement. Et je sais que ce n’est pas paresse mais incapacité. Inutile de
m’obliger, je ne ferai rien de bon.
Il
faudrait descendre plus bas dans le calme, au fond, pour trouver encore des
mots dans le sable silencieux de ce début d’après-midi d’été. Et non. On va
rester dans le plat calme bleu et l’immobilité des arbres.
Planche d’Antoine
Emaz est publié aux éditions Rehauts. 16 €.
image sitaudis.fr
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