Dans une bourgade proche, chez l'une des cinq soeurs, on partage de midi jusqu'au soir salades et cochonnailles, vins rosés et vins rouges, mignonnettes allemandes à la prune ou au citron, à boire d'un trait comme à la régalade, en tenant sur le bout du nez la capsule en équilibre. On cause. On rigole. On prête l'oreille à tout ce qui fuse, petits mots, petits gravillons, petits éclairs dans l'éparpillement des joies. On dit des bêtises. On essaie de retrouver ce qu'on a oublié d'anglais pour échanger avec le couple allemand de la famille, venu en voiture de Stuttgart, mille kilomètres.
Des enfants passent. Epanouis et rieurs. Une petite Bérénice cherche son Aurélien cependant que Juliette s'entraîne à la marche sur le parquet qui ondule de la terrasse. Passent aussi deux joueurs de foot en herbe et en boutons pour cause de varicelle, Enzo et Timéo. D'autres encore. Nino. Charline. Eléa qui plus tard ouvrira une académie de philosophie dans les nouveaux jardins d'Elée.
On se dit que ces enfants vivront des choses formidables. On se le répète. Encore et encore, fidèle qu'on demeure au pari pascalien. Puis on a le sourire pâle. Qu'a-t-on vécu, nous, de formidable ? Existerait-il une échelle du formidable, couchée dans une grange qu'on n'aurait pas vue ? Pas voulu voir ?
On boit un verre de vin capiteux comme on les assemble dans la région des Gigondas. Le sang du peuple. La sangre del pueblo. Quel beau nom pour un vin ! On monterait pour un peu sur la table et on adresserait aux cieux une harangue. On voudrait casser la margoulette à ce Dieu mort et enterré qui nous a dédaignés. Mais c'est pas là-haut qu'on la trouv'ra cette putain d'échelle du formidable. L'ici-bas colle à nos semelles et à nos rêves ordinaires.
L'un des deux joueurs de foot traverse avec son maillot rouge de Barcelone. On lui caresse la tête. Il ouvre ses grands yeux clairs. Là est peut-être le premier barreau de l'échelle. A portée de soi et des autres. Un levain à pétrir. En un subtil dosage des perceptions et de la pensée. Une philosophie pratique. Allons, le deuxième barreau de l'échelle est solide aussi. Prenons-en le chemin et.
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