L'exil est une espèce de longue insomnie, écrit Victor Hugo. Les mots manquent pour la définir vraiment, comme ils manquent pour définir vraiment l'exil.
Mais Salah Al Hamdani est un veilleur qui, depuis quarante ans, ne renonce jamais à écrire dans son grand livre des questions, "loin des poètes frivoles de salon". Une seule certitude apparaît dans le foisonnement des figures de l'exilé : l'obsession.
"Acheminer la mémoire vers l'oubli" n'est pas viable quand se confondent en un lointain indéfinissable le visage de la mère morte et celui de l'enfant qui résiste à l'usure de son rêve.
L'exil [irrigue la chair du récit] de "ciels amputés", de "matins mélancoliques" de de "chevaux exténués" pour dire l'insoutenable des corps torturés, des corps massacrés et même (l'horizon est un cercueil].
La poésie de Salah Al hamdani dans Le veilleur, elle-même insomniaque*, combat sa propre impuissance pour continuer à témoigner de façon "offensive". "Reconstruire le matin disloqué dans l'abîme" n'est pas ici une beauté du style mais une volonté à l'épreuve de ce qui hante.
Jeune soldat sous la dictature de Saddam Hussein, Salah Al Hamdani refusa de tirer sur des enfants kurdes et endura la torture dans les geôles de Bagdad. Alors que de nouvelles ténèbres menacent la paix et la liberté partout dans le monde, le cri du veilleur résiste au désenchantement. Même si [l'espoir donne froid comme au pauvre].
Le lecteur ému imagine que [la lune n'est plus si loin derrière le verger]. Le visage invoqué encore et encore ne sombrera pas sous les fracas de la guerre mais quel est-il au juste ? Comment le nommer dans l'innommable ? Comment, le temps ayant passé tout en se figeant, le rapprocher de soi ? Mais, clin d'oeil à René Char, ne questionnons pas ce lecteur ému. Il devine que le veilleur veillera jusqu'à son dernier souffle pour dire non, à hauteur d'homme, à toutes les avanies. Et la mouette du recueil, entendant ce refus, trouvera la force de nous revenir.
Extraits :
Tout va si vite
Ne te retourne pas
Le ciel s'étend
Le vent dans la neige repeint les arbres
Une traînée de verre
et c'est un corps qui chute déjà
dans les ruelles de l'enfance
avec l'odeur de l'hiver moite !
*
Dans mon questionnement sur l'absence
que reste-t-il de nos morts ?
J'ai eu à conduire des jours boiteux
frappés du sceau du vent
La fenêtre, dans la nuit
la mort de ta mère dans la voix
ainsi que ton silence
qui n'efface pas la froideur du monde
Tout va si vite
Ne te retourne pas
Le ciel s'étend
Le vent dans la neige repeint les arbres
Une traînée de verre
et c'est un corps qui chute déjà
dans les ruelles de l'enfance
avec l'odeur de l'hiver moite !
*
Dans mon questionnement sur l'absence
que reste-t-il de nos morts ?
J'ai eu à conduire des jours boiteux
frappés du sceau du vent
La fenêtre, dans la nuit
la mort de ta mère dans la voix
ainsi que ton silence
qui n'efface pas la froideur du monde
Le veilleur de Salah Al Hamdani est publié aux éditions du Cygne (en lien sur ce blog) avec une peinture de Jean-Julien Martin en couverture. Il coûte 10 euros.
* La poésie vit d'insomnie perpétuelle. René Char
image 1 salah-al-hamdani.com
image 2 photo d'Isabelle Lagny, première lectrice de l'auteur
L'exil est un déchirement de l'intérieur.
RépondreSupprimertoujours magnifique et porteur de la nostalgie liée à l'exil...
RépondreSupprimer