Comment dire ? Lorsque les mots viennent à manquer pour définir un roman, tant ils sont nombreux, c'est que le chroniqueur se trouve en présence d'un phénomène rare.
Soundtrack, du Japonais Hideo Furukawa, est, à tout le moins, une bande-son particulière. Peut-être faudrait-il, pour en préciser le mouvement, recourir au talent du pornoaste du livre ! Mais ce serait aller vite en besogne. Commençons par la scène inaugurale. D'avant le commencement. Le lecteur pourra s'imaginer dans un récit de Daniel de Foe.
Une île déserte. Un jeune Robinson de six ans, Touta, s'y trouve violemment projeté. Presque dans le même temps, une jeune Robinsonne, quatre ans et demi, Hitsijuko, y accoste aussi. Tiens donc ! Adam et Eve annonceraient-ils leur retour ?
Nous sommes à la fin du vingtième siècle. Le paradis a du plomb dans l'aile (de corbeau) au Japon comme ailleurs. Le réchauffement climatique transforme la mégalopole de Tokyo, dans ses entrailles comme dans ses altitudes, en un enfer inextricable. La ville inondée est submergée par toutes sortes de migrations humaines et animales. Des milices fascistes s'arment lourdement dans les souterrains désaffectés du métro et sèment la terreur avec la complicité de la police ou des yakusas. Des mères de famille défilent fièrement dans les rues avec leurs nouveau-nés cent pour cent japonais... Mais, cependant que les citadins les plus fortunés cherchent à fuir ou à tirer profit du naufrage, des résistances s'organisent. Un ancien technicien du réseau électrique répare gratuitement des installations endommagées. Des prostituées enfilent des blouses d'infirmière et se mettent au service d'un chirurgien immigré de Bogota.
L'espoir n'a pas dit son dernier mot. Après moult péripéties, Touta et Hitsijuko, désormais adolescents dans les années deux mille, prennent leur destin en main. Chacun à sa façon toute d'étrangeté. Le long séjour passé sur l'île a imprégné différemment leur corps et leur conscience. Avec d'autres personnages tout aussi singuliers, dont le corvidé Kroy juché sur l'épaule de Léni au sexe indéfini, pourront-ils survivre dans le grand chamboulement ? Le silence de la danse de Hitsijuko et de sa compagnie de girlz sera-t-il aussi efficace que le bazooka de Touta l'exterminateur ?
Comment savoir puisque le réel est aussi insaisissable que les milliards de moustiques qui infestent la ville ?
Le lecteur pourra peut-être lever un coin du voile avec la postface de l'auteur et les propos du traducteur Patrick Honnoré. Hideo Furukawa déclare que son roman ne se situe pas dans un futur proche mais dans un passé proche. "Ici a commencé le chant", précise-t-il avant d'exhorter au courage de faire le monde.
Patrick Honnoré évoque un roman mythologique empreint de chamanisme comme moyen d'agir et cite en référence les deux Murakami, Haruki et Ryû, ainsi que Thomas Pynchon.
Comment un lecteur de 2050 s'emparera-t-il de cette oeuvre ? Comment saura-t-il se constituer un présent s'il n'est pas capable de soutenir le regard d'un corbeau éploré, s'il n'a jamais pu apprivoiser le silence des images dans sa tête ?
De toute évidence, quelque chose d'autre a déjà commencé. De nouvelles voies maritimes apparaissent avec de nouvelles îles. Les humains n'en ont pas fini de marcher. Les corbeaux n'en ont pas fini de voler.
Soundtrack de Hideo Furukawa est disponible aux éditions Picquier poche et coûte 13 euros.
image babelio.com
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