" Tout ce que l'eau veut, c'est couler. Se frayer un chemin à travers la matière, un passage à suivre dans sa course."
Oiseau, de Sigbjorn Skaden, entre mélancolies romantiques et aventures de pionniers stellaires, séduit d'emblée le lecteur par son écriture à la fois rapide et finement ciselée, souvent poétique. C'est un récit à trois entrées sur un siècle entier (2048 et 2147) avec des extraits d'un journal de bord.
En 2048, une mère parle à sa fille Suzanne, dite Su, la première à être née sur la planète Home. L'existence y est rude. La colonie de Montifringilla subsiste laborieusement d'une agriculture vivrière sur des terres peu fertiles. Les animaux d'élevage amenés par les pionniers n'ont pas survécu aux étrangetés atmosphériques. Autre bizarrerie en ces paysages baignés de rouge où il neige parfois des coquillages, les sons n'y ont pas de portance. "L'eau ne fait aucun bruit, les turbines ne font aucun bruit, Su, à mes pieds, a beau crier, elle ne fait aucun bruit... La matière dans laquelle nous vivons est insoluble." Aussi, et ce n'est pas la moindre invention de l'auteur, les colons communiquent par écrit.
En 2147, un événement sans précédent bouleverse la communauté. "Les visages ne sont plus que des pierres qui ne perçoivent pas le temps. L'assistance reste interdite dans l'obscurité, jusqu'à ce qu'une couronne lumineuse commence à grandir à l'horizon... Un cortège de voitures s'engage lentement vers Montifringilla..." Des inconnus donc, extra-planétaires. Qui sont-ils et d'où viennent-ils ? Quelles sont leurs intentions ? Le lecteur, forcément, se souviendra de l'imaginaire des grandes migrations de l'aventure humaine. Ou de l'inquiétude du vieux Robinson quand il vit apparaître dans les brumes marines un pavillon peut-être hostile.
Toutes ces émotions et d'autres encore, mystérieuses, sont consignées dans les fragments du journal de bord. La mémoire a besoin d'en garder le souvenir pour inventer les récits qui permettent la traversée des siècles. En marchant et en rêvant. En façonnant au long cours l'ordinaire des jours et des mots.
Extraits :
"J'ai rêvé de champs blancs. De montagnes blanches. D'un ciel blanc. Et au milieu de tout ce blanc, il y avait des taches rouges, j'ai rêvé que ces taches étaient des hommes... ça a continué jusqu'à ce que je me réveille et que je regarde les trente-quatre obélisques au fond de la vallée.
J'ai grandi dans la forêt. Notre maison était construite au bout d'un long chemin. Derrière, il n'y avait rien d'autre que des arbres, de petits sentiers menant vers le silence entre les troncs de bouleaux. enfants, nous jouions le long de ces sentiers, courions sur le lichen, entre les genévriers, jusqu'au grand marécage. Là, nous marchions d'un pas prudent dans la mousse, le lin des marais et la laîche vésiculeuse crissaient sous nos pas."
Oiseau de Sigbjorn Skader est un roman bref long à lire. Au petit jeu des appariements littéraires, on peut évoquer Ray Bradbury si on le considère seulement comme un ouvrage de science fiction. Mais il est aussi un récit discrètement teinté de nostalgie, à la façon, qui sait, d'un certain monsieur Thoreau, c'est-à-dire universel.
Traduit du norvégien par Marina Heide, il est publié par les éditions Agullo et coûte 12,90 €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire