Le roman Sur l'épaule des géants de Laurine Roux est peut-être avant tout (et nous verrons que ce tout n'est pas rien) une galerie de portraits de femmes au caractère trempé d'argile et d'acier. Elles sont audacieuses. Elles sont généreuses. Et follement passionnées. L'auteure, qui a plus d'un tour dans son sac à malices, observe : "Le respect des convenances était le corset de la raison." Supposons qu'elle aura pensé, en mûrissant son roman longuement médité, à l'impétueuse Pauline de Théus de Giono !
Les hommes du livre se tiennent plutôt dans un retrait fragile, une touchante faiblesse. Hommage au bouillonnement scientifique et technologique de la fin du dix-neuvième siècle à nos jours, ce sont des chercheurs et des inventeurs aux théories parfois improbables. De l'oenologie à l'aviation en passant par l'éthologie, la botanique, l'entomologie et la physique des particules, leurs recherches aboutiront parfois. L'une d'entre elles ravira les palais les plus distingués.
Mais venons-en à ce tout qui n'est pas rien, loin s'en faut. Les chats du livre ont bien du bagout pour guider le lecteur à la campagne comme à la ville. Du domaine des Mûriers dans les Cévennes où vit la famille Aghulon à la capitale et notamment au célébrissime restaurant Le boeuf sur le toit, les aventures s'y succèdent tambour battant au rythme du coeur. Elles sont amoureuses et tous les risques sont pris dans les rues de Paris. Les femmes savent mener la danse de façon cavalière même en voiture. A l'occasion, le piano classique de Rose s'enivre des vapeurs du jazz, applaudi par la bande excentrique d'un certain Salvador Dalí, laquelle en pince pour la folle Eglantine...
De la joie donc, du comique tantôt troupier tantôt raffiné, et les chats Socrate et Erasme ne sont pas les derniers à claquer de la menteuse, mais, mais... La saga des Aghulon traverse le vingtième siècle brisé, martyrisé. Combien de grands troupeaux, clin d'oeil à Giono encore, y perdront leur visage ? Combien de salopards ravaleront l'humain au rang du monstre banal ?
Avec Sur l'épaule des géants, Laurine Roux nous offre un roman populaire où des parfums picaresques (dans la construction même du texte) se mêlent aux saveurs de la haute gastronomie, tout en virant en ses dédales au polar ténébreux. Et c'est aussi un roman savant. L'histoire des sciences, cette terre inconnue* où l'ignorance féconde la connaissance, est pleine de rebondissements qui amèneront le lecteur jusqu'aux portes secrètes de la bibliothèque vaticane. Parmi d'autres voyages... à déguster lentement comme les mets les plus fins. Avec en bouche un goût de "je-ne-sais-quoi" tout à fait philosophique.
Sur l'épaule des géants de Laurine Roux, illustré par Hélène Bautista, est publié aux éditions du Sonneur. Il coûte 24 €.
* Allusion à l'essai d'Alain Corbin, Terra incognita : une histoire de l'ignorance
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