Carine Perals-Pujol a publié dans plusieurs revues dont Dissonances (N° 25 sur le thème de la peau et N° 34 sur celui des traces) et La Piscine. Elle a également participé à l'expérience numérique des Vases communicants (allusion à André Breton et à la mécanique des fluides) avec Joachim Séné, Louise Imagine et Christophe Sanchez. Régulièrement, elle poste des textes sur sa page Facebook et nous les aimons. Ils évoquent, notamment, les empêchements du langage et de la langue. Leur flux souvent brisé exprime ce quelque chose en nous qui manque d'ossature et que nous cherchons à rassembler. Pour faire la part de l'ombre dans la lumière.
poème par morceaux
pulvérisé ici et là
les bords tranchants à peine de quoi refléter la
lumière
(la lumière, on s'en fout, dit-elle, la femme, et
elle s'en va)
poème par braises
et tout est là
*
le poème est incertain / vacille
il tient pourtant il bouge un peu / bascule
et dans la main qui l'offre il fait des étincelles
pierre de cuivre trouvée à la rivière jamais tout
à fait exacte
jamais tout à fait régulière
il suffit d'un seul angle à la lumière
dit la mémoire il suffit d'un visage
à la lumière
*
il fait silence dans ta ville sous cette pluie qui
ne finit jamais
silence tu disais
dans ta ville que je fouille et visite
continuellement
je cherche les pierres perdues la page écrite ce
qui reste quelque part
qui témoignera de nous
qui nous dira
*
on parle comme
on parle
dans notre langue le désastre a couvé
longtemps
on en a plein la bouche on / parle mal
quelque chose a dû briser l'échine de la
grammaire on serait verbeux pour un peu
accroche-toi aux voyelles
ma langue a des racines ma voix quelle
déconfiture l'aveu nous taraude ma langue est
taupe
on n'y voit rien disait-il et elle le reprenait
gentiment Mais si quand même, regarde,
et c'est comme ça après tout qu'on parle aux
presque enfants
la langue précipitée s'essouffle où va-t-elle
elle est sortie sans sa grammaire et il va
pleuvoir
mais c'est que voyez-vous la grammaire ici
danse
et on devient tous un peu gaga
*
il me semble parfois que je vous regarde
depuis l'autre rive,
au bord d'un fleuve intraduisible, vaste corps
d'eau et de tourments.
un oiseau fou m'aura posée là, sans doute,
dans l'écart et la stupeur
qui ont rendu la langue impossible.
(paroles de l'étrangère)
*
c'était tellement difficile de parler
à force d'être mêlée au fracas, à force de ne
plus savoir qui fait quoi,
et si c'était moi la faute, l'horreur, l'immonde ?
que vaudrait ma parole ?
difficile de parler, et pourtant tracer les lignes
entre les corps, reprendre son dû, avoir sa
part,
- la parole fait ça, avec patience, avec lenteur.
et tout à coup, sans même savoir pourquoi,
parler
mais garder en mémoire le péril, le silence
étonné
de celui, de celle qui n'y arrivent pas.
Image : Le propre et le figuré, Hervé Télémaque, 1982, Centre Georges Pompidou
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