Relire Ian McEwan, Expiation, (après son récent et magnifique Leçons) et pleurer trois pages avant la fin. Faire tourner dans sa tête cette phrase récurrente du roman, adressée par Cecilia à sa soeur cadette qui n'a pas le sommeil tranquille : "Reviens. Ce n'était qu'un mauvais rêve. Reviens, Briony." Mais Briony ne revient pas. Ne reviendra jamais. Devra s'accommoder de ne jamais revenir. Pauvre Briony ! C'est dur d'avoir treize ans entre un père souvent absent, une mère sujette aux migraines qui la couchent des journées entières et une soeur qui cède au charme magnétique de Robbie, le beau Robbie à l'avenir plein de promesses. C'est dur d'avoir treize ans dans la grande maison inhospitalière quand il faut faire de la place aux enfants abandonnés par la tante Hermione, dont la belle Lola au tempérament de feu. Alors Briony rêve aussi quand elle ne dort pas. Elle écrit des pièces de théâtre et ne doute pas de devenir un écrivain connu.
Un jour, elle aperçoit Cecilia presque dévêtue qui plonge dans l'étang du parc sous le regard inquiet de Robbie pour en remonter un vase brisé. Et son enfance peut-être se termine là, dans cette lumière aux contours flous. Puis, plus tard, dans la bibliothèque austère du père, encore Cecilia et Robbie, mais de quoi s'agit-il vraiment, alors que toute la famille est attendue au bord de la piscine avant un repas de fête ? La grande machinerie des fantasmes s'emballe et Briony perd déjà le contact du réel qu'elle vient juste d'entrevoir. Puis, plus tard encore, alors que les frères jumeaux de Lola se sont enfuis dans les parages et qu'on les cherche, même la police locale est là, l'adolescente sombre définitivement dans la chimère qui la hantera jusqu'à sa mort. Les engrenages du malentendu existentiel peuvent conduire au pire et le pire est toujours irréparable. Il faut expier.
La deuxième guerre mondiale vient de commencer. Les pays-Bas sont envahis, la Belgique cède à son tour, la France va bientôt tomber. Les soldats anglais débarqués à Dunkerque sans logistique aérienne suffisante rebroussent chemin sous les bombardements des Stukas qui engloutissent des générations entières. Du sang et des larmes. De la barbarie. Un aviateur de la R.A.F échappe d'extrême justesse au lynchage de ses compatriotes fantassins. Robbie réussira-t-il à rallier l'Angleterre ?
Dans le même temps, Briony renonce à pantoufler à Cambridge, rompt avec sa famille et découvre l'odeur de la mort dans l'hôpital où elle s'engage comme infirmière stagiaire. Sa volonté d'expier la faute qu'elle a commise, quasiment un crime, lui permet d'endurer le visage des blessures. Un soldat qui s'en sort avec une jambe amputée est presque chanceux, c'est dire...
Ian McEwan décrit avec un réalisme saisissant les corps déchiquetés et leur lente décomposition, leur douleur muette ou hurlante, leurs odeurs. Dans la glaise en Normandie comme dans les chambrées suintantes de l'hôpital à Londres où l'angoisse monte, monte, quasi hitchcockienne. Mais c'est surtout la façon dont il met en place la dramaturgie du malentendu inaugural qui fascine le lecteur. Avec ses implacables crescendos. Il pressent que Briony va sombrer sans rémission et que deux vies vont s'en trouver bouleversées longtemps. Il voudrait intervenir pour désamorcer le piège fatal, il serait alors un sauveur, seulement voilà, aucun lecteur n'a jamais sauvé aucun personnage.
Puis, à la toute fin du roman, qui se déroule presque un demi-siècle après, le trouble grandit et l'émotion submerge...
Voilà. Lisez Expiation de McEwan. Il doit se trouver encore en édition de poche, chez Folio.
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