mercredi 9 avril 2025

Margelles, N° 21, printemps 2025


Dans son éditorial, Philippe Agostini rappelle l'esprit qui anime la revue Margelles. "... comme dans un demi-sommeil, les mots et les images se bousculent, s'entrechoquent, les sonorités ou les lumières glissent, rebondissent et se font écho, un monde bascule dans un autre..." Sensible aux petites morsures du pizzicato, le poète joue : "bris et débris, des bruits de bris et débits de briques, bris et colle, bricoles..." Treize auteurs et plasticiens s'accompagnent dans cette vingt et unième livraison. 

Stéphane Casenobe cherche à "purger tous les circuits du corps pour bien redémarrer". Peut-être parce que sa "poésie est comme une mauvaise auberge". Elle n'est pas immunisée contre la gangrène et les démons. Les technologies n'y peuvent rien et Dieu est trop occupé.

Les vers de Louis Germain présentent des plis en miroir décalé qui invitent à plusieurs chemins de lecture. Pour dire l'incertitude des traces. Celles du "sang des bêtes sur la roche jaune biffée de noir". Qui nous égarent "entre début et origine". Qu'en est-il alors du récit ? 

Manuel Reynaud-Guideau recourt à l'accumulation qui accélère la vitesse du réel industriel. Passent ainsi des "engins de survie" dans les mines et sur les quais, dans "les montagnes rouges" et "la mauvaise terre à la végétation basse". L'effondrement menace. La démesure tue.

Les images d'Isabelle Garnier-Luraschi sont d'inquiétantes créatures. Ces coquillages semblent animés d'une vie exogène au regard tantôt clos et tantôt béant. Que nous dit-elle de la fin de l'homme déjà là dans ses commencements ? Comment savoir s'il s'agit vraiment de lui ?

Paola Niuska Quilici "reste dans l'autre pièce comme une télécommande". Le désir s'endort. Quelque chose se fige dans "les heures miroirs". Les lieux n'ont plus d'incarnation. L'attente dure longtemps, comme une mélancolie où rien ne peut s'appartenir.

"C'est par la bouche qu'on se connaît.", écrit Stéphane Bernard.  Voilà un orifice où la souffrance pétrifie la langue. Comment la soigner au profond des plis acides ? Un travail de dissection s'impose : séparer le bon du mauvais, "le viscère du poison de la nacre des chairs".

 Alexis Audren évoque les paysages qui excèdent les lieux et les éléments. La mémoire de la mort y est si vieille que l'horizon se dérègle. La matière du sable sur la terre comme au ciel garde son mystère en effaçant toutes les traces d'où pourrait naître un visage.

Jérémi Doucet cherche ses arrangements entre le proche et le lointain. "Franchir le nerf vif de l'indécis vers l'appétit-mappemonde" ne va pas de soi ni de l'autre. Les réponses restent muettes "aux questions de la mie". Et "tout le monde disparaît derrière l'odeur d'un pain chaud".

"Je ne vois pas ce qui m'empêche car je suis ce qui m'empêche", écrit Damien Paisant. Comment faire avec les paradoxes du tout et du rien, de la vie et de la mort, de l'amour de guingois ? Depuis toujours l'homme confronté à son sort cherche son introuvable équilibre.

Tatiana Tornskata se demande [ce qu'on a fait à l'aurore]. Et rien ne tient debout. Ni les arbres ni la peau, ni la mer ni la solitude. Ni ni. Les "mots trop brûlants" disent si mal [le cœur trop sec]. Le réel en mille morceaux est une douleur jusque dans le corps des baleines.

Jean-Paul Bota tente d'épuiser quelques lieux parisiens, dont le cimetière du Montparnasse. "De loin en loin, des corneilles crient." Une femme allume un bâton d'encens sur la tombe de Soutine. Et se souvient des couleurs du peintre, "ses couleurs pour toujours".

Il y a aussi des coquillages dans les images d'Adèle Nègre. Assemblés avec des pétales au bord de la décomposition et diverses ossifications disjointes. On voit même un papillon de nuit, auquel le regard qui s'attarde donnera la vie ou la mort. Mais comment deviner l'improbable ?

Enfin, il y a moi aussi dans la revue. Dix-huit poèmes extraits de mon recueil inédit On voudrait dire suivi de Presque. Un jour, peut-être, je saurai si oui ou non le réel est "une résille sans rien dedans". Mon regard minuscule y trouvera-t-il quelque consistance, pour penser ?

 

La revue Margelles, dont la conception graphique est particulièrement réussie, est publiée aux éditions Bruno Guattari. Sa version numérique est en téléchargement gratuit. Chaque numéro papier, il y en quatre par an, coûte 10 €. N'hésitez pas à les découvrir, dans la polyphonie des sons et des sens et naviguez sur le site de l'éditeur www.brunoguattariediteur.fr

 


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