C'est un village de montagne à la frontière. Une tierra desdichada
où l'automne de pluies et de boues dure des dizaines de mois, où l'hiver du gel
bleu pétrifie le regard en quelques minutes et à tout jamais. On ne cultive ici
que la lentille, à main nue car on ignore l'usage des bêtes de somme. Soupes de
lentilles, galettes de lentilles, alcool de lentille constituent l'ordinaire
des villageois sans horizon ni mémoire.
Un jour, peinant sous un havresac chargé de feuilles de papier
filigrané, Siméon demande l'hospitalité à la tenancière de l'auberge. Branlebas
de combat. Qui est cet Errant, cet Etranger ? D'où vient-il ? Que veut-il ? Les
villageois, qui pratiquent la démocratie directe, se réunissent dans la salle
du conseil, sous le portrait moisi de l'amiral. Siméon obtient le droit de
rester dans son galetas ouvert à tous les vents auquel il accède par une
échelle dégoulinante de purin. Il va pouvoir écrire le roman qu'il porte en
lui. Il va pouvoir apaiser ses souffrances, apaiser aussi le souvenir douloureux
d'Enina, sa sœur morte torturée dans le désert.
Mais comment résister à l'hostilité de ce lieu sans nom ? L'adjoint
du brigadier des douanes, notamment, cherche toutes les occasions pour lui
nuire. Et sa constitution fragile ne l'aide en rien. Une blessure au pied
tourne à la gangrène. Il va falloir consulter le Croll qui fait office de
médecin. Et il y aura d'autres blessures, sans compter celle de l'amour, de la
morsure de l'amour...
La quatrième de couverture des Saisons de Maurice Pons,
publié par Julliard en 1965 et régulièrement réédité chez Christian Bourgois,
évoque une confrérie de lecteurs initiés dans une dévotion égale à celle qui
réunit les admirateurs de Malcolm Lowry ou de Julio Cortázar.
Je pense, pour ma part, à Gabriel García Márquez. Le vertige me
prend quand j'imagine que Maurice Pons et l'auteur de Cien an͂os de soledad
ont pu écrire en même temps leur livre. Comment ne pas être troublé par les
scènes de l'œuf aux vers et de l'insoutenable accouchement de la vache ? La
découverte de ce que contient le corset de l'énorme aubergiste n'est-elle pas
aussi éminemment marquézienne ? Nommons Buendía l'amiral de la salle du conseil
et l'illusion sera parfaite d'une communication télépathique d'un bord à
l'autre de l'océan...
Entre drame et bouffonnerie, porté par des personnages aussi
apocalyptiques que les lieux-mêmes, ce roman inclassable nous suffoque en sa
démesure. Servie par une langue tantôt flamboyante tantôt triviale. Au petit
jeu des appariements, des visions de La lluvia amarilla de Julio
Llamazares me traversent. La pluie jaune sauf qu'ici la laideur est partout.
Siméon est aussi repoussant que le Croll. La fillette Louana, nonobstant ses
cocasseries, empeste de la bouche autant par son haleine que par ses propos orduriers.
La laideur donc, résolument. Comme dans des tableaux de Bruegel l'Ancien où
défilent toutes sortes d'estropiés...
Après la lecture de ce chef d'œuvre, je recommande la critique plus
approfondie qu'en fait Marc Villemain sur son site (www.marcvillemain.com).
Vous verrez ! Les lentilles n'auront plus jamais le même goût. Le riz non plus
du reste... Mais chuutt !!! Lisez d'abord.
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