lundi 2 mai 2016

Maurice Pons, Les saisons

C'est un village de montagne à la frontière. Une tierra desdichada où l'automne de pluies et de boues dure des dizaines de mois, où l'hiver du gel bleu pétrifie le regard en quelques minutes et à tout jamais. On ne cultive ici que la lentille, à main nue car on ignore l'usage des bêtes de somme. Soupes de lentilles, galettes de lentilles, alcool de lentille constituent l'ordinaire des villageois sans horizon ni mémoire.
Un jour, peinant sous un havresac chargé de feuilles de papier filigrané, Siméon demande l'hospitalité à la tenancière de l'auberge. Branlebas de combat. Qui est cet Errant, cet Etranger ? D'où vient-il ? Que veut-il ? Les villageois, qui pratiquent la démocratie directe, se réunissent dans la salle du conseil, sous le portrait moisi de l'amiral. Siméon obtient le droit de rester dans son galetas ouvert à tous les vents auquel il accède par une échelle dégoulinante de purin. Il va pouvoir écrire le roman qu'il porte en lui. Il va pouvoir apaiser ses souffrances, apaiser aussi le souvenir douloureux d'Enina, sa sœur morte torturée dans le désert.
Mais comment résister à l'hostilité de ce lieu sans nom ? L'adjoint du brigadier des douanes, notamment, cherche toutes les occasions pour lui nuire. Et sa constitution fragile ne l'aide en rien. Une blessure au pied tourne à la gangrène. Il va falloir consulter le Croll qui fait office de médecin. Et il y aura d'autres blessures, sans compter celle de l'amour, de la morsure de l'amour...
La quatrième de couverture des Saisons de Maurice Pons, publié par Julliard en 1965 et régulièrement réédité chez Christian Bourgois, évoque une confrérie de lecteurs initiés dans une dévotion égale à celle qui réunit les admirateurs de Malcolm Lowry ou de Julio Cortázar.
Je pense, pour ma part, à Gabriel García Márquez. Le vertige me prend quand j'imagine que Maurice Pons et l'auteur de Cien an͂os de soledad ont pu écrire en même temps leur livre. Comment ne pas être troublé par les scènes de l'œuf aux vers et de l'insoutenable accouchement de la vache ? La découverte de ce que contient le corset de l'énorme aubergiste n'est-elle pas aussi éminemment marquézienne ? Nommons Buendía l'amiral de la salle du conseil et l'illusion sera parfaite d'une communication télépathique d'un bord à l'autre de l'océan...
Entre drame et bouffonnerie, porté par des personnages aussi apocalyptiques que les lieux-mêmes, ce roman inclassable nous suffoque en sa démesure. Servie par une langue tantôt flamboyante tantôt triviale. Au petit jeu des appariements, des visions de La lluvia amarilla de Julio Llamazares me traversent. La pluie jaune sauf qu'ici la laideur est partout. Siméon est aussi repoussant que le Croll. La fillette Louana, nonobstant ses cocasseries, empeste de la bouche autant par son haleine que par ses propos orduriers. La laideur donc, résolument. Comme dans des tableaux de Bruegel l'Ancien où défilent toutes sortes d'estropiés...

Après la lecture de ce chef d'œuvre, je recommande la critique plus approfondie qu'en fait Marc Villemain sur son site (www.marcvillemain.com). Vous verrez ! Les lentilles n'auront plus jamais le même goût. Le riz non plus du reste... Mais chuutt !!! Lisez d'abord.

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