Il
y a des livres décidément trop courts. Le Manuel d'exil de Velibor
Čolić, sous-titré Comment réussir son exil en trente-cinq leçons, est de
ceux-là. Tant le plaisir et l'émotion sont grands à sa lecture. Et après. Dans
le silence joyeux ou assourdissant des mots.
Originaire
de Bosnie, Velibor Čolić raconte son arrivée en France en 1992, alors que la
guerre dévaste sa terre natale. Soldat, il tirait en l'air plutôt que sur
l'ennemi. Un traître. Un déserteur. Avec ses souvenirs d'épouvante. Comme cette
petite tzigane dont il aimait les espiègleries. Soudain, elle tombe. Le soldat
se précipite, croit à un nouveau jeu. Mais c'est un sniper. Un Serbe.
Dans
son foyer d'accueil, Velibor Čolić apprend le français comme un forcené et
découvre les stratagèmes du système D. Comment s'assurer que tel magasin est le
moins cher que l'on puisse trouver ? Comment s'entraîner pour sauter les
portiques dans le métro ? Comment cogner le premier dans une bagarre ?
Après
le CADA de Rennes, Paris et ses tentacules. Des chambres plus petites que des
mouchoirs de poche, des raviolis mangés directement dans la boite, du froid et
de l'humidité, de la crasse, du raide pour accompagner la solitude (cocktail de
limonade et d'alcool à 90).
Et,
surtout, de la littérature.
Velibor
Čolić a déjà publié dans son pays. Il lit Borges, Miller, Carver, Camus,
Gombrowicz, tant d'autres. Il écrit, fiévreusement, s'exalte au point d'y
croire, puis n'y croit plus. La crasse gagne du terrain. Il a une mine de
déterré avec ses fringues signées Abbé&Pierre. Pas facile dans ces
conditions d'emballer une fille, surtout avec des blagues à trois balles. La
solitude toujours. Le ventre creux.
Puis,
enfin, un livre publié. L'éditeur se frotte les mains. La guerre en Yougoslavie
est à la mode. "Pour le prochain livre, il faut ajouter encore plus de
massacres de civils...ça marche toujours très fort..."
De
nouvelles aventures commencent, de Strasbourg à Budapest, Milan, Prague... Des
rencontres avec des philosophes puants, des gitans truculents, des femmes
aussi, oies blanches ou expertes au jeu de la bête à deux dos. Et la
littérature, toujours. Alors que commence un poignant compte à rebours avant le
basculement dans l'an 2000.
Au
début du roman, Velibor Čolić inscrit sur la fiche de renseignements du foyer,
à la rubrique votre projet en France : GONCOURT. Fanfaronnade grinçante
du désespéré qui refuse de se laisser terrasser par la lucidité. La vénérable
académie serait bien avisée de lui donner ce prix. Même si, aujourd'hui,
d'autres guerres sont à la mode du côté de Saint-Germain-des-Prés...
Extrait
:
"Peut-on
écrire après Sarajevo ?
Pour
décrire cette destruction qui relève de l'irréel, pour évoquer le caractère
lumineux et sacré du sacrifice des victimes ?
Comme
on le sait, comme on l'a répété depuis longtemps, le poète est inéluctablement
parmi les hommes, afin de parler de l'amour et de la politique, de la solitude
et du sang qui coule, de l'angoisse et de la mort, de la mer et des vents.
Pour
écrire après une guerre, il faut croire en la littérature.
Croire
que l'écriture peut remettre en branle des mécanismes qu'on a mis au rebut lors
du recours aux armes.
Qu'elle
peut ramener l'horreur, incompréhensible et inexplicable, à la mesure
humaine."
Manuel
d'exil de Velibor Čolić est publié par les éditions
Gallimard (17€) et a reçu le soutien du Centre National du Livre.
Image de Ouest-France.fr
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