La vieille. Elle allait sur ses quatre-vingt-douze ans. Droite comme un i majuscule et pas une plainte. Debout tous les jours de sa vie à six heures.
L’ouvrage à la ferme n’attend pas. Qu’il gèle ou qu’il vente, les bêtes, il
faut les nourrir, les engraisser, les tuer, les cuisiner. Les blés, il faut les semer, les moissonner, les battre, les
monter au grenier. Les blés et les betteraves. Les betteraves et le maïs. Les monjettes et les patates. Le
fourrage à garder au sec au-dessus du hangar, à côté des bottes de paille. Un peu de vigne aussi, pour le vin et la piquette. Faut bien avoir ses plaisirs quand on travaille dur.
Sans compter tout ce qu’il y a dans la maison à tenir propre. On a sa fierté quand quelqu'un vient. On n'est pas des souillons. Qu'est-ce que les gens diraient au bourg s'il y avait des taches de gras sur la cuisinière ? Quant aux cendres de la cheminée, elle les pelletait déjà quand elle avait huit ans. Avant d'aller à l'école à trois kilomètres et qu'il y avait tout un bois à traverser, en sabots avec du foin dedans de décembre à février.
Pas le temps de regarder le temps
passer. Oh ! non alors. Y penser serait déjà coupable. La fainéantise, c’est pour les riches. Si tu
crains ta peine, tu crèveras de faim.
Elle me disait ça en s’essuyant les
mains à son devanteau. C’étaient là des sentences apprises à l’autre école, celle du curé. Elle les révisait tous les dimanches, qu’il gèle ou qu’il vente, en hochant la tête comme un jouet mécanique, et elle mettait
sa bonne robe, son bon foulard, ses richelieux.
La vieille. Mon enfance a grandi à
ses côtés. Dans un autre temps que le sien. Dans une autre langue que la sienne. Moins dure. Poreuse aux
lumières filandreuses de mars, aux éclats métalliques de juillet quand le
paysage pliait l’échine sous le soleil. Sensible aux eaux bucoliques aiguisées contre les pierres, aux heures égrainées à la comtoise et des ombres passaient d'un poids à l'autre, insaisissables.
Je badais. Encore un de ses mots, à
la vieille : T’es toujours en train de bader.
Maintenant, c’est elle qui bade au
fond du trou. Elle regarde les poussières que le bon Dieu mouline. Elle n’a pas
besoin de pelle, pour les ramasser.
(Texte hyper classique. Le lecteur en son infinie bienveillance saura ne pas m'en tenir grief. Il a été publié par une revue et je l'ai allongé.)
(Texte hyper classique. Le lecteur en son infinie bienveillance saura ne pas m'en tenir grief. Il a été publié par une revue et je l'ai allongé.)
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