lundi 21 mars 2022

Jean-Christophe Ribeyre, La relève

 Jean-Christophe Ribeyre a le goût du bref et de l'incertain jusque dans sa notice biographique. " Il ferait volontiers siens les vers de Pessoa : Etre poète n'est pas une ambition que j'ai, c'est ma manière à moi d'être seul."

Son recueil La relève est un ensemble de 35 textes dont 9 commencent par "Je voudrais". "Je voudrais être là, simplement, sans jeter d'images." "Je voudrais n'ajouter aucune pierre à l'édifice..." "Je voudrais m'absenter des villes, des réseaux..."

Mais qu'y a-t-il de sûr entre présence et absence ? Quel chemin improbable suivra le lecteur de l'une à l'autre ? A-t-il seulement un nom quand le poète aspire à perdre le sien ?

Il y a pourtant, dans la simplicité nue, une évidence : "On reprend une dernière fois la phrase où on l'avait laissée. Et on recommence." La fatigue de soi peut-elle s'oublier dans le multiple indéterminé du "on" ? 

Jean-Christophe Ribeyre attend la relève. Mais il ne s'agit pas pour autant d'un renoncement à la vie même si l'espoir pourrait blesser. La relève, (on serait tenté de dire les relevailles), est peut-être une renaissance sans cesse recommencée, de soi vers soi et vers ce qui est autre, dans un désir d'harmonie avec les éléments naturels. "Ne froisser, à aucun prix, la robe des choses tues.", écrit l'auteur. Celle des feuillages et des collines, des "ciels et des sources sans nom". Tout en prenant garde aux mots, ce troupeau indocile, "dressés ou rabattus comme des herses entre l'inaccompli et nous".

Il y aurait encore beaucoup à explorer de ce recueil court mais long à lire. Dans le tiraillement des émotions qui tantôt chantent et tantôt lapident. Dans la prière aussi, [pour habiter en fraternité le moindre froissement]. Ne plus écraser. Ne plus humilier ni étouffer au nom de l'humain. Jamais plus.

La relève de Jean-Christophe Ribeyre s'accompagne de quelques oeuvres de Marie Alloy où les ombres, en leur part de solitude, hantent l'idée même d'ombre.

Extraits :

Tout revient et se perd

comme les visages,

les mots,

qu'ils se tournent vers nous,

nous habillent

de croyance,

de doute,

tout se tait 

et s'en retourne au fossé

dans l'indifférencié,

le redondant.

*

On recommence à trembler,

le crayon à peine

frôle la page

puis d'autres, écrites pour l'oubli,

qu'on ne relira pas.

*

Les nuits passent,

on voudrait serrer la main,

le cou des mots parfois,

mais le courage manque de brûler

ses traces,

de brûler d'un désir 

opaque,

comme inaudible.


La relève de Jean-Christophe Ribeyre est publié aux éditions L'Ail des ours, dans la collection Grand ours dont il est la douzième livraison et coûte 6 €. 

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