lundi 9 juin 2025

Comment penser à droite quand on porte à gauche et inversement


Que ce soit sur les plateaux de télévision, dans les colonnes de la presse ou les commentaires des réseaux sociaux, l'époque fait la part belle aux Intransigeants de tous les bords politiques. Les comparaisons sans raison, les invectives, les anathèmes aux noms d'oiseaux empêchent la langue qui empêche la pensée. De vieilles, très vieilles chimères exhumées des basses fosses de l'Histoire brandissent de nouveau la hache. La maison commune de l'humanité s'embrase déjà.  

Comment se ressaisir de l'entendement pour ne pas sombrer dans l'épouvante ? Comment espérer éteindre les incendies si les mots les plus élémentaires sont saignés à blanc par les prophéties de toute engeance ?

Sachant que crier plus fort que le vacarme ambiant mène à l'épuisement et au renoncement, il faut avoir la volonté du silence. Lui seul peut mettre de l'ordre dans les émotions, les sentiments et les idées, pour saisir ce qui les lie.

Ensuite, il faut sérier autant que possible les proférations.  De qui émanent-t-elles et à destination de qui ? Avec quelles intentions ? Véhiculées par quel inconscient ? Comment s'agencent-elles et quel substrat discursif implicite produisent-elles ?

C'est là tout un ouvrage à déposer sur l'établi. Pour un usinage probant, les deux mains sont utiles. Et quand les deux jambes s'ancrent bien au sol, et quand les deux yeux s'exercent à tomber les œillères, une construction ouverte au maillage de l'ombre et de la lumière peut dissoudre le flou des représentations. 

Personnellement, je porte à gauche depuis que j'ai compris, il y a longtemps, que les riches mènent les pauvres par le bout du nez ou par la trique si le nez refuse de se laisser mener. Je porte aussi à gauche sur les questions sociétales et environnementales. En revanche, sur celles de la sécurité, je porte à droite. En matière d'éducation nationale, sidéré par le recul massif de l'enseignement de la langue, je suis également tenté par des mesures conservatrices. Vive la grammaire, vive l'orthographe ! Sans elles, les inégalités devant la langue aggravent l'inégalité des statuts et des places.

Et c'est ainsi que, portant à gauche, je m'essaie dans certaines situations à penser à droite sans éprouver aucune gêne. Pourquoi, par exemple, vilipender systématiquement les intellectuels de droite ? Quand Luc Ferry dit que le capitalisme a détruit la politesse et la grammaire, je lui suis reconnaissant même s'il reste un libéral convaincu. Quand Alain Finkielkraut déclare que Netanyahou est un criminel de guerre, je lui suis reconnaissant même s'il reste un fervent défenseur d'Israël. Les deux sont capables, parfois, de sortir du confort de leur corpus idéologique. Autre exemple, François Mauriac. Il n'a pas eu son pareil pour dénoncer les bassesses de la bourgeoisie alors qu'il grandit en son son sein. 

Je pense que certains intellectuels de gauche seraient bien avisés de tenter aussi ces pas de côté, avec leurs deux jambes et leurs deux yeux. Les actuelles caricatures en matière de genre, maillées de néologismes fort laids (iel, celleux, auteurices, homme déconstruit...) desservent la cause éminemment légitime de l'égalité entre les hommes et les femmes et consolident le retour du masculinisme hermétique aux diversités sexuelles. Autrement dit, l'aveuglement de bien des intellectuels de gauche est aussi improductif que celui de bien des intellectuels de droite. Souvenons-nous de l'énigme toujours irrésolue des errements sartriens et beauvoiriens en leur temps...

Alors, j'en appelle encore et encore à Montaigne qui sut dans les circonstances les plus graves tenir l'assiette de sa pensée sans jamais tomber cul par-dessus tête. J'en appelle à Camus qui jamais ne céda aux sirènes mortifères du communisme soviétique et chinois. J'en appelle au général de Gaulle qui considérait que le capitalisme est une aliénation pour l'humain. J'en appelle à Simone Veil qui, allant contre son groupe d'appartenance politique, fit voter la légalisation de l'avortement. J'en appelle enfin au très vieil homme lucide qu'est Edgar Morin en sa pensée transversale et conjonctive.

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