Le lecteur est d'emblée averti en première de couverture de cette 48ème livraison avec ces mots de Jean-Jacques Schuhl. "C'est souvent comme ça avec les féeries : l'horreur n'est jamais loin."
Cela tient, qui sait, au "bruissement de la pensée", aux "couches d'épiderme à déplier", à la "chirurgie des flux mentaux à découper". L'imaginaire ainsi évoqué par Romain Ponçot n'a pas de géographie sûre. Le beau, le laid, le sombre, le clair ; c'est toujours la même histoire empêchée, ça se mélange. La "féerie des images et des mots se change en "oiseau de foudre".
Dans La fée llation, Emma Hourcade évoque les revers des féeries chez les adolescentes trop tôt adultisées. Dans le décor trompeur des paillettes, du "gloss goût raisin ou framboise", des "bagues vendues par dix et qui brillent". Et même les premières amours en deviennent laides.
Est-ce à dire que Les fées n'existent plus, comme l'écrit Théo Perrache ? "Les petits garçons les ont toutes tuées / Ils ont pissé sur leurs nids". Ces enfants-là, dévorateurs et cruels, sont "marrainés par la mort".
Le poème découpé d'Antoinette Bois de Chesne, Sous le rire des lucioles, apparaît plus léger dans le murmure des "ailes diaphanes" qui "chuchotent le temps venu / la grande fête ouverte". Seulement voilà, "la brûlure gagne du terrain" sous toutes les latitudes...
Dans sa longue prose voyageuse où foisonnent toutes sortes de personnes et de personnages, Féeries pour une autre foi, Xavier Briend nous livre les déplis de son imaginaire pétri de tribulations tantôt clownesques et tantôt guerrières. "Allez, tu viendras et on multipliera les collines ensemble", dit Gianna qui en fait s'appelle Jihane. Mais à quelle féerie faut-il croire ?
Les fées de Jennifer Lavallé ne sauraient pas répondre à la question. Elles "avaient trop bu" pendant la Nuit de Saint-Sylvestre. "Elles s'injuriaient copieusement / ce n'était plus une féerie". Puis le calme est revenu au petit matin de l'an neuf, dans "la magie de l'oubli" qui n'a pas de recette.
À moins que celle d'Abracadabra de Vincent Renault, mitonnée avec "trois soleils silencieux et deux douzaines d'alligators" n'en ouvre les "symétries désaccordées".
Terminons cet effeuillage incomplet des contributions par la poésie constellaire d'Hélène Miguet et sa Petite cosmogonie. Elle aime "la bave des limaces / qui trace droit brille blanc / vers sa disparition". Elle sent dans son ventre la métamorphose des neurones en lucioles puis en papillons. Une vision baconienne quand le jour épuisé ne sait plus donner la vie.
Dans la rubrique Disjonction, quatre regards se penchent sur la Vallée du silicium d'Alain Damasio. L'auteur de La zone du dehors et de Les furtifs, romans absolument magnifiques, se fait quelque peu égratigner en tant qu'essayiste et même traiter de "boomer" par Julie Proust Tanguy. Rhooo ! Mais il est vrai que ce n'est pas le livre le plus réussi de l'auteur, sauf la nouvelle à la fin, "retorse joliment" comme l'écrit Jean-Marc Flapp.
Suivent douze notes de lectures coups de cœur dont : Villes intérieures de Xavier Girot aux éditions Raz par Jean-Christophe Belleveaux, Ma vie est une start-up de Lionel Fondeville & Christophe Esnault aux éditions Tinbad par Tristan Felix, Jérôme, tout au bord de Clotilde Escalle, aux éditions Fables fertiles par Jean-Marc Flapp.
La rubrique Dyschronie, abondée par Romain Paris en son Hiver 2024, nous emmène en Colombie. À Medellín où la vie peut être vécue y nada más, malgré "les indésirables de toutes catégories [qui] continuent à se faire cramer la tripaille par les paramilitaires et autres miliciens". Puis à Cartagena la Infernal où le voyageur fait une "crisis vital" qui lui "colle aux nerfs. Son ombre a les gambilles qui frétillent et fait des sauts de l'ange sur les murailles de la ville.
Dissonances accordant une place importante à l'image dans tous ses états, évoquons l'œuvre au fusain de Sébastien Louis Ocyan et son autoportrait : "Je considère le papier comme une surface révélatrice qui, en se noircissant, éclaire mon inconscient et celui du collectif, mais aussi l'histoire et le cheminement des formes... Là, des nébuleuses émissives claires s'abreuvent aux nébuleuses opaques obscures..."
La qualité du papier grand format et du tirage de cette revue pluridisciplinaire à but non objectif offre aux textes et aux images une belle mise en pages. Au prix modique de 8 €. Elle est disponible en librairie à Angers, Lyon, Nantes, Paris, Vendôme et Toulouse notamment. N'hésitez pas à consulter son site : http://www.scopalto.com/revue/dissonances
Bonnes lectures parmi les fées bondissantes !
NB : Je remercie vivement la revue de m'avoir invité à Marcher dans la piscine dans sa rubrique Di(s)gression. Dans une autre vie, je serai champion olympique de natation.
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