vendredi 6 juin 2025

Murièle Camac, Une odeur de fiction


 "Je trafique des trucs pour voir si j'y suis", écrit Murièle Camac dans Une odeur de fiction. Et c'est tout un cinéma à Hollywoode. Les films ne tiennent pas bien sur l'écran des paysages. La fiction empeste dans les westerns avec John Wayne. Même les lacs s'en éloignent ; ils préfèrent Jennifer Beals. Ah ! ses danses qui flattent les gambilles ! Et hop ! La voilà dans le couchant sur son cheval. Que la fiction a des beautés quand on a "douze constellations " et "treize personnalités" !

Évidemment il y a des couacs. Peut-être l'auteure n'a-t-elle pas assez trafiqué de trucs. Elle n'aura pas vu (ou trop bien vu) où elle était en écoutant Bartók et Puccini. L'humour tourne pis qu'un lait délaissé et c'est pas du cinéma. L'amour est foutraque, surtout traque, dans le château sans "doubles vitrages" de Barbe-Bleue. "Tu me traînes comme un corps mort / comme un gâchis". "ça finit toujours par une femme qui meurt."

Et les mélis-mélos  des fictions royales outre-Manche sont du même tonneau percé.  "le couple princier descend du singe / le couple princier descend la poubelle". "la couronne est sexuellement transmissible". Heureusement, l'Angleterre, si perfide soit-elle, a donné au monde Shakespeare, Virginia Woolf et Amy Winehouse. Une aubaine pour voyager en littérature et en musique.

Le plaisir spécifique du voyage ! Murièle Camac y consacre le plus long mouvement de son recueil. Il y a là tant de fictions dans l'improbable des langues.  Elles pèsent dans les sacs et dans les têtes. "Des photos d'ancêtres" dansent sur les murs là où l'on gîte chez l'habitant et les miroirs ne sont pas sûrs avec leur image de poignard.  Puis on marche. On contemple "un fleuve immémorial", on cause à des gens dans une vallée. Les gens, cette énigme-là, de l'inconnaissable. Cette énigme comme notre énigme depuis les débuts de la friction humaine : l'amour, la mort, les danses de l'une et de l'autre, mal embrassées. L'angoisse de la destruction. Sur l'île de Lesbos où la mer engloutit les naufragés de la misère et de la guerre. Dans le tourbillon des questions sur l'Origine du monde. Mais à quoi bon s'en étourdir puisque "personne n'y était" ! Et que, si ça se trouve, il n'en a plus pour longtemps, le monde... Encore des trucs à trafiquer, à mouliner dans "la respiration lente des images". Le Jour des morts quand le sang ne bat plus la chamade à l'hôpital. En été. "La chaleur nous enveloppe comme un bandage. / La plupart des chambres restent vides." La solitude du corps qui ne tient plus, qui rapetisse. Les embarras des mots pour dire les fictions qu'on a vécues. Au bord de l'océan sans fracas. N'y avait-il pas là "une petite maison en bois blanc" ? 

Il faut se souvenir, même avec du maquillage. De nombreux animaux traversent le Journal of the West : des cerfs, des lézards, des écureuils, des élans... Et voilà que les corbeaux d'Edgar Poe entrent dans la danse, "swish-swish". Comme dans "des dessins animés, des histoires pour enfants". Puis il y a la Liste émouvante (des choses que j'ai faites enfant et que je ne fais plus depuis), dédiée à la mère (cette fiction suprême...). "Aller ramasser des sacs de châtaignes / aller au ball-trap / aller à la messe de minuit / aller au clapier nourrir les lapins / aller nager dans l'étang..." Aller, aller avec les odeurs qui n'ont pas la sainteté de Bernadette Soubirous. Loin du cadavre décomposé de John Wayne. En lisant le visage d'Émily Dickinson sur l'île "entre sol et ciel" où les odeurs sont légères, où les odeurs sont fictions même si [on pue de la chatte].  

Enfin, [l'homme des années 70] qui anime encore votre serviteur ne peut que s'attarder sur De chez moi. Murièle Camac exerce son regard d'enfant narquois. L'époque est insouciante, cheveux au vent et cigarette à la bouche. Mais les shorts des hommes des années 70 remontaient-ils tous si haut, façon moule-boules ? Portaient-ils tous des blousons serrés et des chemises en polyester ? Hum ! OK ! Il y a sûrement là des phrases qui "sont des punks... pour emmerder le monde". Tout en n'emmerdant personne. Et c'est ainsi que la fiction s'amuse, dans les fragrances de la danse. Pour le grand plaisir du lecteur.


Extraits :

 

Un jour j'entends un silence vieillir.

Veiller et vieillir, de très loin.

D'aussi loin que la lumière.

Un silence très grand qui tient dans une seule pièce.

Il n'a pas de visage, juste un dos.

Il traverse la pièce pour se poser

sur le poli d'un meuble en bois.

Je l'écoute le temps qu'il reste là, réfléchi

par la matière : acajou.

Aussi concentré que la lumière, aussi lointain,

vieux comme notre attente.

*

Tout avait été passé au chiffon

dans la cuisine pas de miettes

ni traces de gras ni pattes de chat

bois et métal domestiqués

rien qui débordait

et par les carreaux réguliers des fenêtres

entrait un jour récemment nettoyé.

*

Mais qu'est-ce que je fais là ?

C'est souvent par cette question

que commence le voyage. 

Pourquoi donc ai-je quitté

mon lit mes livres mes chats ?

Qu'y avait-il dans ce nom

que j'aie pris tant de peine

à y faire entrer mon corps ?

 

Une odeur de fiction de Murièle Camac est publié aux éditions Exopotamie. L'image de couverture est de Karine Rougier. L'ouvrage compte 106 pages et coûte 17 €.

 

 

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