Un
mur sale après la boucle des écluses. Le tram avance au pas. Je lis ces
mots tracés au pinceau avec un
fond de peinture noire : FUTURE IS A JOKE. Je pense à ce qui reste
de l'usine derrière le mur. Métal rouillé. Parpaings lépreux. Gangrène
des ronciers drogués aux hydrocarbures. Terrain
d'aventures, peut-être, pour adolescents téméraires. Je regarde
autour de moi les voyageurs. Que se disent-ils en lisant ces quatre mots
? Que vont s'imaginer les plus âgés d'entre eux, dont la
vie désormais loge dans un petit paquet de souvenirs ? Le
crépitement d'un coq à l'intérieur d'un téléphone portable, suivi de
quelques onomatopées bougonnes, me fait sourire. Le présent aussi
est une plaisanterie, là, dans ce mauvais bruit de basse-cour. Un
comique de situation plutôt qu'un comique d'état. Pourquoi le futur
serait-il en soi une plaisanterie ? Ou alors, pourquoi le
serait-il plus que n'importe quelle autre chose ?
Le tram passe
maintenant devant le chantier du pont Lucien-Faure. Les travaux avancent
de plus en plus vite. Des engins mécaniques partout, des
bobines de câbles aussi, des buses de petit diamètre et de grand
diamètre, des barrières en tous genres incapables de circonscrire un
espace qui empiète sur celui de Cap-Sciences. La façade du
Nautilus en deviendrait presque touchante dans sa fragilité. Comment
résistera-t-elle à l'avalanche du béton et de l'acier, aux trépanations
du sous-sol ? D'autant que l'autre chantier, moins
difficile à réaliser, progresse encore plus rapidement. L'immeuble
qui abritera le siège social d'une entreprise d'envergure internationale
est déjà vitré. De l'agencement intérieur, personne ne
verra rien. Personne ne saura rien du passage des gaines
électriques, des conduits entre les cloisons, des fibres optiques pour
les télécommunications. Comme s'il y avait un secret à sauvegarder.
C'est alors qu'apparaît dans mon champ de vision la flèche de
l'église Saint-Michel. Je la regarde en pensant aux mots qui disent que
le futur est une plaisanterie. Je souris de nouveau.
J'imagine la charpente de l'édifice. Un jour, avec mille
précautions, il faudra en remettre à nu le bois, y injecter un répulsif
contre termites et capricornes. Stupéfait, un ouvrier lira sur un
linteau, en latin : le futur est une plaisanterie. Je ne souris
plus. J'ai tout soudain mille ans.
rue rodrigues-Pereire, 3
Le
paysage est une volonté. Il faut, dans cette rue quelconque, passer et
repasser un regard aiguisé.
Dresser, pourquoi pas, des inventaires. Morceaux d'objets en bois ou
en métal découverts sur la chaussée. Variétés d'ivraies au pied des
murs. Petits papiers perdus qui disent à bas bruit la vie
des habitants : listes de courses griffonnées sur des post-it,
prospectus d'artisans et de prestataires de services à la personne,
tickets de caisse. Evidemment, comme toujours, l'imagination
emboîte le pas à la volonté. L'un de ces petits papiers pourrait
être une carte de visite tombée d'un livre. Un roman à l'eau de rose
aussitôt naît. Rencontrer la titulaire de la carte, jolie et
intelligente, la séduire, lui faire accepter un rendez-vous autour
d'un café, en après-midi pour commencer et... obéir au rappel à la
réalité d'un automobiliste qui klaxonne : rêvasser au milieu
de la rue comporte bien des dangers.
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