place Saint-Seurin, 5
Un
soleil trop généreux pour la saison dénude déjà les épaules des jeunes
filles, fait courir
un chien sur la pelouse, après une balle ou un rayon. Les bourgeons
de mars ont pris de l'avance dès la fin de janvier. Le petit peuple des
insectes aussi, qui trottine dans les fissures du bois
et de la terre. Je laisse aller mes pensées au hasard de leur marche
improbable. Je ne sais ni ce qu'elles sont ni ce qu'elles font. Le
paysage s'abolit lentement de lui-même. J'entends à peine
la rumeur des voitures qui ceinture la place.
Comment le temps
passe-t-il en ce moment où je m'oublie ? Que va-t-il déposer, que je ne
verrai pas, sur le banc qui m'accueille ? Je regarde sans
m'en apercevoir mon manteau que j'ai ôté. Il est peut-être,
comme les livres dans l'armoire vitrée, une offrande aux gens de
passage. Empruntez-le un jour, deux jours, mais ne manquez pas de
le rapporter. Et, si vous aimez la lecture, pensez à ce que ses
poches peuvent contenir de mots. Des manteaux et des livres pour
traverser les saisons. De place en place. De station de tram en
station de tram. Le réseau magnifique que cela ferait...
Le chien
amateur de balles et de rayons se campe devant moi en frétillant. Gratte
le sol, met sa patte sur mon genou. Je reviens enfin au
monde. L'église. Le square avec ses balançoires et son toboggan. La
statue du général qui me tourne le dos. De Monsabert. Je commence à
imaginer une galerie de portraits dans un château.
Cliquetis de médailles sur des poitrines bombées. Pour un peu, des
boulets de canon puis des obus se mettraient à pleuvoir. Mais le chien
lance un aboiement. La pression de sa patte s'accroît sur
mon genou. Il aura deviné que j'ai un rendez-vous. Que je risque
d'être en retard à trop vagabonder. Je me lève. Je le caresse entre les
oreilles. Mais il aboie encore. Ah ! oui, mon manteau.
Merci, le chien.
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