L'annuaire professionnel Canadian Planet présente le trio formé par Jean Coulombe, Alain Larose et Denis Samson comme une "association libre de poètes inclassifiables". La notule ajoute, un zeste facétieuse, que leur blogue (orthographe québécoise) ne dort jamais.
L'aventure poétique de CLS Poésie commence à l'été 2009 dans une ferme aux alentours de la ville de Québec. Les trois compères, (on les imaginerait facilement dans Les tontons flingueurs avec la gouaille en guise de holster), se réchauffent à la flambée du bois et des mots. Sans oublier quelque nectar de derrière les fagots qui enivre la liberté. Celle d'ouvrir la cage aux fauves de la poésie et de les lancer à l'assaut de la jungle virtuelle. Treize ans après, mille poèmes ont vu le jour et la nuit, souvent mariés à la musique, à la photo, à la vidéo. Dans les champs des campagnes et dans les rues des villes.
Le recueil de CLS Poésie, Laboratoire d'insomnies, témoigne de ce chantier hors sentiers et trottoirs battus. "C'est souvent en se parlant apparemment tout seul que l'on rejoint le plus de gens", observe Alain Larose dans le préambule. Chaque auteur écrit sa partition en solo mais des liens intertextuels se nouent en surface et en profondeur, dans des jeux de miroir qui touchent le plus grand nombre. D'insomnie en insomnie, le va-et-vient de l'intime et de l'extime au fil du temps et du compagnonnage donne à cet ensemble une unité qui émeut le lecteur.
Jean Coulombe, dont les textes extraits du blog s'échelonnent de juillet 2009 à février 2022, exprime l'amour inquiet dont l'absence est une présence palpable. Le dernier vers de son dernier poème, "ta voix me piège", éclaire obscurément le voeu qui ouvre la partition : "Je voudrais des îles entre mes mots, des mots entre mes gouffres". Quand les chiens sont des loups et que reviennent les coyotes, quand les chats de la basse-ville écument de tendresse avant la mort, "que nous reste-t-il dans les mains" ? Même le bonheur n'est pas dicible dans le monde chaviré. Et Socrate y perd toute sagesse, il ne tiendra jamais la route sur son VTT. Il n'ira pas bien loin avec "sa poutine végane". La terre ferme n'est peut-être qu'une illusion au coeur de la langue.
La plupart des textes choisis par Alain Larose sont datés de 2009 à 2011. Un auteur qui se dit "parti à la campagne élever des poètes pour la viande" a l'humour forcément grinçant. Ses vers souvent brefs découpent le réel en fines lamelles dont la dégustation est un peu amère. Le chagrin de la femme est parfait dans le fracas de ses larmes lourdes "comme des pianos" et Alain Larose ajoute : "je / suis / juste / dessous". C'est qu'il pleut en amour* dans ses poèmes comme dans ceux de Brautigan. Thérèse se perd dans la solitude quand elle retrouve la photo de sa mère. Même les mots doux de l'aimée ont fichu le camp. Ne reste de sa main qu'une liste de courses "à l'endos d'un signet".
Denis Samson a surtout retenu des textes de la dernière période du blog, 14 sur 25. Leur dépli est souvent plus étiré. Plus métaphorique. C'est que le poète [veille tard et qu'aux laboratoires d'insomnie le silence est un lapsus]. "Si on manque de chansons on est morts", écrit-il dans son Salon des heures lentes. Avec des accents parfois prévertiens, la camarde joue à la ritournelle. Elle est à l'affût dans la poule au pot du dimanche et quand les gosses s'amusent à la guerre "parmi les cercueils à vendre". Elle plombe les ombres qui "dansent le slow" et personne ne lui échappera ni à l'intérieur ni à l'extérieur de L'hôtel mort. L'espoir cependant luit comme un brin de paille*. Au diable la nostalgie mitée comme un vieux gilet ! Le lecteur prendra la clé des champs, "le ciel jeté sur l'épaule".
Extraits :
Ataraxie
Un coyote hurle au loin
j'attends le jour
libre comme la pluie
sous les cendres
les petits bruits
de la nuit
ne sont plus rien
quand arrive
la montagne
en son silence
nous danserons
la suite. (Jean Coulombe)
L'évasion du siècle
J'écris des poèmes d'amour
comme un aveugle
vend le journal
sur la table de travail
près de la porte
ouverte
le vent tourne
les pages de l'annuaire
j'enfile
les alcools
comme on noue
des draps
pour l'évasion
du siècle (Alain Larose)
Laboratoires d'insomnie
Figures d'amnésie rapiécées
mes yeux parmi ceux des dormeurs
aux étages du soir
et la serrure
pour regarder là-haut
et voir d'où la nuit tombe,
tant que le temps lui-même
réussira pas à devenir un poème
il y aura pire
que cette panoplie
des laboratoires d'insomnie
pour apprivoiser ses blessures. (Denis Samson)
Laboratoire d'insomnies de Jean Coulombe, Alain Larose et Denis Samson compose un mouvement d'associations libres et de contrepoints où l'âme se perd pour mieux se retrouver au foyer de l'amitié qui soigne. Il est publié aux éditions Aux cailloux des chemins dans la collection Nuits indormies et coûte 12 €.
* Il pleut en amour est un recueil de Richard Brautigan.
* "L'espoir lui comme un brin de paille", Paul Verlaine
Magnifique ! Voilà, mission accomplie : il me faut ce livre.
RépondreSupprimerVous m'en voyez ravi.
SupprimerMerci pour cette lecture si précise et sensible Dominique ! Je commence à comprendre ce qu'éditer peut vouloir signifier, faire entendre et lire des voix fortes et nouvelles. Je pense à l'art pariétal, c'est également comme entrer dans une grotte et y découvrir sur les parois les oeuvres qui s'étalent sur leur surface et pendant des dizaines de milliers d'années. Un peu d'emphase dans ce monde brutal, je n'en suis pas très coutumier, mâché comme je le suis par tous ces délitements, mais lâchons avec ces trois auteurs les chevaux dans les plaines infinies que sont leurs poésies !
RépondreSupprimer(Je pense à la joie de l'amie Christine qui suivait ces trois brigands-poètes depuis ? 12 ans ? Et sans qui vraiment ce livre n'aurait pas vu le jour!)
Hervé G