Le journal Sud Ouest a consacré deux pages à la rénovation du quartier des Aubiers dans son édition du 10 mai 2025. Quelques statistiques de l'Insee soulignent la précarité de cette banlieue nord de la métropole.
- Taux d'emploi : 46, 8 %
- Part de la population occupant un emploi à temps partiel : 27, 2 %
- Part de l'ensemble des prestations sociales sur l'ensemble du revenu disponible : 23 %
- Part de la population sans diplôme : 47, 4 %
La corrélation entre cette absence de diplôme et le chômage auquel s'ajoute le sous-emploi est un invariant socioéconomique dans les zones dites prioritaires. La présence de familles immigrées ou issues de l'immigration explique partiellement cette précarité. Quand le plein accès à la langue d'accueil est empêché, un repli sur des pratiques sociales et sociétales s'opère. Une forte pensée ressentimiste l'accompagne et génère des conduites à risques et des violences. Le quartier des Aubiers abonde régulièrement la chronique des faits divers.
L'engagement conjoint de la mairie de Bordeaux, des bailleurs sociaux et du maillage associatif, si louable soit-il dans ses réalisations (amélioration des espaces de circulation publique, création d'un point France-Services pour les démarches administratives, construction du groupe scolaire Louise-Michel et du gymnase Aubiers-Ginko...) ne convainc pas toujours les résidents. Le ressentiment persiste, les tensions intra et extra communautaires s'accroissent. C'est là aussi un invariant depuis la montée en puissance du néolibéralisme à la fin des années 1970. Il a été largement documenté par les chercheurs en sociologie et anthropologie, les architectes, les paysagistes, etc.
Les représentations (concrètes, symboliques, imaginaires) subissent un déclassement. Les témoignages recueillis auprès des habitants "visibles" sont éloquents : "Il faut commencer par écouter les gens qui vivent sur place, cela fait longtemps qu'on nous en parle mais on attend toujours..." Du très prescriptif "Il faut" à la dissolution du "on" entre émetteurs et percepteurs, l'agissement des interactions est difficilement identifiable. Malgré les concertations menées en 2017 et 2018, la parole ne circule pas mieux que les espaces réaménagés. Et, surtout, elle n'atteint pas les habitants "invisibles". Un dojo va prochainement ouvrir mais "les habitants que nous avons croisés n'en avaient pas entendu parler", dit une figure notable du réseau associatif.
La première priorité de ce chantier est donc celle des pratiques de la langue. Réduite à des fragments interchangeables dans le flux conversationnel, elle n'est plus qu'un signifiant sans ossature grammaticale, un bruitage phatique d'où n'émerge aucun sens complexe. Et c'est ainsi que la pensée disjonctive conduit à des oppositions stériles. Des expressions telles que "vivre ensemble" et "mixité sociale" deviennent inaudibles aux représentations séparatistes en quête de boucs émissaires : l'étranger, le chômeur, l'homosexuel, etc. Les électeurs, y compris ceux issus de l'immigration, sont de plus en tentés par les sirènes de l'extrême-droite.
Cette réappropriation de la langue implique un effort conséquent sur le front éducatif. La suppression des classes dédoublées à l'école Louise-Michel inquiète les parents d'élèves. Comment la mairie de Bordeaux peut-elle pallier le désengagement progressif de l'État en matière d'éducation et d'aménagement du territoire ? Sachant qu'en 2021, 166 millions d'euros ont été mobilisés pour les premières phases de la rénovation, la marge de manœuvre budgétaire est étroite. Le recours à une nouvelle forme de taxe d'habitation dont une partie du bénéfice serait dévolue à l'éducation obtiendrait-il le consentement des citoyens imposables ? Faudrait-il envisager la création d'un loto pour l'école comme cela se fait pour le patrimoine ? Dans le cadre légal d'un Partenariat Public-Privé ? Voilà bien du pain blanc à lever sur les tableaux noirs de nos têtes multicolores ! Vincent Maurin, l'élu de proximité, s'y emploie avec ardeur.
Le dernier casse-tête est celui du travail. Comment réserver in situ des emplois et dans quels domaines, avec quels acteurs de la sphère économique ? Le contexte d'insécurité n'incite pas les investisseurs à prendre des risques. Le bureau de tabac a été incendié en 2024. La Poste a subi le même sort en 2020. "On ne peut pas arriver et dire aux jeunes de dégager d'en bas des immeubles", disent des habitants. Soit ! Mais un traitement en profondeur de la délinquance s'impose. Coûteux en personnels et en moyens, il est le prix à payer pour que de nouveaux commerces de proximité s'installent. Quant au pôle de santé, seul un kiné l'occupe. Quel médecin ouvrira là son cabinet ? Et les Aubiers sont également un désert culturel. Il n'y a que la bibliothèque. Il faudrait un lieu pour la musique, le théâtre, la danse. Des postes pourraient être créés à tous les niveaux de qualification. De même avec la réouverture des jardins partagés et la construction en cours de 118 logements.
Ce quadriptyque langue-éducation-emploi-sécurité, avec ses géométries enchâssées sans mouvement qui déplace les lignes, a parfois d'étranges échos dans les psychés. Une remarque attire l'attention penchée sur le marais de l'inconscient : "Personne ne sera chassé." Pourquoi cet attribut, "chassé" ? Il évoque un locuteur en position de commandement (bailleur social) et un récepteur en position de subordination (locataire). On chasse le gibier dans son terrier, le cerf au détour des halliers et même le dahu. Toute chasse induit une résistance mais la chasse a son appareil de légitimités brandi comme un écu quand la résistance est coupable, forcément coupable. Il y aurait tant à dire encore, là et ailleurs. Aussi, terminons par ce vers de Rimbaud : "Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse".
Image de l'exposition Banksy visible à La cité bleue de Bacalan.
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