mercredi 4 avril 2012

Paysages revus dans Bordeaux #9

place Saint-Seurin, 5
 
Un soleil trop généreux pour la saison dénude déjà les épaules des jeunes filles, fait courir un chien sur la pelouse, après une balle ou un rayon. Les bourgeons de mars ont pris de l'avance dès la fin de janvier. Le petit peuple des insectes aussi, qui trottine dans les fissures du bois et de la terre. Je laisse aller mes pensées au hasard de leur marche improbable. Je ne sais ni ce qu'elles sont ni ce qu'elles font. Le paysage s'abolit lentement de lui-même. J'entends à peine la rumeur des voitures qui ceinture la place.

Comment le temps passe-t-il en ce moment où je m'oublie ? Que va-t-il déposer, que je ne verrai pas, sur le banc qui m'accueille ? Je regarde sans m'en apercevoir mon manteau que j'ai ôté. Il est peut-être, comme les livres dans l'armoire vitrée, une offrande aux gens de passage. Empruntez-le un jour, deux jours, mais ne manquez pas de le rapporter. Et, si vous aimez la lecture, pensez à ce que ses poches peuvent contenir de mots. Des manteaux et des livres pour traverser les saisons. De place en place. De station de tram en station de tram. Le réseau magnifique que cela ferait...

Le chien amateur de balles et de rayons se campe devant moi en frétillant. Gratte le sol, met sa patte sur mon genou. Je reviens enfin au monde. L'église. Le square avec ses balançoires et son toboggan. La statue du général qui me tourne le dos. De Monsabert. Je commence à imaginer une galerie de portraits dans un château. Cliquetis de médailles sur des poitrines bombées. Pour un peu, des boulets de canon puis des obus se mettraient à pleuvoir. Mais le chien lance un aboiement. La pression de sa patte s'accroît sur mon genou. Il aura deviné que j'ai un rendez-vous. Que je risque d'être en retard à trop vagabonder. Je me lève. Je le caresse entre les oreilles. Mais il aboie encore. Ah ! oui, mon manteau. Merci, le chien.

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