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lundi 26 novembre 2018

Trier, garder et jeter, retrouver

Depuis trois semaines, je mets de l'ordre dans la maison. En près de vingt ans, le papier sous toutes ses formes a pris ses aises et la poussière un peu partout. 

Les livres d'abord. Toujours trop nombreux. Souvent inutiles. Un désherbage s'impose. On ne relira pas la plupart des romans que l'on garde. Conserver tout Flaubert et tout Camus va de soi. Mais pas Simenon ni Modiano. Balzac et Kafka eux-mêmes ne sont pas totalement indispensables. Quant aux écrivains contemporains, à part une petite trentaine de coups de foudre, presque tous sont déjà oubliés. Alors, quatre cents ouvrages sont partis et les étagères respirent mieux.

Après les livres, les papiers en vrac ou dans des classeurs, au rez-de-chaussée et à l'étage : factures, avis d'imposition, bulletins de salaire, analyses de sang, relevés de banque, courriers administratifs, certificats de garantie... J'ai rempli cinq sacs-poubelle de trente litres. Avec l'impression étrange de préparer ma disparition. N'est-ce pas ainsi que l'on vide la maison des morts, avec des sacs-poubelle à portée de main ? En lisant parfois une date que l'on s'étonne de trouver si lointaine... 1985. Compte-rendu d'un pneumologue. On souffrait déjà de l'air qui passait mal.

Après les livres et les papiers, les traces plus personnelles et intimes : cartes postales, agendas et carnets, photos de classe et de voyages, faire-part de naissance, lettres manuscrites et petits mots d'amour. Ah ! C'est à croire finalement qu'il existe, l'amour ! Et mon coeur se serre. Et mes yeux se mouillent. Réduire le nombre des cartes postales et des photos de voyage est quasiment automatique. Tout garder sans les relire, on ne veut pas pleurer, des mots d'amour est également automatique. Mais on rassemble ces traces dans un écrin précis qui trouve une place précise. Et ce n'est plus automatique.

Je ne sais pas dans quel état je serai lorsque j'aurai fini la remise en ordre de la maison. Comment le vide sur les étagères me remplira-t-il et de quoi ? Serai-je ainsi plus près de ma mort apprivoisée ? Retrouverai-je un peu d'élan pour un peu de joie ? Une chose est certaine. Le nombre des sacs-poubelle va augmenter dans les jours qui viennent.

samedi 13 avril 2013

Chute #2

 J'entends à l'étage que tu es en train de te lever. Je ne bouge pas. Je t'écoute. Mon corps tout entier s'ouvre à tes mouvements. Un déshabillé de soie chuinte sur tes épaules. Des chaussettes de grosse laine rouge glissent autour de tes pieds. Tu ouvres la porte de la salle de bain. La glace capte aussitôt ton visage. Tu t'empares de ton reflet, lui pinces le menton, lui tords la bouche. Une mèche échappée se met à voleter et tu ne parviens pas à la rattraper. La soufflerie de la salle de bain en est peut-être la cause. Ma main, ou la tienne, aura ripé sur la mollette de réglage, augmenté le volume. Tu hésites. La mèche de cheveux continue à voleter. Excitée peut-être par un infime courant d'air tombé du velux. Tu te dis toi aussi que quelque chose ne va pas, sans t'étonner, habituée que tu es à l'insolite présence qui naît sous chacun de tes regards, et tu m'appelles comme toujours tu m'appelles sur le coup de dix heures, en sifflant.

Je remets à plus tard mon improbable exploration au centre du bois. Je considère vaguement les piles de livres posées par terre. Toutes sortes d'objets les accompagnent, retournés depuis longtemps à l'état de morceaux. Du papier. Du fer. Du verre. Du plastique. Il faudrait vouloir les ranimer. Rassembler autour d'eux des pans d'histoire, des bribes de mémoire.

En quoi cela me fraierait-il un chemin pour comprendre ?

Tu me parles de tes cheveux poussés par un vent qui n'existe pas et je te confie mon errance de la matinée. Nous rions. L'étrangeté nous est tellement familière. Mais là, c'est autre chose. Un simple déplacement dans les coulisses du monde, nous n'en tiendrions pas compte. Tu marches dans la bibliothèque. Tu prends la mesure de la lumière qui s'encadre à la fenêtre. Onze heures déjà. Je pense au plat préparé que je vais acheter à la boulangerie. La serveuse me demandera si je veux une boisson pour aller avec et je lui répondrai que j'irai sans. J'imagine que, cette fois ci, nous n'aurons pas cet échange rituel. Non pas qu'elle sera fatiguée, ou pressée par un surcroît de travail. Elle aussi, après s'être levée et avoir bu son café debout devant une baie vitrée, aura éprouvé un sentiment identique au nôtre. Quelque chose ne va pas. Tu t'arrêtes de marcher. Tu dis que les piles de livres ne vont pas tarder à tomber. J'objecte qu'elles sont assez stables mais tu n'es pas convaincue. Puis tu me demandes si j'ai regardé le ciel. Ton raisonnement est simple. S'il n'y a rien de notable en bas, il faut regarder en haut. Depuis l'origine des temps l'homme interroge le ciel quand quelque chose ne va pas. Je grommelle. Le ciel est trop grand et je prendrai froid dans le jardin, avec ma robe de chambre qui ferme mal. 

mercredi 10 avril 2013

Chute #1

 Je m'assois sur une chaise pliante accotée à l'appentis et mes yeux suivent les ondulations de la terre. Petits grains piquetés d'herbe rase. Mottes grattées par les chats. Rotondités de glaise où perchent des oiseaux. Cailloux remontés d'un creux au pied d'un arbre. Rigoles des pluies anciennes. Je prête l'oreille aux remuements du matin. Quelques feuilles ont çà et là des frottements d'élytres sèches. Un pot, que tu avais suspendu il y a deux étés, grince au bout de son piton. Au-delà du jardin, chez les voisins, la rumeur du jour va son train coutumier. Des portes s'ouvrent puis se ferment sans claquer. Des voix s'interpellent. Une radio crache. Un chien gémit.

Plus loin, dans le maillage serré des rues, le grondement mécanique des travaux de terrassement fait que je me tasse un peu sur la chaise. Aucune vibration douteuse, cependant. Il faudrait que je rassemble tout mon courage pour enquêter dans la ville. Du centre à la périphérie. Ou l'inverse. Suivre minutieusement le plan des cercles fermés. Alimenter au fur et à mesure ma volonté d'élucidation.

Mais pour comprendre quoi ?