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lundi 30 octobre 2017

La vieille dame qui chante avec les fleurs, 2

Résultat de recherche d'images pour "terre adélie"   Les mots me manquent pour faire le portrait de Haruki Ogawa. Le vocabulaire habituel s’efface aussitôt qu’il est dit. Je demande aux lecteurs, s’il s’en trouve de mon espèce ou d’une autre, indulgence et bienveillance. Haruki Ogawa n’est conforme à aucune définition communément admise par les faiseurs de définitions. Mettons qu’il soit de taille moyenne même si j’ai l’impression qu’il s’allonge parfois de dix centimètres ou, au contraire, rétrécit d’autant. Mettons qu’il ait les cheveux bruns, très bruns, normal pour un Japonais, même si leur couleur vire comme si elle ne tenait pas, selon la lumière changeante, au bleu ou au violet en passant toutes les gammes du mauve. Cette impossibilité à saisir son visage confère à Haruki Ogawa une étrangeté que ne renierait pas la romancière du même nom. Nous nous sommes rencontrés dans une brasserie traditionnelle, il en existe encore, avec des serveurs humains stylés à l’ancienne, et j’ai constaté que le décor échappait à toute persistance rétinienne. La matière du mobilier notamment, me paraissait instable, tantôt très dense tantôt très poreuse. Allait-elle se désagréger alors que je m’efforçais de suivre ce que me disait Haruki ? Ma mémoire, pourtant augmentée, réussirait-elle à organiser l’essentiel et l’accessoire de son propos ? Aujourd’hui encore, je ne peux être sûr de rien et j’en éprouve une sourde inquiétude.

   Haruki Ogawa, nonobstant son inclinaison au silence, m’a longuement parlé de ses voyages en terre Adélie. Avant de sentir les hommes, il faut sentir les paysages. On ne peut rien faire sans ce préalable. Cela demande du temps. De la lenteur. Pendant les deux mois de mon premier séjour, j’ai beaucoup marché. Comme Kant et Schopenhauer. Vous les avez lus peut-être, dans votre ancienne vie. Non ? Qu’importe ! Marcher donc. J’insiste. Les paysages de la terre Adélie sont plus variés qu’on croit. Il n’y a pas que des arpents de neige et des cailloux. Mais vous allez me dire que ce n’est pas le sujet. Je comprends. Les reconfigurés, vous permettez que je vous appelle reconfiguré, sont rationnels. Moi, pas tellement. C’est parce que je suis japonais. Encore un paradoxe. Le Japon est l’un des pays les plus touchés par les mutations technoscientifiques et pourtant assez peu rationnel. La terre Adélie n’est pas vraiment rationnelle non plus, malgré ses laboratoires de recherche. La preuve, on y a construit la prison internationale en dépit du bon sens. Je l’ai visitée plusieurs fois. Son directeur m’a paru mélancolique. Trop de blanc à l’intérieur et à l’extérieur. Il aurait fallu du jaune. Bouton d’or ou tournesol. Il aurait fallu des équipements moins minimalistes, en bois plutôt qu’en acier, avec des veines bien prononcées. Les détenus ont du mal à s’y faire. Ils se promènent librement dans la prison, accèdent librement au parc artificiel mais ils sont souvent prostrés. Assis des heures sur des bancs, les doigts crispés sur le ventre pour en protéger les viscères attaqués par des rapaces imaginaires. Certains refusent même de sortir de leur cellule. Quelques-uns ont préféré se suicider. Les exopsychiatres pensent que des erreurs de zonage se sont produites quand les neurochirurgiens ont opéré les cerveaux des prisonniers. Ils craignent de ne pas maîtriser la situation si la violence se déchaîne. Il y a là-bas des criminels absolus, dit le directeur. Des monstres qui feraient passer Jack l’Eventreur pour l’agneau le plus doux de la création.

image terreadelie.sblanc.com

mercredi 25 octobre 2017

La vieille dame qui chante avec les fleurs, 1

Résultat de recherche d'images pour "voiture du futur"(Cet extrait appartient à un ensemble romanesque écrit par deux narrateurs : un personnage humain reconfiguré et un cobot littéraire. Un cobot est un robot décisionnel et empathique doté d'une intelligence artificielle de la dernière génération. Le passage que vous vous apprêtez à lire est entièrement rédigé par ledit cobot en étroite collaboration (d'où le terme cobot)  avec le personnage humain reconfiguré qui se nomme Bor après s'être appelé Jacques jusqu'à l'âge de soixante ans. D'une façon ou d'une autre, ce roman paraîtra au plus tard en 2020, après remaniements et retouches bien sûr.)

   Un accident a soudain immobilisé la circulation. La voiture a pris le relais de notre conversation sur le Japonais énigmatique*. «  Suite à un accident voyageur humain au premier niveau kilomètre cinquante-huit, le trafic est interrompu sur l’ensemble du réseau périphérique. La brigade d’intervention routière et les services de la voirie présentent leurs excuses à tous les usagers. Notre compagnie n’est pas encore en mesure d’évaluer le retard dû à cet aléa. En partenariat avec le multiplexe municipal, elle vous propose de visionner gratuitement et sans inserts subliminaux de publicités un tridoc sur le chant des pluviers d’Amazonie ou le brame du dernier cerf de Tromso. » Bor a choisi le chant des pluviers et l’habitacle de la voiture s’est transformé en forêt vierge. Des fumerolles gris bleu montaient d’un humus aux craquelures dorées et frisotaient. Une source gazouillait comme gazouillaient les sources au début de la création, dans la pureté des premiers sons. Une libellule longue de dix centimètres a traversé le décor en plongeant si profondément ses yeux dans les nôtres que Bor a eu un mouvement de recul. Puis un couple de pluviers s’est posé sur une liane. Après quelques trilles enjoués, le mâle a fait une révérence de théâtre assez comique et s’est lancé dans un exposé sur son espèce à lui de pluviers car il en est des dizaines à travers le monde. « On nous appelle pluviers d’Amazonie mais à l’origine nous sommes des pluviers de Sainte-Hélène. Sainte-Hélène est une île de l’océan Atlantique célèbre pour avoir accueilli en exil un empereur français au temps jadis. Dans les années deux mille dix, des promoteurs ont transformé l’île en station touristique et, de construction d’immeuble en construction d’immeuble, de parc à thème en parc à thème sur les dictateurs les plus célèbres de l’Histoire, le béton a gagné tellement de terrain qu’il ne restait plus un seul arbre pour nous les pluviers. Alors nous nous sommes réfugiés en Amazonie. Nos conditions de vie ne sont pas idéales mais notre espèce n'est plus en voie de disparition. La fondation Warren Buffet, le fonds des Scottish widows et la Ligue Internationale Des Oiseaux (L.I.D.O.) investissent chaque année cent mille néodolls pour assurer notre protection sans menacer nos capacités d’autonomie. Par exemple, nous couvrons nous-mêmes la totalité de nos besoins alimentaires. La gestion raisonnée de nos ressources environnementales a réduit de cinq pour cent le taux de notre mortalité prématurée. Enfin, notre présence en Amazonie génère des produits touristiques non négligeables pour l’économie vivrière locale avec une réduction de un pour cent de la très grande pauvreté parmi les indigènes. Un millième des bénéfices est également reversé à la société d’ornithologie de notre secteur. Laquelle peut ainsi équiper ses bénévoles de bonnes chaussures de marche et de répulsifs anti-tarentules efficaces. Si vous êtes sensible à la cause des pluviers, cette voiture dotée de la nouvelle technologie 4D vous fournira à prix coûtant un oiseau merveilleusement répliqué avec traducteur automatique de chant dans la langue de votre choix. Ayant trop abusé de votre patience, mais j’apprends à l’instant que la circulation restera paralysée sur les cinq niveaux du boulevard jusqu’à une heure avancée, je passe la parole à ma compagne qui va vous interpréter les arias les plus emblématiques de notre patrimoine. »

(Le Japonais énigmatique ci-dessus évoqué s'appelle Haruki Ogawa. Philosophe spécialisé dans les neurosciences, il mène une enquête dangereuse dans la prison internationale de la Terre Adélie et la terminera sur les hauteurs de Pisco Elqui au Chili...)

image charlotteauvolant.unblog.fr