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mercredi 28 août 2013

Bernhard, Harrison et Hugo

Thomas Bernhard est un écrivain incontournable si on a quelque prétention à s'y connaître en littérature. Il y a deux de ses livres dans notre bibliothèque, Un enfant et Le naufragé, que ma compagne a lus. Moi pas. Je ne peux pas. Ce n'est pas la façon qui me dérange. Il y a en elle une lenteur dans la reprise du propos tout à fait séduisante. Mais, comment dire, c'est l'aspect compact de l'ouvrage dont j'ai peur. Pas de chapitres, pas de paragraphes, aucun alinéa. Où s'arrêter dans le flux pour reprendre son souffle ? Comment remonter dans le corps du texte pour en élucider les ombres ? Je suis perdu, perdu. Fort heureusement, je n'ai guère de prétention à être un savant es lettres.
Alors, j'ai relu Un bon jour pour mourir de Jim Harrison. Une traversée de l'Amérique dans les années soixante qui se termine dans cette terre d'écriture qu'est encore aujourd'hui le Montana. Deux mecs et une nana roulée comme un canon veulent faire sauter un barrage. Vitesse, défonce, baise, tristesse, pleurs. Pêche au tarpon au premier plan. Guerre du Vietnam en back ground. La quatrième établit un parallèle un rien hâtif avec Jules et Jim, mais, qu'importe, je n'ai pas boudé mon plaisir. Et Harrison est épris de culture européenne. Ce n'est pas si fréquent chez les auteurs américains.
Aussi, dans la foulée, je relis l'unique roman de Richard Hugo, La mort et la belle vie. Un roman de poète où on rencontre Valéry et Baudelaire. Une espèce de polar qui se déroule dans les environs de Missoula, Montana. Encore. Une femme de deux mètres fend à coups de hache le crâne des promeneurs isolés. L'inspecteur Barnes dit La tendresse because sa fâcheuse propension à laisser s'échapper les voleurs, a du pain sur la planche. Un inspecteur poète   qui suscite toutes sortes de confidences. Un sérieux atout quand on est flic. Et puis il aime le cul des filles aussi, les trouve toutes belles. Parce qu'il vieillit...

vendredi 28 juin 2013

Je n'ai jamais lu Dickens

Dans l'un de ses posts, comme on dit sur les réseaux sociaux, Francesco Pittau affirme préférer Dickens à Balzac. Je me souviens que je ne l'ai jamais lu. Je me souviens que je lis et relis Shakespeare mais que ma connaissance de la littérature anglaise se limite à quelques contemporains dont Coe et Mc Ewan.

Je me souviens que j'ai une culture à trous comme j'ai eu une enfance à trous. Ni père ni mère pour m'accompagner sur les chemins des lettres. Des études interrompues en première et reprisées comme des vieilles chaussettes.

Je pense à Lionel Bourg qui déclare avoir dû voler la langue quand il était adolescent. Je prends ses paroles à mon compte. J'ai volé la langue et, par chance, dans mes butinements désordonnés, des amoureux des littératures ont bien voulu me guider. Paraphrasant feu Maurice Nadeau, je dis : " Grâces leur soient rendues ! "

Je leur dois tant de trésors qui palpitent encore dans ma poitrine. Ils m'ont fait grandir avec des princes maladroits, des consuls ivrognes, des jouvenceaux conquérants, des âmes crépusculaires, des coquins obstinés...

Je leur dois d'avoir pu apprêter mon chant dans le creuset de mes silences.

Je leur dois d'être parvenu à rester vivant et d'avoir, oui, pu rencontrer l'amour.

Cependant, malgré quarante ans de lectures qui m'ont conduit à franchir tant de rives improbables, je demeure un petit garçon qui ne comprend rien.

Il me faut grandir encore et encore. Défricher le fouillis des émotions et des idées. Forger les outils nécessaires au regard ouvert et pénétrant.

Combler du sang des autres les trous de mon corps.

mardi 2 avril 2013

Bibliothèques #7 (carnet pied-de-poule)

 Comment ai-je oublié ce carnet pied-de-poule pendant vingt-trois ans ? Malgré sa couverture particulière, carrés noirs et blancs ripant les uns contre les autres, il aura su se fondre dans le voisinage des livres, épouser la texture un peu rêche des vieux cuirs ou celle plus souple des collections de poche.

Quelques pages au début ont été arrachées. Un remords d'écriture, peut-être, mais il y en a tant. Impossible de remonter le fil de cette déchirure dont l'irrégularité m'incite à penser qu'une vive émotion y a présidé.

Puis, en une cinquantaine de pages datées de juillet 1989 à septembre 1990, des chroniques de trois ou quatre feuillets sur des romans. Intervenais-je encore à cette époque à l'antenne de Radio-France-Bordeaux-Gironde pour évoquer mes errances littéraires ? Je ne sais plus.

Qu'importe !

Je retrouve mes mots à propos de Mémoires sauvés du vent de Brautigan, de La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole, de La neige de l'amiral d'Alvaro Mutis, de tant d'autres.

Parmi ces grands livres, des romans plus anecdotiques, plus populaires diraient certains en tordant la bouche. Sur la terre comme au ciel de René Belletto et un roman de science-fiction dont je n'ai noté ni le titre ni l'auteur mais il parle de la planète Ténébreuse...

Un éreintement aussi. La chambre andalouse d'Anne Bragance. Comment ai-je été amené à lire ce texte ? Mystère.

Ce carnet illustre en tout cas le genre de lecteur que j'ai toujours été et que je tiens à rester : libre butineur, affranchi des modes et des dogmes, méfiant à propos des classifications arbitraires.

Après tout, bien que je la révère, Marguerite Duras a écrit aussi de mauvais livres. 

mardi 5 février 2013

Bibliothèques #6

Je retrouve trois volumes de la collection écrivains de toujours que publiait le Seuil. Elle a marqué mon jeune âge comme les livres carrés de Seghers, Poètes d'aujourd'hui
 
C'était l'époque où j'essayais de comprendre la pensée de Georges Bataille. La seule expression de "part maudite" éveillait des échos qui dépassaient mon corps. Mais où s'en allaient-ils donc faire résonner mes émois ?
 
Le Stendhal aussi, acheté la même année. Je ne suis pas certain de l'avoir lu. 
 
Et enfin le Kafka. Je retrouve à l'intérieur une carte postale qui représente Marguerite Duras. Elle fume. Le grésil de la cigarette se rapproche dangereusement de ses doigts. Comme si l'écrivain était parti de lui-même et qu'il n'y reviendrait jamais. 
 
Kafka, qu'on a souvent dépeint comme un grand mélancolique, ne manquait pas, dit-on, d'humour. Sans doute aurait-il apprécié le canular littéraire du Seuil qui publia une monographie de Ronceraille pour le centième numéro de sa collection.
 
Ronceraille ? Ah ! oui. En effet ! Un auteur atypique injustement tombé dans l'oubli. Je me souviens. Je me souviens.
 
Le premier quidam qui me tient ce propos, mes yeux le revolvérisent.

lundi 4 février 2013

Bibliothèques #5

Je ne fais pas la différence entre le corps de nos bibliothèques et mon corps physique. Foutoir partout des viscères. La gangrène des livres comme le pourrissement de la peau. Tout à jeter.
 
Je me souviens, j'avais dix-sept ans, fiévreux déjà, tous mes livres étaient passés par la fenêtre. La boue des ornières les avait recueillis. Vaine révolte. 
 
Aujourd'hui résigné, vaincu par tous les moisissures mais serein, je m'empare d'un chiffon électrostatique et d'un vaporisateur dont le détergent se pare de lavande. J'époussette. Je frotte. Je sépare les bonnes cellules des mauvaises. Je reconstitue les corps éparpillés qui se rebiffent. 
 
J'impose à Pierre Sansot le voisinage de Deleuze alors qu'ils ne se sont jamais parlé. Pensez donc ! Un gitan et un aristocrate ! Mais voilà qu'un poète arrive surgi d'entre deux polars médiévaux, talonné par Les nouveaux chiens de garde d'Halimi.
 
Je renonce. Je regarde sur le plancher tous les déchets que la bibliothèque a produits depuis dix ans que nous sommes là, dans cette maison qui craque : vase soliflore, hibou de terre cuite, portemanteau, billes, petits carnets demeurés blancs, capuchons de stylo, cure-dents, prise femelle, coupons de soie ou de satin, broche à un euro, post-it, fêve de l'épiphanie, images de dragonballZ, cordon de téléphone, mini cadre pour mini photo...
 
Tout jeter. Il y a encore de la place dans la poubelle. Y mettre aussi cet essai trapu sur Simone de Beauvoir, que je n'ai pas lu, que je n'y lirai jamais. Y glisser aussi ce Coelho, qu'est-ce qu'il fout là, lui c'est sûr il va y passer, et puis et puis.
 
En tassant bien de toutes mes forces, il restera une petite place pour moi.

jeudi 31 janvier 2013

Bibliothèques #4

Mais que faisait donc la dernière livraison de Marguerite Duras, C'est tout, parmi les Vargas-Mankell-Simenon-Parot eux-mêmes entremêlés au fatras des philosophes que je m'évertue encore, tenace, à essayer de comprendre ?
Je me souviens très bien du moment où j'ai acheté ce livre, un matin chagrin d'octobre 1995 au salon du livre de Bordeaux qui se tenait alors au hangar 5. 
Je me souviens qu'à picorer çà et là quelques mots, j'ai eu les larmes aux yeux. J'avais quarante ans, je venais de publier mon premier livre, et j'aurais pu être heureux.
Sans doute, la veille au soir, m'étais-je adonné plus que de raison à du vin trop pisseux.
Aujourd'hui, mon émotion est intacte à relire les derniers mots de la Marguerite, aussi magnifique que tyrannique :
Caressez-moi.
Venez dans mon visage avec moi.
Vite, venez.
*
Je suis un bout de bois blanc.
Et vous aussi.
D'une autre couleur.
*
Je ne peux plus du tout tenir.
Je ne crois pas qu'on puisse nommer cette peur.
Pas encore.
Donne-moi ta bouche. 
Viens vite pour aller plus vite.
Vite.
c'est tout.
vite.
*
Je crois que c'est terminé. Que ma vie c'est fini.
Je ne suis plus rien.
Je suis devenue complètement effrayante.
Je ne tiens plus ensemble.
Viens vite.
Je n'ai plus de bouche, plus de visage.

mercredi 30 janvier 2013

Bibliothèques #3 (Brigitte Giraud)

Après la bibliothèque du rez-de-chaussée, à nous deux celles de l'étage. Il y règne un fouillis encore plus indescriptible et je ne sais pas comment faire, d'autant que ma fatigue limite mon champ d'opération. Le rêve d'une bibliothèque idéale contenant au plus quatre ou cinq cents titres pourrait me reprendre. Je retrouve cependant avec émotion un inédit de ma compagne, Brigitte Giraud, dédié à Isabelle B. qui se reconnaîtra. Le manuscrit s'intitule Un avant-goût de la nuit. Il a une quinzaine d'années.

 

Les draps respirent

un mot sur un autre mot

le noir obstinément rompu

défile aux doigts qui errent

par-delà la lampe inanimée

*

Ecouter la peau

qui ne craque pas

et ce tintamarre

sous l'arche de la mort

une ombre

un hall vide

des souvenirs nus

partout sur les murs.

*

Un pli sur l'oreiller

blanc sur blanc

comme un mal

Où est le rebord

pour se tenir ?

*

La bouche écorche un mot,

s'épuise, s'ouvre encore

puis n'essaie plus

ne parvient pas

et l'oeil s'agrandit autour du silence

la chambre te contient

dans son drap plissé où reposent tes coudes

Tu ne reconnais

ni ta main

ni la maison sur la photo

ni la femme qui t'appelle

l'effroi seulement ligote ton regard

*

Les néons ont blanchi dans la nuit.

Une femme au fichu rouge

noué sous le menton

s'appuie à l'arbre mort,

au silence du vent,

à l'horreur du vide.

Tout au fond de sa voix

poussent des cornes de brume

où des mouettes ont pleuré. 

mardi 22 janvier 2013

Bibliothèques #2 (Françoise Hàn)

Certains livres sont si petits qu'ils vont se nicher dans des anfractuosités insoupçonnables. S'attaquer au corps d'une bibliothèque permet parfois de les y retrouver, pour peu que s'ajoute à la patience une obstination de chaque instant. C'est alors un plaisir de s'abandonner au feuilletage avant de relire.
 
Lettre avec un fragment de bleu de Françoise Hàn fait partie de ces livres minuscules. " Achevé d'imprimer à Cannes et Clairon dans le gard cévenol sur les presses artisanales de Jean-Claude Bernard et Jacques Brémond, à l'enseigne du Livre à main, à un millier d'exemplaires sur des pauvres papiers de fruits à la Pentecôte 1996 ", il mesure cinq centimètres sur douze ou treize.
 
" Des pauvres papiers de fruits " ! Trouvera-t-on, un jour, une aussi délicieuse expression dans un ouvrage publié numériquement... ?
 
Mais revenons à Françoise Hàn que j'ai eu le plaisir d'entendre à Bordeaux il y a une quinzaine d'années lors du Printemps des poètes. Une voix douce et frêle en bordure du visible, dans un temps impossible à nommer. Une présence que le doute permettait de toucher.
 
Elle écrit :
" Tant de ruines et nous n'avions pas fini de naître."
" Prendre la bêche, ensevelir le cadavre désarticulé de l'aurore. Je regarde vers l'horizon, quoi mettre à la place. "
" Avec quoi se pétrir une autre face, où s'accrocher cette bouche qui crie encore ? Le cri fait le tour de l'univers, revient enfoncer dans la gorge un tampon d'orties sèches. "

lundi 21 janvier 2013

Bibliothèques #1 (Jean-Bertrand Pontalis)

Jouissant de beaucoup de temps libre depuis mon infarctus, j'essaie pour la énième fois de ranger nos bibliothèques. Je sais que je n'y parviendrai pas. J'ai déjà écrit que les bibliothèques sont plus fortes que nous. Mais c'est l'occasion de retrouver des livres et de créer ici une nouvelle catégorie. 

Jean-Bertrand Pontalis vient de mourir et Un homme disparaît passe par mes mains. Sur la première de couverture de cette édition de poche, un Giacometti, Homme qui marche 1. J'aime le lien de la marche et de la disparition. Quand on vide la fatigue et que toute pensée se délite.

J'ai acheté ce petit livre qu'il me faudrait relire le 28 décembre 1998 avant d'aller dîner chez mon ami de bientôt quarante ans. Page 75, j'ai relevé cette phrase : " Faut-il plusieurs vies pour qu'il y en ait une qui soit pleine ? "
 
Je retourne à ladite page et je m'étonne de n'avoir pas noté les phrases précédentes : " Tandis qu'il parle, Julien se demande ce que c'est qu'une vie. Peut-être est-ce seulement quand on la raconte qu'elle prend un sens, acquiert son unité ? "
 
De la nécessité du récit pour donner du sens, oui, mais aussi pour favoriser l'appropriation puis le partage. Un thème cher aux psychanalystes et que l'on retrouve aussi sous la plume de certains plumitifs, nommé alors story telling...
 
Restons-en, résolument, farouchement, à la fragile sensibilité de Pontalis, cet éveilleur parmi les éveilleurs.