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mercredi 9 octobre 2019

De la croyance et du singe qui ne rit pas





Résultat de recherche d'images pour "singe"La croyance, religieuse ou non, fait partie de l’homme de sa naissance jusqu’à sa mort. Elle le constitue dans toutes les dimensions du sujet. Cette assertion de la pensée commune est elle-même une croyance car, dans le langage et les situations ordinaires, croire et penser sont des synonymes proches.
Dans la mesure où elle est tenue pour vraie, elle intègre sans qu’il y paraisse le champ du savoir dont elle écarte souvent toute possibilité de doute. Dans de trop nombreux cas, elle peut déboucher sur une forme de totalitarisme. Lequel, la chose est connue, prend notamment sa source dans la langue incantatoire des religions du Livre et dissémine ses sentences dans tous les domaines de l’activité humaine : arts, sciences, politique, économie, droit, mœurs, traditions. Religieuse aussi à sa façon de promettre un avenir radieux, la croyance en la doctrine communiste, dévoyée par des potentats sanguinaires et leurs appareils, a également beaucoup sévi sur tous les continents, vidant les esprits et remplissant les cimetières.
Notre vingt et unième siècle, ce bateau ivre de promesses et de chimères profanes autant que mystiques, réunit dans un syncrétisme inquiétant les croyances les plus ancestrales et les croyances les plus technologiques. Aujourd’hui, par exemple, on peut croire sans sourciller que les clones du futur seront victimes d’envoûtements et commettront des assassinats. Ou que les extraterrestres oeuvrent pour que le ciel nous tombe sur la tête. D’autant plus que la Terre est plate, n’en déplaise aux astronautes dont les images d’une planète bleue toute ronde sont des faux grossiers.
Ce sont là, bien sûr, des cas extrêmes. Les illuminés qui croient qu’un jour le ciel se décrochera de l’azur comme un plafond vermoulu entraînant du même coup la chute de Dieu dans la boue, ne sont que quelques cohortes isolées sans capacité de nuire vraiment. Mais, en matière de croyance totalitaire, le pire est toujours certain. L’histoire récente des terrorismes islamistes le prouve cruellement. Les tueries des suprématistes blancs aux Etats-Unis aussi.
L’actuelle falsification des images et l’immédiateté de leur publication, à la portée de tout un chacun sur un téléphone portable, renforce les dérives mortifères de tous les fanatismes. Dans la Grèce antique, la création d’un mythe et sa propagation dans l’opinion publique prenaient plusieurs décennies voire plusieurs siècles. De nos jours, les rumeurs les plus folles auxquelles on croit dur comme fer s’installent dans les esprits en vingt-quatre heures via les réseaux sociaux. Une telle vitesse laisse peu de temps à la pensée pour qu’elle se dessaisisse de la croyance, d’autant qu’une rumeur en chasse une autre tambour battant tout le long des jours.
Mais venons-en à notre singe qui ne rit pas. Avec ces propos tenus lors d’une soirée festive par un homme d’une cinquantaine d’années, sobre et calme, au verbe clair. Il dit : « on nous ment comme on nous a toujours menti. La théorie de Darwin est fausse. Nous ne descendons pas du singe. C’est impossible. Nous ne sommes pas des animaux. » Et il fait l’éloge de la suprématie de l’homme dans l’univers. Ses interlocuteurs l’écoutent. Ne lui opposent aucun argument. Ne lui demandent même pas qui est le « on » qui nous mentirait et pourquoi. Ils sont sidérés, voire fascinés par la croyance absolue de l’individu qui ne fait plus confiance à la science. Il n’a, du reste, pas lu la moindre ligne de Darwin, qu’il a choisi d’ignorer.
Cette question de la confiance, (dans les systèmes économiques, politiques, sociaux et les corps constitués qui les représentent) s’inscrit dans un rapport inversement proportionnel à celle de la croyance. Moins on a confiance et plus on croit. On nous ment, répète le quidam qui n’imagine pas qu’un singe puisse rire puisque le rire est le propre de l’homme.
Et le mensonge est si général que s’impose une croyance générale, qui fait genre, qui devient réalité de substitution. Cette réalité de substitution n’est cependant pas universelle. Elle varie selon que l’on est sachant présumé ou ignorant présumé. Cramponné à ses statistiques comme l’anatife à son rocher, l’économiste libéral croyant est convaincu de détenir le vrai à la centimale près et que cette vérité doit régir toute vie dans la Cité. Cramponnée à son éprouvé, la ménagère qui a du mal à joindre les deux bouts de son portemonnaie est totalement sûre que tout augmente dans les magasins et que les chiffres du pouvoir d’achat sont trafiqués. La confiance perdue devient défiance si les tensions sociales s’exacerbent. Et va même jusqu’au soupçon d’autrui. L’anathème alors n’est jamais loin, les croyances ataviques étant aussi intransigeantes que les croyances religieuses.
Heureusement, tous les croyants ne sont pas des enragés du prosélytisme. Ils sont nombreux à accepter que le singe puisse rire tant que le contraire n’a pas été prouvé. Et leurs croyances sont le plus souvent inoffensives. Les patients qui consultent un spécialiste de la réflexologie plantaire ou un ostéopathe qui pratique la désengrammation admettent volontiers que leur démarche intrigue leur entourage. Les rêveurs qui, sans être mystiques, considèrent qu’une partie d’eux-mêmes leur survivra sous la forme d’une énergie volatile sont des poètes qu’on peut aimer écouter. Leur croyance est séduisante, enjolive le quotidien quand il est trop gris et les enjolive eux-mêmes d’un petit grain de folie assumé voire revendiqué.
Enfin, et peut-être aurait-il fallu commencer par-là, la croyance que l’avenir peut être révélé afin d’en infléchir le cours reste d’autant plus ancrée y compris dans les esprits dits rationnels que nos civilisations technologiques subissent une accélération sans précédent. Personne ne lit plus dans les entrailles des oiseaux mais la consultation de l’horoscope est un usage encore largement partagé. Les séances de voyance à distance procurent aux charlatans de tout acabit des subsides confortables.
L’engouement pour les sites de météo sur internet n’est évidemment pas de même nature puisque le temps qu’il fera ne peut être modifié par aucune action humaine. Cependant, avec des prévisions à quinze jours, ces sites transforment la science en croyance. Les météorologues ont beau répéter qu’ils ne savent pas prévoir au-delà de quatre cinq jours s’il pleuvra, ces nouveaux dévots gardent le pouce collé à leur écran, oubliant même de regarder le ciel pour deviner si le soleil brillera.
Notre singe qui ne rit pas est peut-être plus sage. Son intelligence est-elle perméable à la croyance ? Si oui, dépasse-t-elle le stade pratique pour y accéder ? Auquel cas, rit-il d’autant moins que le grand Tout lui échappe comme il continue d’échapper à l’homme ?
Mais c’est encore et toujours une autre histoire, tout en étant la même, que vous allez entendre.





Conversation pâtissière

-         En fait, si j’ai bien compris, l’inventaire des croyances est plus épais qu’un millefeuille.
-         La métaphore pâtissière me convient. De la pâte et de la crème. La pâte de la profondeur imprègne la crème de la surface et inversement. C’est le syncrétisme. Et pour rester dans la métaphore, je dirais que c’est un syncrétisme à prise rapide. Comme le béton du même nom.
-         Et on en est prisonnier si on y trempe le doigt ?
-         Oui. Les anciennes mythologies ont mis des siècles à s’imposer à la pensée commune. Elles ont été fondatrices de quelque chose d’indéfini dans l’humain pour son interprétation du monde. Elles ont généré des récits et inspiré la psychanalyse par exemple. A côté d’elles, les mythologies technologiques contemporaines sont des produits jetables. Je ne sais pas comment elles pourront, sans durée, fonder quoi que ce soit. Elles emprisonnent plus qu’elles ne libèrent.
-         Il en restera bien quelque chose. Parions que Neil Armstrong accédera au statut de héros mythologique. De même pour le premier homme qui marchera sur Mars.
-         Peut-être. A la condition que l’oubli puisse accomplir son œuvre.
-         Comment ça ?
-         L’oubli permet de recomposer des récits à partir de souvenirs résiduels. Mais est-il encore seulement possible quand toute trace numérique est conservée par les big data ? Et il faudra compter avec l’avalanche des croyances crépusculaires engendrées par le soupçon global.
-         Le millefeuille sera indigeste.
-         Et le béton armé.
-         Ce qui ne fera pas rire ton singe !
-         Je m’inquiète pour lui en effet. Il est déjà victime des croyances dans l’économie quand on détruit ses forêts.
-         Quelles croyances dans l’économie ?
-         Celle de la croissance perpétuelle. Elle a déjà beaucoup tué. Elle continue. Des peuplades au Brésil sont menacées sous le règne mortifère de Bolsonaro. La France s’apprête à défigurer la forêt guyanaise pour quelques pépites. Alors, oui, mon singe pleure. Peut-être croit-il que le ciel va lui tomber sur la tête.
-         Euh ! La fièvre de la jungle te fait perdre la raison, non ?
-         Qui sait ? La pensée du singe est suffisamment élaborée pour engendrer des émotions complexes. Pourquoi pas des croyances ! D’autant que celle du ciel qui tombe sur la tête est l’une des plus archaïques. D’ailleurs, elle persiste chez les hommes. Il y a même une association du même nom*.
-         Des hurluberlus.
-         Oui. Mais possédés par la pensée totalitaire conspirationniste. Prêts à glisser dans la banalité du mal. Parfois sans s’en apercevoir.
-         Change de lunettes ! Tu vois tout en noir.
-         Tu as raison. Il y a aussi le gris. Le gris du béton.


*L’association Le ciel nous tombe sur la tête dénonce des épandages aériens de produits chimiques dont le but serait de modifier le climat. Lesquels sont démentis par toute la communauté scientifique mondiale.







dimanche 7 avril 2019

Du grand Tout et du petit tout numérique


Résultat de recherche d'images pour "galaxie"Du grand Tout conceptualisé par la philosophie, avec ou sans Dieu, au petit tout inventé par la technologie numérique, l’homme ordinaire ne sait plus vers ou et quoi diriger sa pensée, d’autant que, apparemment, l’un n’a rien à voir avec l’autre.
Notre homme ne se lève certes pas tous les matins en réfléchissant à la place du vivant au sein du cosmos. La relative rareté de la matière dans l’immensité immatérielle ne le tracasse pas outre mesure et c’est heureux pour lui. En revanche, avant de passer sous la douche, il lui arrive souvent de consulter sa messagerie électronique, les derniers potins des réseaux sociaux ou, comme dit dans un autre texte, un portail de prévisions météorologiques. Après le petit-déjeuner, il constatera que son compte bancaire frôle le découvert et se détendra en regardant les nouveaux visages de son site de rencontres.
Plus qu’une habitude, c’est un rituel dans sa banalité quotidienne qui lui permet de garder son emprise sur le réel. Du moins le croit-il. Car le petit tout numérique disponible sur un téléphone portable est aussi trompeur que le grand Tout théorisé par les saintes barbes de la philosophie. C’est qu’il n’est pas forcément pratique pour la raison pratique.
La navigation de lien en lien tourne à l’égarement dans une forêt de lianes (avec ou sans singe qui ne rit pas) et l’objet de la recherche, par exemple un fauteuil stressless sur le site d’une enseigne spécialisée dans l’ameublement, débouche sur un programme immobilier au bord de la mer partenaire du site précédent. Il ne s’agit pas là de caricature. L’internaute supposé averti ne se perd pas moins que le novice s’il renseigne avec des mots trop flous son moteur de recherche. L’irruption parfois bruyante de publicités sauvages complique aussi la tâche.
Bref, là où le grand Tout semble une architecture de très haute précision qui règle les mouvements astronomiques de l’infiniment petit comme de l’infiniment grand même si le chaos y apporte ses bouleversements, le petit tout semble un foutoir en vrac où sphère privée et sphère publique se confondent jusqu’à ne rien figurer du tout. A première vue pourtant, un ordre rassurant paraît régner.
Il est très improbable qu’une recherche savante sur Flaubert redirige un étudiant vers un site pornographique. Mais il faut compter avec les fenêtres qui s’ouvrent à l’écran par effraction. Notre étudiant se triture la cervelle avec les propos de Sartre sur le grand maître et voilà qu’un pop-up l’informe que sa copine Louise est disponible pour un dîner en tête à tête. Sa pensée et ses émotions changent aussitôt de nature. Il n’a pas choisi de penser à autre chose. Il n’a pas choisi de se raconter des histoires au sujet de sa copine Louise. A l’instant où apparaît le pop-up, notre étudiant ne s’appartient pas tout à fait.
Au-delà de cet exemple, il est bien difficile de dégager une loi générale de l’impact du petit tout sur les perceptions de l’humain et du monde. Le désordre du foutoir échappe par définitions aux codifications rationnelles. L’usager qui n’est pas dupe peut essayer d’y résister. En commençant par moins ouvrir son téléphone. Ou en se déconnectant pendant une semaine. C’est là affaire de volonté. Mais comment pourrait-il être du matin au soir dans la tension de sa volonté quand sa conscience est le plus souvent flottante ?
Résultat de recherche d'images pour "téléphone portable"L’infinitude du petit tout, notamment avec l’avènement de la 5G, n’offre pas le même vertige que celle du grand Tout mais n’embrouille pas moins l’entendement car elle est source d’une satisfaction immédiate voire d’un plaisir. Celui de trouver ce que l’on cherche dans la dimension pratique du réel. Cette immédiateté qui abolit les durées, en contradiction avec la notion d’infini, réduit le réel à un simple point isolé, sans étendue ni épaisseur. Il ne peut constituer ni une ligne ni une surface puisqu’il est isolé. Il est comme un micro corps céleste condamné à tourner dans le grand vide. Toujours au bord de l’effacement puis de la disparition.
D’aucuns diront avec raison que cette considération relève davantage de la poésie que de la philosophie. Mais le recours à la métaphore exprime l’impuissance à entrer, par la petite porte ou par la grande, dans un concept qui tisserait des liens entre les deux touts. Nous connaissons trop peu des galaxies comme nous connaissons trop peu de l’homme numérique en train de naître. Nous conjecturons des possibilités floues.
L’homme numérique restera-t-il un homme qui sait, comme un maillon supplémentaire dans la longue chaîne de l’évolution majuscule et minuscule ? Ou sera-t-il au contraire une rupture avec tout ce qui était tenu pour vrai auparavant ? Il faudrait alors imaginer une philosophie-fiction mais est-ce seulement possible ?
Ces questions nous ramènent à l’inconcevable du « on ne sait pas qu’on ne sait pas ». L’imagination peut être fertile à partir de quelque chose mais peine à l’être à partir de rien. Elle a besoin pour éclore des banalités de la vie ordinaire. Dans les sécrétions du corps et dans celles de la pensée.
L’homme numérique, même augmenté par des implants fonctionnels, gardera un corps de chair et de sang et une faculté de penser qui continuera de ne dépendre que de sa nature intrinsèque. Gageons, par exemple, qu’il voudra et saura écrire un texte comme celui-ci, avec ses clartés et ses opacités, et que d’autres hommes voudront et sauront le lire. Pour se persuader qu’il existe parmi ses semblables. Pour se convaincre qu’il ne rêve pas tout à fait dans l’à peu près du monde.
Mais une fois encore, voilà une autre histoire, qu’il vous faudra essayer d’entendre.
(Ce texte fait partie d'un ensemble en cours, peut-être archi nul mais je m'amuse !)

image franceinter.fr
image lesnumeriques.com

dimanche 9 avril 2017

Envoyer, ou pas, des manuscrits à des éditeurs

Résultat de recherche d'images pour "dominique boudou"Voilà bien une question de fond et de vase, donc éminemment philosophique ! Depuis six mois, j'ai sous le coude deux manuscrits de poèmes. Le long des embrasures, accepté du reste par un éditeur mais il a dû annuler ses programmes de publication.

Et Vos voix sur mon chemin dans lequel je rends hommage à des poètes qui m'ont construit. Rimbaud, Lorca, Follain, Guillevic, Dupin, Metz, Jaccottet, Anise Koltz, Allix, Françoise Hàn, Hélène Cadou, Manciet, Raphaëlle Georges, Llamazares, Sylvia Plath, Vandenschrick, Delvaille, Lagerkvist, Bourg, Giovannoni... Des voix qui appartiennent au patrimoine et des voix presque inconnues. 

Les photocopies sont prêtes. Je n'ai plus qu'à traverser la rue pour les confier au reprographe. Mais je ne traverse pas la rue. Je me dis que je vais le faire, cent mètres à marcher je peux le faire, je suis un marcheur exercé, endurant, et je ne le fais pas.

Procrastination ? Non ! Empêchement de fond et de vase ? Oui ! Mes proches savent que je ne tiens aucunement à publier un ouvrage par an. Certains revuistes n'ignorent pas que je passe volontiers mon tour quand ils font des appels à textes. J'y verrais une faute de goût, une inélégance morale. Cependant, ces textes que j'ai mûris, repris et repris jusqu'à l'obsession, m'importent et j'aimerais qu'ils soient lus. Les fonds de tiroir sont aussi des lieux propices à la vase.

Mais, à dire ma vérité telle que je l'entrevois maintenant, à quoi bon enquiquiner un éditeur si moins de cent exemplaires sont écoulés ? D'autant que les pauvres malheureux suffoquent sous les propositions. D'autant que les extraits que je recopie sur mon blog sont vus, au moins cela, vus, par trois ou quatre cents visiteurs humains. Ce qui est beaucoup.

Et puis, toujours à dire ma vérité telle que je l'entrevois maintenant, les lettres types c'est rasoir-casse-bonbons. Les non réponses aussi, de plus en plus fréquentes, sont rasoirs-casse-bonbons. Quant aux refus argumentés, j'en reçois quelques-uns, c'est souvent à se taper le cul par terre de rire. La mauvaise foi n'est pas l'apanage des hommes politiques.

Alors, je ne sais pas. Ou plutôt si. De nos jours, les bons manuscrits, voire très bons, donc largement publiables, sont légion. La banalisation des bac+5 entraîne logiquement une banalisation de la littérature. Je ne dis pas que c'est mal. J'appartiens moi-même à ce phénomène social (et sans bac+5 qui plus est). J'écris très bien, je n'en doute pas. Mais, pour être tout à fait honnête, j'ai conscience que c'est insuffisant. Je n'atteindrai jamais le niveau de perfection d'un Thierry Metz par exemple. Et de Rimbaud ou Lorca, même pas la peine d'en causer. Lucidité, lucidité, et au diable le soleil qui la blesse.

Par conséquent, la rue que je dois traverser pour aller chez le reprographe pourrait s'allonger considérablement, multiplier les carrefours, les feux de signalisation, les gendarmes couchés, les poubelles renversées avec boites de bière ou reliefs de pizzas dégoulinants, les pare-chocs emboutis, les tôles compressées à l'avant comme à l'arrière, les travaux de tuyauterie en sous-sol, les repavages, les rebitumages et les chauffards impénitents qui pourraient m'aplatir comme crêpe en carnaval...

Evidemment, je ne vais pas arrêter d'écrire pour autant. J'écris, c'est tout. Et je me moque bien du pourquoi et du comment du pourquoi-comment. Les désirs, les passions, les besoins, les nécessités, je les abandonne aux chercheurs de poils sur les oeufs dûment mitrés par l'académie des belles-lettres. A la fin de ma vie, mon coude risque de se retrouver à la hauteur de mes oreilles, criblé de douleurs articulaires qui me pétrifieront sur mon fauteuil de scribouillard incorrigible.

Qu'importe ! La vase des questions me servira d'onguent et j'espère que je ne toucherai pas le fond du marécage. Je ne suis pas si piètre nageur, y compris en eaux troubles.

Bon dimanche si vous ne les haïssez point.

Image Brigitte Giraud

dimanche 18 décembre 2016

Dessaisissement de la conscience immédiate

La conscience immédiate est le seuil d'une maison qui comporte bien des couloirs qui distribuent bien des pièces et des étages pour peu qu'il y ait des escaliers. Reste à savoir ce qui se dessaisit en elle pour se couper du monde sensible et entrer ainsi dans  un état antiphénoménologique. Il faudrait d'abord s'assurer que la conscience est bien un lieu inscrit dans une substance, la chair par exemple, plutôt qu'une fumisterie de la transcendance.
Autant de chemins philosophiques qui égarent les agencements de mon entendement et suspendent des toiles d'araignées sous mon plafond. 
Mais l'expression "dessaisissement de la conscience immédiate", de Paul Ricoeur, me séduit. Elle fait écho à une autre expression, d'Antonin Artaud : " Je ne m'appartiens que par éclaircies."
Fondre ces deux expressions en une seule me caractérise assez bien.
Je ne m'appartiens que par éclaircies ; le reste du temps ma conscience immédiate se dessaisit.
J'aimerais pouvoir démonter les mécanismes de ce dessaisissement comme il me plairait d'élucider les éclaircies qui ouvrent un accès à la plénitude de l'appartenance à soi. 
Il s'agit là d'un désir qui restera lettre morte car il ne sera mu par aucune volonté. 
Le désir et la volonté, en leur opacité, empoisonnent l'être humain depuis les commencements. Au vingt-deuxième siècle, quand les grandes catastrophes auront détruit toutes les puissances biologiques, seule la condition d'être robot sera enviable. Sans âme qui dépose ses immondices avant même le seuil de la maison. L'âme est un piège inventé par des cerveaux malades qui ne supportaient pas d'avoir de la chair enfermée dans un corps corruptible. 


lundi 6 juin 2016

Patrick Rödel, michel serres, la sage-femme du monde

Patrick Rödel aime partager ses admirations. Avec michel serres, la sage-femme du monde, il le fait avec simplicité, tendresse et humour. C'est que Michel Serres n'est pas un philosophe comme les autres. Il ne s'enferme pas dans un bureau comme les vieilles barbes de l'Institution qui n'ont jamais connu que leurs grimoires. Il pratique le monde en "plein air" et, tout en auscultant le présent, essaie d'imaginer, de penser l'avenir de l'humain dans tous ses états.
Ancien marin au long cours, Michel Serres a éprouvé avec son corps les dangers des océans. Une école de la vie dans la matière des choses, qui marque l'esprit et l'âme, qui imprime un style à l'existence et à l'écriture.
Michel Serres n'écrit pas des essais arides criblés de notes en bas de page mais des livres où la poésie surfe à la crête des mots. " Homme libre, toujours tu chériras la mer..." Gourmand de toutes sortes de vocabulaires oubliés ou revisités qui touchent aussi bien à l'ordinaire des jours qu'aux vagues hauturières, notre philosophe hors des clous sorbonnards prise également les termes techniques de la biologie, de la mécanique, de l'informatique...
Facétieux et lui même gourmand, Patrick Rödel consacre une large part de son ouvrage à un "glosserres", fouillant au plus profond des racines étymologiques. Le lecteur apprend ainsi que "le pontife, c'est celui qui construit les ponts". De même, le passage est "ce chemin que le bateau cherche entre les écueils, entre les courants contraires". Ponts et passages. Aucun jargon doctoral ! Montaigne aurait apprécié ce désir d'homme à hauteur d'homme, qui veut tendre la main au futur. 
Bien des auteurs mesurent chichement leurs citations. Ce n'est pas le cas de Patrick Rödel qui choisit de mettre en avant le style du "maître" plutôt que le sien pourtant fort ciselé :
" Qui suis-je, liquide, parmi les larmes cachées ? Qui suis-je enfin, topologique et temporel ? Quand le silence, enfin, et la nuit, insularisent la solitude, lorsque se tait le langage qui tient le siège des autres en moi - comment museler le bec de cet irrémédiable bavard ?..."
" Qui n'a jamais vu l'été indien dans les forêts du Québec au nord de Montréal et jusqu'au bord de la Chesapeake Bay dans le Maryland, n'a pas encore accédé à la plénitude extasiée du regard. A l'inverse, quels millions de merveilles ces millions d'érables ont-ils vues dans le ciel pour éclater ainsi en millions de teintes pourpres, écarlates, cramoisies ?"
De l'étonnement à l'émerveillement. Ces pierres angulaires de la poésie. De la philosophie. Les deux ensemble pour notre bonheur de chercher à savoir. 
Lisez michel serres, la sage-femme du monde de Patrick Rödel aux éditions Le Pommier et vous entrerez dans les méandres simples et complexes d'un philosophe-écrivain totalement original, au service des humbles.

jeudi 7 novembre 2013

Les copeaux de Wittgenstein

Ce logicien, mathématicien, musicien qui renonça à sa fortune pour s'engager dans la solitude de la pensée sans renoncer pour autant au monde, (il s'engagea dans les deux guerres mondiales du vingtième siècle), m'est toujours inconnu. J'ai cependant butiné dans Remarques mêlées et De la certitude quelques chutes de sa pensée quand elle s'écrit dans le même temps qu'elle s'élabore. Ludwig Wittgenstein étant également féru de mécanique et de technique, il ne m'en voudra pas de parler de copeaux ôtés par le doute au matériau travaillé avec obstination.
En voici quelques-uns :

" Dans aucune confession religieuse on n'a autant péché par abus d'expressions métaphysiques que dans la mathématique. "
*
" On ne peut conduire les hommes vers le bien ; on ne peut les conduire qu'à tel endroit ou à tel autre. Le bien est en dehors de l'espace des faits. "
*
" La langue a préparé les mêmes pièges à tous ; un immense réseau de faux chemins, où il est aisé de s'engager. Ainsi voyons-nous les hommes s'engager l'un après l'autre sur les mêmes chemins, et nous savons déjà où ils vont dévier, continuant à marcher droit devant eux sans avoir remarqué la bifurcation, etc., etc. A tous les endroits d'où partent de faux chemins je devrais donc placer des pancartes, qui les aideraient à franchir les points dangereux. "

samedi 13 juillet 2013

Eté philo avec Pierre Reverdy

" On a dit autrefois que tout homme porte en lui un poète mort jeune à qui l'homme survit - je dirai que tout homme recèle en lui au moins des traces de poésie et que, lorsqu'il va vers les choses, c'est grâce à ces traces de poésie qu'il porte en lui et dont il les pare qu'il y va avec plaisir. Parce que, comme il a mis la poésie dans le monde, l'homme sait pourquoi il doit, à tout prix, l'y maintenir. Il sait combien elle lui est utile, et son instinct et son intelligence le préservent de jamais pouvoir réellement croire à son inutilité. C'est qu'elle est le plan où se libère sa conscience - où celle-ci cesse de se connaître seulement pour s'interroger sans pouvoir se justifier, s'expliquer. Elle est l'état où ses facultés s'exercent sans le moindre souci d'agir pour autre chose qu'agir - elle est l'acte pur - l'acte suprême de libération - le seul par lequel un homme, en tant que poète, puisse se donner profondément à lui-même le sentiment d'exister en toute liberté.
La conscience spécifie l'homme - le degré de conscience spécifie le poète... Doué de conscience et privé de poésie, par quoi il la décharge et la libère en s'exprimant en dehors de toute contrainte, l'homme ne serait plus sur la terre que le plus misérable et le plus mal établi des animaux."

Eté philo avec Spinoza

Quelques becquées du Traité de la réforme de l'entendement. J'y pense car je crois nécessaire une nouvelle réforme de l'entendement, à la lumière, ou tout au moins au lumignon de la modernité dans la perspective fuyante de la mondialisation. 

" Il faudra en outre s'appliquer à une philosophie morale et à une théorie de l'éducation des enfants ; et parce que la santé n'est pas un moindre moyen pour atteindre cette fin, il faudra élaborer une saine médecine ; et parce que la technique rend bien plus faciles les choses difficiles, parce qu'elle permet de gagner beaucoup de temps et de commodité dans la vie, on ne négligera nullement la mécanique.

... Je m'appliquerai tout d'abord à ce qui doit se faire avant tout : améliorer l'intellect et le rendre apte à comprendre les choses d'une manière conforme à l'obtention de notre but. [un vrai bien pour soi et un bien suprême pour le plus grand nombre] Pour cela, l'ordre naturel exige que je récapitule ici tous les modes de perception dont j'ai fait usage jusqu'à présent pour affirmer ou nier quelque chose avec certitude, afin de choisir le meilleur de tous ; ainsi commencerai-je en même temps à connaître mes forces et à connaître ma nature, que je désire parfaire."

vendredi 12 juillet 2013

Eté philo avec Marc Augé, fin

" Nous avons tous le sentiment d'être colonisés, mais sans savoir par qui, et les anciens colonisés n'ont pas de conseils à nous donner car, qu'ils le veuillent ou non, ils sont maintenant embarqués dans la même aventure que nous. Avoir peur de l'histoire n'a ni plus ni moins de sens aujourd'hui qu'hier, mais l'enjeu est clair : si nous ne réussissons pas à la vivre ensemble, si nous en excluons une partie de l'humanité, nous ne la maîtriserons pas et sombrerons dans la violence avec ceux que nous aurons exclus. Un seul impératif donc : nous opposer- chacun pour notre part, à la mesure de nos moyens, patiemment, jour après jour, en prêchant d'exemple- à la gigantesque dislocation des forces sociales qui accompagne la globalisation de l'économie. Une volonté individuelle n'est ni plus ni moins dérisoire que mille ou dix mille autres. Où commence et où s'achève le dérisoire dans l'infini de l'Univers ?

On ne peut oublier non plus les grandes concentrations d'exclus à la surface du globe, les camps où s'entassent des réfugiés, des sans territoire chassés par la guerre ou la famine. Leur existence témoigne de l'incapacité des politiques, partagés entre résignation et cynisme, à traiter ces apparentes paralysies de l'histoire qui annoncent pourtant de nouvelles convulsions. Nous pressentons l'urgence, mais constatons l'impuissance..."

jeudi 11 juillet 2013

Jacques Louvain: Eté philo avec Marc Augé, 2

Jacques Louvain: Eté philo avec Marc Augé, 2: " La peur a toujours été une composante de la vie, un facteur de progrès en définitive. Elle a souvent su réveiller les individus endo...

Eté philo avec Marc Augé, 2

" La peur a toujours été une composante de la vie, un facteur de progrès en définitive. Elle a souvent su réveiller les individus endormis par l'habitude et tracer de nouvelles lignes de fuite. On peut apprendre à surmonter sa peur, à s'en libérer. Mais, aujourd'hui, ce qui nous menace d'abord, c'est la rupture du lien social et, plus largement, l'affaissement du symbolique dans son ensemble, autrement dit de la pensée de la relation ; nous n'avons pas encore appris à maîtriser le changement d'échelle spatiale et temporelle qui s'impose à nous. Le sol où s'enracinaient nos certitudes s'est mis à trembler. Les peurs nouvelles ne sont pas si nouvelles, mais elles se diffusent instantanément et partout. Comme l'écrit Paul Virilio, le temps réel, Le live, est mis en valeur "au détriment de l'espace réel". Nous pressentons que ces peurs "se tiennent" et que, prises toutes ensemble, elles acquièrent une signification qui nous échappe et par là même ajoute à nos frayeurs.

Le lecteur me pardonnera la coupure abrupte et dépourvue de sens dans le texte Eté philo avec Marc Augé, 1. Elle n'est pas l'effet d'une moindre vigilance mais le résultat d'un excès de chaleur...

mercredi 10 juillet 2013

Eté philo avec Marc Augé, 1

Dans la collection Manuels Payot, Marc Augé vient de publier Les nouvelles peurs. Ces nouvelles peurs, liées aux violences politiques et sociales, technologiques, ressemblent par bien des traits aux anciennes peurs mais elles se diffusent beaucoup plus vite et génèrent des angoisses particulières.

" Il y a en effet deux sortes de peurs : celles qui sont induites par l'ignorance et celles qui sont déduites de la connaissance, ou, plus exactement, celles qui sont induites par le fait de croire qu'on croit, c'est-à-dire par la foi, et celles qui sont déduites du fait de savoir qu'on ne sait pas, c'est-à-dire de l'esprit critique et scientifique.
L'ignorance est complexe, et la peur naît souvent d'un excès de rationalité apparente et de mises en relation abusives : dans la recherche des causes, raison et déraison se conjuguent et se confondent. C'est le phénomène bien connu de la chasse aux sorcières, qui part de constats objectifs ( une mort, une maladie, un dérèglement climatique) et d'observations précises ( la bonne santé d'un autre, sa mauvaise entente avec le malade ou le disparu, éventuellement son humeur bizarre et des paroles imprudemment sibyllines) pour en conclure à une relation de cause à effet : court-circuit de la pensée dont procèdent tous les obscurantismes et tous les mouvements de panique...

La connaissance, elle aussi, est complexe parce qu'elle est constamment au contact de ce qui lui échappe et la provoque. Dans le domaine des sciences de la nature, les hypothèses et leur vérification permettent de progresser en déplaçant les frontières de l'inconnu. Dans le domaine de l'économie en général et de la gestion des hommes en particulier, l'ignorance et ses certitudes sont tentantes et faciles, la connaissance et ses doutes beaucoup moins. Quand on parle d'une politique passée comme d'une "expérience", l'expérience communiste par exemple, on use d'un langage trompeusement métaphorique ; le communisme n'a jamais été vécu ni conçu par ses responsables comme une expérience au sens scientifique du terme, c'est-à-dire comme la mise à l'épreuve d'une hypothèse provisoire et révisable... Le terme "expérience" ne peut pas s'appliquer non plus aux "leçons de l'histoire" qui permettraient d'établir un bilan et de faire le tri entre le positif et le négatif...

lundi 8 juillet 2013

Dernier extrait du livre de Pascal Chabot, pris dans son chapitre Manifeste funambule. Ce titre démontre une fois encore que la philosophie peut s'aventurer sur les terres incertaines de la poésie.

" Si au moins les choses étaient claires, il n'y aurait pas burn-out, mais combat. Les ennemis seraient désignés, les responsabilités assignées. Mais la postmodernité, comme toutes les époques intéressantes, est marquée par la plus haute ambiguïté. Aucun manichéisme lui convient, car une condamnation globale des sphères techniques et économiques apparaîtrait la moins crédible des réponses à cette maladie de civilisation. C'est en effet aussi à leur montée en puissance que l'on doit certains des aspects admirables de notre monde...

Que peut faire le philosophe avec ses livres et ses concepts ? Comment sortir de ce découragement ? Comme dans toute guérison de burn-out, il doit se recentrer sur ce qui lui importe le plus et lui rester fidèle... Revivre est bien sûr possible, pour autant que la personne trouve le moyen de changer et de se débarrasser des pressions et des croyances nocives. L'égoïsme est parfois salutaire. Le " Courage, fuyons ! " de Deleuze peut s'avérer nécessaire, même si l'on ne fuit jamais que pour recréer, ailleurs, des conditions qui permettent d'exprimer plus sereinement nos désirs. En cela, un burn-out "réussi"... débouche sur une métamorphose. La personne se reconnecte à ce qui fait sens pour elle, dans des retrouvailles qu'il faut imaginer heureuses...

Le plus grand gâchis serait que l'époque la plus favorisée sur le plan matériel soit aussi la plus dépourvue de sens et de spiritualité. Pour cette raison, les pensées de reconstruction, mêmes infimes, deviennent urgentes... 

L'équilibre est aujourd'hui devenu un moyen. Il n'est plus l'objet d'un désir personnel, artistique ou philosophique, mais un processus qui permet d'atteindre une norme définie extrinsèquement. C'est en effet de l'extérieur du système, dicté par exemple par des impératifs de performance, de rentabilité... que le but d'un comportement sera défini. L'équilibre normatif, qui peut se passer du juste milieu lorsqu'il est interprété en contraintes technologiques, a désormais détrôné l'équilibre intuitif. Leur disjonction s'enracine là, et ne fait que s'accroître parce que de nouvelles normes sont sans cesse édictées et qu'elles n'ont parfois plus de contre-partie vécue. L'intuition, cette boussole qui disait à l'individu ce qui était trop ou trop peu, n'a plus droit de cité. "

Equilibre intuitif : Selon Aristote, recherche d'un juste milieu inspiré par la nature, la compréhension des humeurs du corps et la méditation sur la stabilité des sociétés. Ce juste milieu crée une harmonie recherchée pour elle-même et procure joie et beauté.
Equilibre normatif : Il compose avec des normes collectives et les lois édictées par les autres.

Aller de l'un à l'autre de ces équilibres, voilà bien l'exercice du funambule.

dimanche 7 juillet 2013

Eté philo avec Pascal Chabot, 2

Pascal Chabot tisse des liens subtils entre l'acédie qui terrassait les moines du Moyen Age et le burn-out qui terrasse aujourd'hui les acteurs les plus engagés au sein de l'Entreprise. Pour faire court, l'acédie est un peu l'ancêtre de la mélancolie, entre spleen et neurasthénie.

" L'acédie fut pour l'Eglise ce que le burn-out est au monde de l'entreprise : un affect redouté qui touche l'individu, mais qui sape aussi la foi dans le système, ce qui explique qu'il soit pris au sérieux... L'acédie... surprend, parmi les moines, les perfectionnistes de la foi aux tâches réglées et aux prières quotidiennes, qui ne reculent ordinairement pas devant un jeûne supplémentaire, ni devant un office plus matinal encore, mais qui, parfois, s'effondrent. ..
Le burn-out est une nouvelle acédie. Les analogies sont frappantes. Mais la plus marquante est que les deux affections débouchent sur le même état : la perte de foi. Si l'Eglise, en tant qu'entreprise de croyance, a tant redouté l'acédie, c'est parce qu'elle inclinait le moine à douter de l'existence de Dieu... De même, le burn-out a sur l'entreprise contemporaine un effet dévastateur. Les valeurs sont remises en question. L'omniprésence du stress est perçue comme une tentative de manipulation. Le goût du travail disparaît, lui qui était le moteur de l'activité. La motivation s'érode. Comme le moine ne parvenant plus à prier un Dieu qui ne le réconforte plus, le travailleur baisse les bras, faute parfois de reconnaissance... La croyance dans le système est définitivement ébranlée. Le burn-out est toujours une remise en cause des valeurs dominantes : il génère les nouveaux athées du techno-capitalisme."