mardi 17 mai 2016

André Bucher, Déneiger le ciel

Dans la vallée du Jabron, du côté de Curel ou du col de l'Homme Mort, les flocons de neige sont aussi abondants que les habitants sont rares. La température peut chuter à moins trente dès la mi-décembre et le manteau blanc reste sans accrocs jusqu'à la fin février. Les voitures s'échouent comme des carcasses. L'huile gèle dans les mécaniques des tracteurs. Les téléphones restent muets.
David, la soixantaine chevelue, vit seul dans la ferme qu'il a retapée à bras le corps. Sa compagne Mireille est morte en pleine jeunesse, fauchée par un fou du volant. Sa fille Noémie a fait sa vie, comme on dit, deux gosses et un divorce cahin-caha... Alors la solitude pèse lourd au trébuchet des souvenirs. Les étreintes fugaces avec la voisine Muriel n'y changent pas grand chose. Une douleur contre une douleur, il y a mieux pour engendrer la joie. Même la musique n'y parvient pas. Steppenwolf. Nina Simone. Norah Jones et ses nightingales. Tant d'autres. Nostalgies...
Alors que le paysage s'immobilise dans la neige et dans la glace une veille de Noël, David reçoit deux appels à l'aide. Un vieux berger dans sa masure. Un jeune voyageur épris des mêmes rythmes nord-américains, l'image du fils qu'il aurait tant aimé. David commence une longue très longue marche dans la nuit. Les souvenirs sont très vivants sur le grand écran du blanc. Les morts parlent, c'est sûr. La fille de Muriel notamment, qui a disparu, qu'on a cherchée tant et tant... Et si elle s'était transformée en saumon ? !
Déneiger le ciel de André Bucher est un roman de la nature tourmentée par les éléments. La langue est directe, rugueuse parfois comme la vie à ras de terre saignée avec les mains. Mais empreinte tout du long de poésie. Les arbres sont des "vieillards décavés". Un peuplier figure "un nu aux bas noirs, une allégorie de la douleur". "La brume [laisse] perler quelques flocons emberlificotés dans sa toile" cependant que "le ciel courbaturé de la veille [compte] ses bleus".
Lors d'un récent passage sur un plateau de télévision, sans jamais poser à l'écrivain, hésitant parfois quand tant d'autres déblatèrent d'un trait d'assommantes considérations, André Bucher a évoqué Rick Bass, ses Cinq saisons dans le nord rigoureux de l'Amérique. La parenté est en effet évidente. Dans l'humilité. Dans la tendresse retenue, pudique. Comme avec le vieux berger sauvé de justesse. Mais David se sauvera-t-il lui-même ? Qui rencontrera-t-il au bout de cette nuit peuplée de chimères ?
Allez ! Encore un refrain, pour la route, un refrain de poupée, et retenez vos larmes :
"J'avance, j'avance, me prépare pour le grand jour.
Je fais des claquettes sur une scène blanche.
Des claquettes sur un champ de mines.
Donne donc tout ce que tu as, jusqu'à la fin de ton malheur."
Déneiger le ciel de André Bucher est disponible dans la collection de poche des éditions Sabine Wespieser.

André Bucher, entre terre et ciel est un documentaire de plus de deux heures réalisé par Benoît Pupier et visible sur Internet.

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