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lundi 16 janvier 2012

Paysages revus dans Bordeaux #4

rue Vital-Carles, 1
 
Pour moi, la rue Vital-Carles, c'est Mollat. Plus qu'une librairie. Un rituel. Les livres d'art d'abord. Invariablement, le nom à consonance polonaise ou russe d'un historien de l'art me fait penser à une jeune dame brune que j'aimai trop et qui ne m'aima pas assez. Je passe mon chemin. Je lis d'autres noms, de grands et de petits maîtres, sur des couvertures qu'il m'arrive de toucher, de caresser même. Je m'enfonce un peu plus dans le labyrinthe de cette librairie qui fut, qui est peut-être encore, la première de France. Histoire. Géographie. Sociologie. Voyages. Dictionnaires de langues. Je feuillette ici ou là. Parfois, je tente une incursion du côté des livres pour enfants. Il n'y en avait pas autant dans les années cinquante-soixante. Toutes ces couleurs, là, sous mes yeux, pourraient m'étourdir de mauvaises comparaisons.

Puis j'entre  dans la librairie historique avec son vieux bois. Je dédaigne les humanités grecques et latines car je n'y connais rien mais je m'arrête longtemps au rayon poésie. J'ouvre quelques volumes. Je butine des vers ou des mots seuls, des sons, des couleurs, et même les blancs dans les pages me disent quelque chose. Après, je pénètre dans l'immense forêt des romans, sur les tables et dans les rayons. Un regard à l'éditeur à l'étoile bleue, un autre à l'éditeur aux trois italiques. Le rituel n'est pas fini. J'arpente en quelques pas tous les continents de la littérature. Quelques-uns seulement me sont familiers. Tout en demeurant étranges.

Souvent, une espèce de tristesse me prend. J'ai beau prêter l'oreille aux voix inconnues, je sais que je ne les entendrai pas toutes. Alors je vais voir les livres de poche. Je ne dédaigne aucun genre. Quelques héros de polars historiques me retiennent un moment. Où en sont-ils au dixième tome de leurs aventures ? Eprouvent-ils un commencement de lassitude, l'âge venant ? Eternelles questions des hommes que la conscience taraude. Foret sans fin qui accompagne mes pas vers l'espa ce où sont les livres de philosophie. Défricher puis déchiffrer. Aurai-je assez du reste de mes jours ?

mercredi 11 janvier 2012

Paysages revus dans Bordeaux #3

Je prends toujours le tram à l'arrêt New York devant le bureau de tabac. J'aime m'asseoir sur l'un des premiers sièges. Je vois les oreilles du conducteur s'il a les oreilles bien dégagées. Je vois aussi les deux écrans qui lui servent de rétroviseurs. L'étirement de la rame, la bordure du quai avec son mobilier urbain se dévident. Parfois, l'irruption d'un morceau de corps, d'un pan de mur, de la trouée d'un carrefour pourrait me faire sursauter. Mais je suis déjà dans l'image plus large qui défile sur les vitres. A droite et à gauche.

Les hangars après Cap Sciences, autrefois des verrues, propres maintenant. Les immeubles ravalés du dix-huitième avec leurs témoignages de vins et de grains. Un mélange s'opère sans que je sache vraiment lequel. Entre décomposition et recomposition. Si le bruit dans la rame n'est pas trop fort, si aucune surcharge n'étouffe de l'espace, ma pensée parvient à sinuer. Je me dis qu'un paysage, c'est ce qu'on décide de voir. Je me dis que le paysage n'existe pas sans la volonté du regard. Je trouve mon propos intelligent pendant quelques secondes puis je le trouve vain. Je ne suis pas un promeneur qui chercherait à extraire une substance des choses vues. Je suis en déplacement, c'est tout. Jusqu'à l'arrêt place Gambetta ou Hôtel de ville.

Quand je descendrai, je relèverai le col de mon manteau et j'allumerai une cigarette. Si je descends à l'arrêt place Gambetta j'irai voir les livres chez Mollat. Si je descends à l'arrêt Hôtel de ville, je traverserai la voie le plus vite possible pour éviter de dire non à tous ces gens qui offrent les journaux gratuits. Puis je m'attarderai devant la vitrine d'un vendeur de spiritueux. Je lirai des étiquettes qui sont comme des titres de livres. Celles-ci, par exemple, pour des vins : L'enfant sauvage, Le chemin de Moscou.

samedi 31 décembre 2011

Paysages revus dans Bordeaux #2

place Saint-Christoly, 1
 
La ligne B s'arrête juste à côté, rue Vital-Carles. Un passage, dont l'angle est un théâtre, y conduit. Je suis surpris par la hauteur des arbres qui coiffent la place. Des platanes. Comme dans un bourg provençal mais sans fontaine. Un café a posé là sa terrasse. Il a, sans doute, quelques habitués, des caricatures d'habitués fondues à la longue dans le passe-partout du décor. Il a, surtout, un Chardonnay blanc servi assez largement. Je le bois avec toute la patience dont je suis capable et je regarde les gens, comment ils viennent, comment ils sont droits dans leur corps ou tassés sur leur sac d'os. Je guette une fenêtre, encore une, au bois vermoulu qui tient mal des vitres qu'il faudrait laver. Une femme parfois s'y penche et fume. Ce n'est pas qu'elle soit jolie mais sa fragilité au bord du vide m'émeut. Elle a des gestes désordonnés pour chasser la fumée loin dehors qui me font sourire. Elle ne s'attarde jamais. La fenêtre en se refermant produit comme une espèce de dérapage. J'imagine, à cause de lui, un glissement dans le temps que le porche en face de moi favorise. Pierre noire. Petite allée de pavés avec son treillis d'herbes sèches. Et, au bout, un bâtiment rescapé du dix-septième siècle dont je ne vois que la porte ouvragée. Je pourrais le peupler de fantômes portant l'épée et parlant bas. Mais un minibus électrique tourne au coin. Aucun voyageur. Une autre manière de fantôme, ou un jouet, livré à lui-même jusqu'à l'épuisement de son énergie. Je souris encore. Le paysage est assez incertain pour que je m'y reconnaisse. J'appelle le serveur, un trentenaire au catogan serré, et je lui demande la même chose. La cérémonie du Chardonnay luit plus fort quand le soir tombe.

vendredi 30 décembre 2011

Paysages revus dans Bordeaux #1

rue Achard, 1


Une fenêtre dans un mur. Haute et seule. Elle donnait sur la chambre d'un veilleur, sur un bureau peut-être, avec une ampoule nue dans les deux cas. Le regard imagine volontiers cette ampoule nue tant le mur lui-même, au fil des ans, a fini de se dépouiller de tout. Je pense invariablement à la solitude, à la solitude en général, quand je croise cette fenêtre aperçue depuis le tram de la ligne B. Les barreaux qui l'enrobent ont l'aspect famélique de l'abandon. Personne n'est venu là ces dernières années. Personne ne viendra jamais plus.

 L'ampoule nue, si elle existe vraiment, trop lourde des poussières accumulées, ne fera aucun bruit en éclatant sur le sol. Mais je la sens vibrer dans mon corps, peser sur ma respiration. Une ampoule. Une fenêtre dans un mur condamné à l'abattage. La solitude devient autre chose qu'une idée qu'on rumine. Pour peu que la lumière soit basse sur le paysage et qu'une mauvaise pluie vienne la salir, la solitude se prend à mes gestes, à mon souffle, à mon ombre. Je regarde ailleurs. Le tram qui se tortille. J'écoute le joyeux babil d'une bande de jeunes filles qui ont acheté des robes et des jupes. Mais je sais que je reviendrai à cette fenêtre, et que je m'y verrai accoudé, un verre ou une cigarette à la main. Je ne serai ni triste ni seul. Je ne désirerai rien. Je ne chercherai rien non plus. Il me suffira de veiller, et de veiller encore, jusqu'au vertige.


place Saint-Seurin, 1
 
Un square avec une vasque sans eau au milieu. Je viens là tous les lundis à seize heures quarante-cinq. Je ne regarde ni la basilique ni l'aire de jeux pour les enfants. Je dédaigne une tombe qu'il me plaît de déclarer mérovingienne. Seule, une petite armoire vitrée vissée au sol m'intéresse. C'est un coin lecture dressé là par les habitants qui aiment les livres. De vieilles reliures au dos perclus, des plus jeunes à peine cousues. En tout, quoi, une cinquantaine d'ouvrages. Du populaire, du régional. Une pincée de livres en club pour les abonnés à des hebdomadaires. Un roman ado dans le fatras. Deux ou trois revues d'occasion.

Une main, mais laquelle, arrange un peu le présentoir. Il me plairait que ce fût au petit matin, quand alentour les appartements cossus dorment encore. Il me plairait qu'elle y glissât quelque ouvrage de grande littérature. Un Beckett, un Duras, sauraient m'étonner de leur présence. Mais ce n'est pas cette main-là que j'imagine. J'en vois une autre, furtive ou déterminée, qui ouvre l'armoire comme si c'était une écritoire. Une main qui va lire peut-être et qui écrit déjà. Une main d'étourneau qui a débranché son téléphone ou celle, tavelée, d'une veuve venue là tromper l'attente. Je ne regarde pas les titres alignés. Je regarde la cabane où sont les toilettes. Je vois scintiller le mot "libre" à l'entrée. Je souris. Ma montre me dit que j'ai encore cinq minutes avant mon rendez-vous. Le temps d'une cigarette. Le temps d'un regard circulaire autour de la place, de la basilique et de la tombe absolument mérovingienne. Là aussi, à cette tombe, je reviendrai.