samedi 2 mai 2015

Hélène Révay, L'écaille de la nuit

Dans son bref recueil L'écaille de la nuit paru aux éditions Recours au poème, Hélène Révay impose d'emblée une vision chaotique des origines et des fins dernières.
"J'emprunte la route/qui rend fou l'horizon... Je cherche le lieu qui effraie le vide." Des chimères pour un peu surgiraient sous ma plume, de commencement du monde et d'agonie planétaire. Rien n'est sûr en cette quête où les corps comme " les temps sont à refaire". Ces corps boiteux  nés ailleurs que dans un ventre. Ces temps sans destination précise. Lesquels échouent à nommer l'Existence autre. Mais qui est-Elle au juste ? Comment partir à sa découverte ? "Je repense à la terre immense/qu'il m'a fallu piétiner/avant de te découvrir." Ce n'est pas là errance initiatique même si "nous avons été rejetés au monde sans destination précise". C'est à l'instant de l'infirmité en soi, dans [la ville faite de pierres, labourée à même le roc] que l'Inconnaissable peut advenir.
J'ai rarement lu, ces dernières années, un texte aussi puissant, bouleversant que celui d'Hélène Révay. Aussi énigmatique. "Un monde s'ignore au creux d'un autre", écrit encore cet auteur singulier qui [blâme le soleil et adore la pluie]. Mysticisme tellurique, fouissant les arcanes de la bête humaine ? Oui, peut-être. Mais dire cela constitue l'empêchement même de toute élucidation. Le mieux est de lire et de relire cette première oeuvre d'une jeune femme philosophe amoureuse de Samuel Beckett et de Pasolini. Des images de soupe cellulaire l'accompagnent en un grouillement infini de sang et d'étoiles. Et c'est ainsi que notre vertige est total en son branle, jusqu'à la fin et au-delà. 

"Un sentiment est étalé sur le lit,
avec ses ombres et ses lumières.
Comme ce membre, posé là
et qui cartographie la rencontre.
Honteux, déjà,

D'avoir aimé avant l'amour,
D'avoir été l'amant avant l'aimé,
D'être, encore et toujours, le philosophe."

Qu'il me soit permis, enfin, d'adresser une amicale suggestion à l'équipe des éditions Recours au poème. Un jour viendra où cette maison ouverte à tous les souffles de la poésie souhaitera se lancer dans la publication de quelques tirages en papier. Alors, ce jour venu, j'aimerais beaucoup que L'écaille de la nuit d'Hélène Révay soit le premier recueil dont les pages battraient dans la lumière, nommable ou innommable.

L'écaille de la nuit, Hélène Révay, éditions Recours au poème, par abonnement ou à l'unité sur le site de la maison.

mardi 28 avril 2015

La revue Métèque

Jean-François Dalle a fondé la revue Métèque ( sous-titrée Advienne que pourrave) en juin 2013. Son grand format, sa couverture épaisse et l'impression en offset sur du papier de cent trente-cinq grammes annoncent un objet d'art autant qu'un objet littéraire. En couleur ou en noir et blanc, la photographie y fait miroiter les aspects les plus sordides de notre monde en décomposition. Sur le site de la revue, également de belle facture, Jean-François Dalle en appelle à Cioran qui écrivait dès 1952 : " Déjà se forme l'image d'un univers où plus personne n'aura droit de cité. Dans tout citoyen d'aujourd'hui gît un métèque futur." Un individu rejeté donc. Sale entre les doigts de pied. Au verbe qui défrise les basses politesses. Capable de dire merde ou je t'encule. Bref, un pavé dans la mare des consensus mortifères. 
Dans le numéro 1, les auteurs se sont retrouvés autour du thème Amour Sexe & j'en passe. Les fleurs bleues scintillent peu au firmament des amants. Du reste, elles sont mortes si l'on en croit la toile très heurtée de Justin Aerni, Death flowers, qui accompagne le crépusculaire poème d'Al Denton, lequel écrit : " on ne guérira pas/de la tourbe et du miel/pas de la gueuserie/ni du sang mal reçu/on ne guérira pas/des armées primitives/pas du Koweit ni des/bras tendus de la mort."
Lisez aussi dans cette première livraison, la prose trash de Marianne Maury Kaufmann, " Un jour il a perdu une dent et j'ai cherché dans ma chatte." Ou, encore, le poignant Tic-tac-boum de Marlene Tissot avec, en écho, l'oeuvre du plasticien Teddy Harvest : un coeur esquissé à l'enseigne du mobilier urbain. Oh solitude ! quand tu nous prends les tripes !
Le numéro 2 aborde l'éternelle et douloureuse question de Papa Maman. Comme un dimanche d'Isabelle Bonat-Luciani nous emmène en voiture sur une jolie route de campagne et on comprend, pétrifié, que l'accident n'en est pas un... En vis-à-vis d'une photographie de Sophie Lampole qui représente l'image troublée d'un homme assis, Brigitte Giraud évoque la figure de son père dans Un sourire à table. Le ton moins dur mais sans concessions au poids des secrets montre un homme faible auquel les mots ont toujours manqué et qui " voulait la paix, seulement la paix ".
Je ne peux citer tous les participants à cette aventure littéraire. Côté plume, notons encore Nadine Janssens, Geneviève Paclerc, Heptanes Fraxion et Azilys. Côté image, remarquons CW Wells, Anne van der Linden, Roger Guetta et Toshihiro Okada. Autant de voix singulières pour dire notre piètre condition d'humain/déshumain. Le jour se lève, ça vous apprendrave !
Revue Métèque, N°1, juin 2013, 17 €
Revue Métèque, N°2, avril 2015, 12 €
Un numéro zéro est également disponible
Site de la revue : www.revuemeteque.com

lundi 27 avril 2015

La revue Créatures

La revue Créatures est née en 2013 quelque part en Normandie. De présentation sobre et élégante, elle s'ouvre largement à l'écriture théâtrale d'aujourd'hui ainsi qu'à toutes sortes de récits, nouvelles ou fragments. La poésie y tient aussi une bonne place. 
Deux numéros ont déjà paru et la troisième livraison s'annonce pour ce mois de mai. Impossible de détailler les publications de chacun et chacune mais il se dégage de l'ensemble une douce harmonie entre écritures plus classiques et d'autres plus résolument contemporaines, plus heurtées dans la matière textuelle même.
Côté cour et jardin, Tentative d'hypnose de Nicolas Richard et Garçons de chair d'Alexis Fichet, (N°1), disent bien l'âpreté réelle et virtuelle des temps déraisonnables que nous vivons. Dans le deuxième numéro, Alexandre Koutchevsky nous laisse imaginer dans sa pièce Blockhaus les traces qui resteront du débarquement en Normandie sur Internet quand les étudiants achèteront en ligne leur module Guerres mondiales au XXème siècle, puis, plus tard encore, bien plus tard, lorsque le sable aura tout recouvert...
Côté récit, La mer de métal de Daniel Birnbaum, (N°1), reprend à son compte l'allégorie crépusculaire du monde englouti. Marie Pontacq nous offre avec Dernier passage, (N°2), une nouvelle émouvante  sur des fugitifs livrés aux Allemands. Enfin, écrit à quatre mains d'Isabelle Guilloteau et de Christophe Esnault, Lignées plurielles passe en revue les tendresses et les cruautés de la maternité/paternité dans un compte à rebours implacable.
Côté poésie pour terminer, le lecteur se réjouira de retrouver les univers particuliers de Jean-Baptiste Pédini, Terre rouge, Christophe Bregaint, Le corps pourrit,  Morgan Riet, En camion bleu, (N°1) et de Rodrigue Lavallé, Quelqu'un peut-être, Jean-Marc Gougeon, Cri fossé, Fabrice Farre, Joca, (N°2).
Alexandre Blin, lui-même auteur, est la cheville ouvrière de cette aventure littéraire et éditoriale exigeante. Et c'est bien d'ouvrage qu'il s'agit, dans la ténacité du pas à pas, pour que " l'étroit lien que tissent les mots, passeurs de vie et d'émotion" soit un lieu de reconnaissance et de partage. 
Créatures, N°1, avril 2014, 13 €
Créatures, N°2, octobre 2014, 15 €
Egalement disponible en numérique en adhérant à l'association Créatures, 5 €.
Voir le site editionscreatures.wordpress.com

mercredi 8 avril 2015

Mes yeux dans l'air qui tremble

Mes yeux dans l'air qui tremble
Brouillent les lignes des toitures
Ma langue n'a plus de lieu où se tenir
Il faudrait retourner à mes premiers suints
Quand rien encore n'était nommé
Ni visage ni paysage
Changer de commencement
Parmi les gestes et les mots
Tout reprendre de soi depuis l'ébauche
Improbable chantier du vertige
*
Une cheminée fume
Un filet gris aussitôt dissipé
Il n'a aucune beauté qui rayonnerait
Les tuiles sur les toits ne frissonnent pas davantage
L'oiseau ne gagne rien en profondeur
Mais les mots appris dans les enfances
Apportent leurs vieilles embellies
Panache ou ruban nuage ou volute
La fumée devient bleuâtre
Le ciel lui ouvre un corridor
Où montent aussi des escarbilles
Et je m'étonne encore de ces mots retoucheurs
Comme quand j'avais dix ans
*
Mon corps penché à la fenêtre
Moins rassemblé au bord du vide
La trame du paysage se sera détirée
Rien n'a bougé pourtant parmi les tuiles
Les cheminées gardent le collet haut
Un chat pourrait languir contre un mur
Mais il y a quelque chose qui m'éparpille
De nouveaux accrocs dans la lumière
Des glissements invisibles entre les formes
Un flou impossible à composer
Sans lieu

mardi 17 mars 2015

Vert printemps, Jacques d'Anglejan


Dans le cadre de La Ronde instituée par Dominique Autrou, cette image du désir de la soif par Jacques d'Anglejan du blog un promeneur. Imaginez comment cette vision peut faire chavirer le réel. Vous devez vous retenir à un chambranle et des cercles dansent devant vos yeux. 

vendredi 27 février 2015

Un autre regard dans mon regard

Grâce à Vincent Motard-Avargues, j'écris un nouveau recueil. Il m'a demandé des textes et je les ai aussi continués pour une revue et je les continue là, à moins que ça ne soit eux qui me continuent. Evidemment, je ne mets pas les textes pour Vincent ni ceux pour la revue.

Je pressens un autre regard dans mon regard
Les toitures semblent plus claires
Les cheminées moins penchées
Un rai de lumière sinue entre les tuiles
Comme un tremblement impossible à couturer
Le paysage entier soudain lui appartient
Mon corps défait ce qui le rassemble
Quelle vérité trouver encore dans la veille
Si mes mots mêmes ne battent plus
*
Avoir parfois la tentation du beau
Accorder au rideau qui tremble
L'aloi de la mélancolie
Allumer une étoile dans le grisé du ciel
Qui dessinerait un chemin
Mais tousser soudain renifler hoqueter
Le corps est à l'étroit dans ces apprêts
Les mots sont empêchés
Les étoiles ici ne voient jamais le jour
Le rideau a bu le suint de vieilles graisses
Et pend comme un chiffon
Il fait froid jusque dans les yeux des oiseaux
*
On a connu d'autres fenêtres avec vue sur les toits
Sous des ciels d'étain ou de papier mâché
Je n'ai pas la tentation du souvenir
Mes mots ne sauraient pas y faire
Les traces sont perdues autant qu'elles sont gardées
Et le chemin continue dans les hasards
Où les oublis fécondent les mémoires
Rien de nouveau pour abreuver le poème
D'une fenêtre à l'autre les bordures n'ont plus de lignes
Les oiseaux plus de plis
Tenir comme on a toujours tenu
Improbable
Ma seule puissance

samedi 21 février 2015

Poésie duel perdu

Je me souviens de Baudelaire, humble bien qu'il ait pu tenir la pose du savant, de ses mots sur l'art. Un duel perdu d'avance par l'homme, quoi qu'il fasse.
Je crois qu'il est salutaire de garder cela à l'esprit, pour écrire de la poésie. Trop d'auteurs donnent à lire des vers seulement convenables, qui ne sont pas assez tenus. Une métaphore parfois suffit pour jeter à bas le poème. Un adjectif de trop et c'est la débandade des sens et du sens. 
Je n'ai pas la prétention de livrer ici ma conception de l'art poétique. Mais tout de même ! Prenez, par exemple,  un poème de Thierry Metz ou d'Antoine Emaz. Cherchez, scrutez, traquez sans pitié l'excès de matière ! Réitérez l'expérience avec un tamis encore plus serré. Qu'y reste-t-il ? Rien. Aucun résidu. Le poème tient, c'est tout. Il n'est pas obligatoirement beau, il y a lurette que la poésie s'est affranchie de la beauté, mais il est obligatoirement juste. Le lecteur, toujours, reconnaît cette justesse du poème, qu'il l'éprouve ou non. Mais qu'est-elle donc, pour celui qui écrit dans cette recherche-là ? Bien difficile à dire. Je crois qu'elle se trouve dans la matière même, au moment exact où elle se compose. La question du signifié lui est postérieure, ne serait-ce que d'une seconde. Et de là surgit toute complication. Un poème juste à huit heures quarante ne l'est plus à huit heures cinquante. Il fuit de partout. On a un mal de chien à le rattraper. On le jette ou on le reprend. Mais on ne se trouve pas forcément dans la même tension émotionnelle à huit heures cinquante que dix minutes avant. Une course de vitesse commence entre la matière et la justesse que l'on souhaite retenir. Une course de vitesse ou un duel, c'est pareil. On perd toujours. Essayons alors de nous en tirer au mieux. Avec cette exigence de la traque. 
Enfin, évidemment, j'enfonce la porte ouverte de l'absolue nécessité de la lecture des aînés prestigieux. Croyez-vous un seul instant qu'Apollinaire serait devenu Apollinaire s'il n'avait croisé en chemin Rimbaud et Mallarmé ? Mais attention ! Il ne s'agit pas de les lire comme ci comme ça, dans le presque. Il faut plonger dans leur mer dégelée, clin d'oeil à Kafka, s'emparer de leur hache puis se fendre en deux. Et il vous reste tout ce que la vie voudra bien vous accorder pour tenter de recoller vos morceaux. Un projet poétique qui en vaut un autre, porté par la plus grande des lucidités.

mercredi 11 février 2015

Violaine Ripoll, Le syndrome du caliméro

Violaine Ripoll vient de publier aux éditions Sulliver son premier roman, Le syndrome du caliméro dans la société postmoderne. La conviction s'ancre en moi qu'un écrivain, un vrai, vient de naître. L'histoire est banale, cruellement, mais rien n'est plus difficile en littérature que le rendu de la banalité. En 2009, le personnage principal claque la porte de son conseil d'administration en rêvant de trucider ses collègues aux " cigares tétouillés ". Il se réfugie dans la maison de ses parents, inhabitée depuis leur mort. Les souvenirs sont aussi dépareillés que le décor où " il avait été décidé de laisser vieillir l'usure ". On y tourne sans même savoir que le temps passe, sans même deviner qu'il existe. 
Notre homme rencontre Sami qui subsiste de menus bricolages pour des propriétaires de villas souvent indélicats. Une nouvelle vie commence, qui le mène jusqu'au bassin d'Arcachon transformé en vaste parc de loisirs ultra sécurisé. Une existence en mobil home près de l'autoroute rebaptisée autoway par la modernité financière. Les chantiers sont de plus en plus difficiles sous le contrôle des sbires de Seacity, de plus en plus mal payés. Seule l'amitié permet de supporter la mouise, autour d'un mauvais plat de gargote et d'une bière déjà tiède. Mais les années se mettent à peser. La fatigue et les accidents du travail broient les corps sans qu'on puisse les soigner. En 2064, sonne le glas de la maison de retraite. Une lente, très lente mort va commencer...
Violaine Ripoll signe avec Le syndrome du caliméro dans la société posmoderne un ouvrage de Social Fiction qui dénonce les dérives meurtrières du capitalisme sans visage. Oeuvre de militante ? Certes oui ! Mais pour replacer au centre du monde l'humain et non le profit. L'humain dont Camus disait qu'il y a plus de choses en lui à admirer qu'à mépriser. Il faudra bien, un jour, tenir compte de ces voix qui résistent. Loin de toutes les modes, loin de tous les faux semblants.
Lisez sans tarder ce bref roman dont le style bousculé, heurté, proche souvent de la rupture, marque, je le répète, la naissance d'un écrivain. Les quarante dernières pages, notamment, sont admirables... et suffocantes...( Et rendez visite aux éditions Sulliver sur leur site. )

jeudi 15 janvier 2015

acheminements, par Hélène Verdier


Sur la glaise dans les affleurements coupants du silex et la rondeur des grès je contournais
les flaques. Le ciel était si pesant qu'il ne pouvait espérer de ses eaux nulle image
en miroir, comme un autoportrait. Le ciel était si gris qu'il semblait éclairé de bleu par le
dessous — le soleil à cette heure accélérait sa chute. Je lui tournais le dos, cheminant,
contemplant la bande noire qui disait la vallée. Le sombre abandonnait un semblant de
clarté aux nuages qui formaient en mirage une cordée remontant vers la gauche sur 
l'horizon absent, en silhouettes bouillonnantes. Ou peut-être entendrait-on bientôt venu 
du ciel, le ferraillement d' un train noyé dans ses vapeurs, comme un mirage de l’Orient sur 
la rétine de Flaubert dans le sable et les chaleurs du désert.
Je venais de passer devant un panneau dressé sur une clôture de fer barbelé signalant
la route de la Huchette. Là, dans ce paysage totalement désert se trouvait, dit-on, un
pavillon de rencontre,  celui qui abritait les amours déçues de Madame Bovary, ou pas, 
même si chacun alentour en avait la certitude par l'incroyable force du pouvoir romanesque.
C'était d'ailleurs la raison d'être du panneau qui se découpait dans les nuages d'une si 
vraie couleur normande, inutile, incongru, dans un paysage  où nul ne chemine à l'abri des
chemins creux, fanal pourtant d'une fiction comme un pan du réel en ce lieu.
Poursuivant mon chemin, j’entendais donc le pavillon de la Huchette se faire l'écho de
celui du château voisin du Héron, conjonctions de nuits, celle du bal d'Emma, celles 
de Flaubert enfant lorsqu'il connut en ces lieux ses premières visions.  Être Flaubert, 
être Emma en transfigurations successives. Dans le pavillon du Héron, les fenêtres étaient
garnies de verres de couleur modifiant le monde comme un vitrail métamorphose la lumière
au travers de l’image, avec laquelle il fait corps, et de la couleur dans ses cadres de 
plombs et barlotières. Mais peut-être les verrières du Héron étaient-elles aniconiques ? 
Emma, dans sa solitude, considérait le monde et ses paysages à travers les verres
colorés, expérience d'optique effacée du roman dans l'étrange genèse de l'écriture. 
J'étais loin et cependant si près des nuages roses d'Emma.
L'objectif de l'appareil photographique, de son verre blanc en fenêtre sur le paysage, ne
disait que le vide, quelques formes obscures, la plongée de la nuit, la descente vers la 
vallée. Mais il disait surtout la couleur. Il forçait le regard dans l'abstraction du cadre, le 
délivrant de la pensée pour le livrer à l'abandon, aux signes, aux sensations. La puissance 
du gris sur la palette venait m'envahir, faire monter des images en rupture, en
tressaillements de la mémoire, des lectures et des mots. Presque une extase peut-être,
mais à coup sûr un transport vers d'autres lieux, d'autres moments, d'autres histoires, vers
des présences,  ou des absences dans les pleins et les vides de la perception en alerte.
Je me souvins alors d'une promenade sur ce même chemin, un jour de juillet 2001, un jour
blanc de chaleur, un jour à pique-nique. Le chat tigré de gris nous suivait comme le font 
les chiens, heureux de cette aubaine, attendant le repas dans un champ fauché de frais. 
C'était quelques jours avant qu'il ne perde une patte et qu'il ne préfère la forêt à la 
compagnie des humains. Ce fut aussi pendant le mois d'août de cet été-là que, après les
deuils – pourquoi cette mortelle précipitation de juillet – nous traversâmes la Sibérie, de 
Paris vers Pékin. Dans les nuits blanches de Russie, contemplation sans fin d'un paysage
infini par la fenêtre du train
Auparavant, j'en avais maintes fois rêvé de ce paysage fait de fleuves en embâcles, 
débâcles, méandres, fleuves aux noms que seule peut dire la musique de la langue, 
rêvé en contemplant la terre devant les hublots des avions en route pour le Soleil levant.
Depuis à chaque occasion revient cet été-là, remémoré comme si, à lui seul , il se faisait
vision, tableau et  cadre de jours gravés dans le déferlement d'une incroyable série 
d'événements qui devaient définitivement changer le cours des choses.
Buées, nuées, tête nue, tête à nu dans les nuages. Les nuages comme les fleuves
dessinent des images qu'incise la mémoire dans une chambre obscure.

Je publie ce texte d'Hélène Verdier dans le cadre de La Ronde initiée par Dominique
 Autrou.
Voici les participants de ce jeudi 15 janvier :
Dominique B (Jacques Louvain) http://www.dominique-boudou.blogspot.fr/
chez
Céline (MESESQUISSES) http://www.mesesquisses.over-blog.com/
Jean-Pierre (Voir et le dire, mais comment ?) http://www.voirdit.blog.lemonde.fr/
Jacques (un promeneur) http://www.2yeux.blog.lemonde.fr/
Guy (Emaux et gemmes des mots que j'aime) http://www.wanagramme.blog.lemonde.fr/
Gilbert (le blog graphique) http://www.gilbertpinnalebloggraphique.over-blog.com/
Franck (quotiriens) http://www.quotiriens.blog.lemonde.fr/
Dominique A (la distance au personnage) http://www.dom-a.blogspot.fr/
Elise (Même si) http://www.mmesi.blogspot.fr/
Hélène (simultanées) http://www.simultanees.blogspot.fr/
Dominique B (Jacques Louvain) http://www.dominique-boudou.blogspot.fr/

samedi 10 janvier 2015

Notre jeunesse debout contre la barbarie

Grincheux parfois, désabusé trop souvent, je ne suis pas le dernier à dire que notre jeunesse ne s'intéresse qu'à son monde smartphonisé. Emma, 14 ans, que j'ai eu la chance d'avoir comme élève deux années de suite, m'a adressé le message suivant le jour même de l'attentat contre Charlie Hebdo. L'émotion m'a saisi et je vous offre les mots exemplaires de cette adolescente. 

" Je souhaitais partager avec vous ma désolation face au sang qui a coulé sur notre liberté aujourd'hui. Gardons l'espoir d'un monde humaniste. "