dimanche 3 avril 2016

Infarctus

Le Cardensiel est une petite pastille en forme de coeur, qu'on avale avec un fond d'eau tiède matin et soir. On entend [siel] dans cardensiel, on voit ciel. Ne manquent même pas les nuages aperçus par la fenêtre, poussés au flanc par un vent essoufflé. Un avion y aurait sa place, avec ses lumières sous le ventre quand vient la nuit. Je ne crois pas qu'il existe des médicaments pour le foie en forme de foie. J'imagine mal l'aspect avachi que pourrait prendre une gélule pour l'estomac. Le coeur, quel attachement.
Des fruits sur la table pour malades : pommes, poires, pamplemousses, bananes, raisins, prunes, kiwis. Une offrande des enfants. Et des livres aussi. Duras en pleiade, tome 2, un pavé de Jourde, Echenoz, Quignard, recueil de sudokus de chez Larousse. Passer des lettres aux chiffres et c'est le même chemin qui vous mène, un peu étourdi. Alors que les lettres et les chiffres ne disent pas les choses pareil. Les mêmes choses mais pas pareil.
Une cireuse redonne au taralay des couloirs toute sa brillance. Je ne la vois pas  mais le bruit produit par ses frottements ne laisse aucun doute. Une infirmière confirme ma perception. Je suis content. Je m'étire dans mon lit et je somnole. Je regarde la photo imprimée sur toile au mur vert pâle. Le sommet d'une touffe d'herbe. Les premiers brins sont précis. Tout le reste est flou. Derrière, c'est peut-être du sable. J'aime imaginer que c'est du sable et je marche dessus.
Quand les pompiers ont prononcé le mot infarctus je n'ai pas eu peur. Il y avait tellement d'affairement dans la maison que je regardais sans comprendre. Toutes ces machines électroniques. Tous ces fils, ces capteurs. Et puis toi, que je venais de sortir du lit. Déjà prête, au téléphone pour les premiers appels. Je m'inquiétais du chat, malade aussi, opéré d'un cancer dont la rémission était incertaine. Je demandais que les portes soient fermées. Puis je me suis retrouvé dans la rue, perché sur un brancard aussitôt en fourgonné. Sirènes. Rocade. Hôpital du coeur. Tu nous as suivi avec la voiture.
Il y a aussi le Brilique, tout rond tout jaune. Je me demande comment on nomme les médicaments, quelle part de sens est sacrifiée aux exigences mnémotechniques du business. Brilique. Nombrilique. A peine les pompiers avaient-ils établi leur diagnostic qu'ils me proposaient un protocole de soins autour du Brilique. La molécule, déjà utilisée dans le traitement des infarctus, pourrait s'avérer plus efficace selon le moment où on l'administre : arrivée des secours ou hospitalisation.
Aux soins intensifs où je suis resté quatre jours après la pose de mon stent, les monitorings font de la musique. Etrange mélodie des coeurs au plus profond de la nuit. Elle ressemble parfois au tintinnabulement d'un carillon suisse. Je l'ai dit à une infirmière qui a paru étonnée. Je n'en persiste pas moins dans ma comparaison. J'imagine même une symphonie orchestrée par des monitorings.
Des piqûres brunes sont apparues sur la peau des bananes. La chair du dernier pamplemousse s'est amollie. Je me retourne dans le lit. Je ferme les yeux. A quoi bon regarder toute cette peau, toute cette chair ?
L'externe qui me suit, vingt-quatre ans maximum, a la timidité d'un visage dans un tableau de Renoir. Elle veut se spécialiser dans l'oncologie. Elle me dit que j'ai de la chance d'être un littéraire, je m'ennuie moins. J'abonde. Que ferais-je ici sans mes livres ? J'ai fini 14 de Echenoz. Encore un livre sur la grande guerre mais avec son style à lui, avec ses angles de vue à lui, dans le style lui-même. Incontestablement de la littérature.
Nous pensons déjà à ma sortie. Tu veux que tout soit impeccable à la maison. Je te réponds que le plus important reste ta fatigue. Tu ne peux pas être trop fatiguée si tu veux m'aider longtemps. Ne pressons rien du mouvement d'ici, qui me convient.  Pour l'avoir plié à mes plis : lire, écrire, mots, chiffres.
C'est peut-être parce que le corps est plus fragile qu'on est plus sensible, dans les hôpitaux, à la fragilité des lieux. Le volet roulant de ma chambre, manivelle trop mince pour une envergure trop large, grince avant de craquer. Une prise électrique s'est déboîtée et on voit les fils. Ce sont là des atteintes visibles, qu'un examen à peine approfondi multiplierait par deux ou trois. Combien de vis desserrées ? Où vont se loger les moisissures du cabinet de toilette, malgré les soins ?
Je n'ai pas encore vraiment réfléchi à mon infarctus. On me dit au téléphone qu'il y a un avant et un après. Qu'il faut changer des habitudes alimentaires, faire un peu de sport. Marcher. Nager. Le tabac, évidemment, est strictement interdit. Boire un verre, oui. Fumer, non. Je n'objecte rien à ces recommandations. Je réponds que ça va bien, que je ferai en effet de la marche dans le quartier, que j'irai de temps en temps à la piscine. Je ne suis pas pressé de réfléchir.
Mon sang est devenu si fluide que pour un peu je saignerais en éternuant.
La cheffe de clinique est venue, a fait le point, rigoureux, de tous les points dont je dois impérativement tenir compte. Elle a trente-cinq ans et une jupe assez courte qui dévoile des jambes plutôt jolies. J'écoute assez peu ce qu'elle me dit, déjà entendu tant et tant. Je pense à un carré de chocolat.
Kardégic. Un sachet. Des pointillés indiquent l'endroit où il faut couper, avec des ciseaux bien sûr, eux-mêmes dessinés. Au-dessous, pictogrammes à l'appui, trois étapes injonctives. Mettre la poudre dans le verre. Ajouter de l'eau. Boire. On pense à tout chez sanofi aventis.
La cérémonie du tensiomètre, désormais assistée par électronique, n'a plus le caractère aléatoire de la poire en caoutchouc qui gonflait le brassard. Mais la machine ne fonctionne pas toujours. Ou affiche des résultats impossibles. Le praticien reprend l'initiative. Démontre au patient qu'il garde la main. L'usage du stéthoscope ne sert pas vraiment à autre chose qu'à ça : garder la main sur le malade.
Je regarde les brins d'herbe de la photo imprimée sur toile.  Je finis par les trouver attachants. Leur neutralité sans doute. Ce sont des brins d'herbe de n'importe où. Sans paysage.
Une bande d'oiseaux vient de passer dans le ciel. L'image n'a pas duré une seconde.
Stagnation du sang dans un ventricule. Traitement anticoagulant par avk. Remise du carnet d'information et du suivi du traitement. Longue liste des effets indésirables et des précautions à prendre. Première peur. Envie de boire de l'alcool, de fumer. Juste un verre et une bouffée. En regardant par la fenêtre les souvenirs d'oiseaux, les nuages tout chiffonnés, le sillage peut-être d'un avion.
L'avant et l'après disent-ils. Jeudi 4 octobre 2012, six heures vingt. Je viens de terminer mon petit déjeuner et m'apprête à partir au travail. Je suis reposé, de bonne humeur. J'ai caressé le chat auquel j'ai adressé deux ou trois mots stupides. Je m'assois sur le canapé pour fumer ma cigarette électronique. Premières douleurs respiratoires. Je les connais bien. J'aspire dans le jardin un grand bol d'air. Le remède a fait ses preuves. Mais les douleurs s'installent puis se propagent dans le pourtour thoracique, le long des bras et des mains, et jusqu'aux maxillaires. A six heures trente j'appelle sos médecins.
Mais où les hôpitaux se procurent-ils le café qu'ils servent aux malades ? Pourquoi a-t-il le même goût depuis des décennies ?
Une piqûre ici, une piqûre là. Bras, ventre, cuisse. Les veines se dérobent. Des hématomes virent du violet au jaune en passant par un bleu noir douteux. Parfois l'aiguille s'enfonce bien. L'infirmière est contente quand je lui dis qu'elle s'enfonce bien. Elle sourit. Elle remercie.
Ce sont les prunes qui désormais s'amollissent. Cependant qu'une poire, entièrement verte hier encore, se pare de tons subtils. Je comprends mieux, à la regarder vraiment, la fascination des peintres classiques pour la beauté changeante des fruits. Selon que la lumière s'incline comme ceci ou comme cela. A moins qu'elle ne tombe à pic sur la matière prisonnière et tout est différent. Je regarde le ciel du matin. On dirait un drap tout bouchonné de sueur. Le temps sera maussade pour la journée.
Le téléphone sonne souvent. Je résiste à ma tentation coutumière de laisser sonner car il n'y a pas de répondeur. Je dis que ça va bien, que j'ai de quoi m'occuper. Je rassure.
La télémétrie. Ingéniérie biomédicale. Il s'agit d'un boîtier électronique d'où partent cinq fils reliés à des électrodes scotchées sur le thorax du patient. Il envoie ses informations à un écran de contrôle situé dans le bureau des infirmières. Nuit et jour. Mais j'ignore si ces écrans font de la musique comme ceux des soins intensifs. Il serait logique qu'ils en fassent puisque le même procédé est à l'oeuvre.
L'externe, un carnet à spirales sur les genoux et un Bic à la main, me pose des questions sur les douleurs que j'ai ressenties quand c'est arrivé. Je m'applique à répondre encore. Oui. Oui. Douleur irradiante jusque dans les maxillaires. Mais je n'ai pas eu peur. Je le redis aussi. Ces symptômes me sont connus, familiers même, depuis des décennies. L'externe s'en étonne, veut savoir si j'ai consulté pour ça. Prend des notes. Je la regarde écrire. Sa peau est comme la peau des fruits, tellement changeante au fil des émotions.
Mon ami de quarante ans vient un jour sur deux. Que serais-je sans toi ? Que serais-je sans lui ? Voilà tout.
Mais toi justement. T'ai-je dit que je te trouve particulièrement jolie ces derniers jours ? Il ne faudrait pas que tu ailles trop te fatiguer. Tu es malade aussi, de ne pas manger depuis dix ans. Tu dors mal la nuit et tu vis mal le jour. Tous ces fantômes que tu poursuis. A quoi bon ? Ils s'évanouiront d'eux-mêmes si tu les laisses tranquilles. A peine en restera-t-il une pauvre dépouille sur le bord du chemin, aussitôt emportée par les éléments.

Mon dernier jour là. Le soleil monte par la fenêtre. L'hélicoptère rouge et jaune de la protection civile atterrit repart. Je le regarde comme j'ai toujours regardé les hélicoptères, étonné qu'il puisse voler si près, si lentement presque. On frappe à la porte. Petit déjeuner. Tension. Electro. Dans deux heures tu viens me chercher. Je serai prêt. Je souhaite à l'externe une bonne continuation dans ses études. Elle me souhaite un bon retour. 

mercredi 30 mars 2016

La revue Festival Permanent des Mots N° 9

Les connaisseurs disent FPM. Le chasseur-cueilleur Jean-Claude Goiri accompagne avec enthousiasme cette revue de poésie ouverte à tous les vents, à tous les styles à l'exception de la mayonnaise en tube et ses dégoulinements. Les auteurs n'ayant jamais publié sont les bienvenus s'ils sont capables  d'offrir "une autre vue sur les choses".  FPM tient à sa devise : "Nous topographions nos territoires afin d'en abolir les frontières parce que rencontrer l'autre, c'est se soulever tout à fait."
Cette neuvième livraison, adornée de collages de Joë Fernandez et de Karine Coutet donne la parole à vingt-six voix toutes en échos et ricochets. De grands espaces blancs aménagés au long de la revue participent à la composition du chemin, avec ses haltes et ses rebonds, pour le soulèvement du lecteur dans les rencontres nouvelles. 
Citons, dans "l'ordre de disparition" comme l'écrit facétieusement Jean-Claude Goiri, quelques fragments tombés de ces lèvres fiévreuses ou pas.
Dirk Christiaens : " Il faut en découdre / avec le vent / ce mangeur salace / de l'écorce des nuages / et leurs reflets. / Par l'interstice de la claie / je vois les hommes / faits de bois mort / fait de bois tordu / le bûcher des enfants / innocents de ce monde."
Brigitte Giraud : "Sur l'exact versant opposé du mur / l'ombre devient. / Le corps lâche / des écumes pâles / sur du velours rouge. / Il se découd... / Comment avoir peur alors / d'un miroir / que l'on casse ?"
Roland Dauxois : "Veines futiles, / pauvres essences, / un demi-siècle d'émiettements et de hersages, / là où l'ombre verse son lisier / où le rire d'une ancienne éclaire les rosiers."
Murielle Compère-Demarcy : "un homme effondré contre un mur / un homme effondré comme un mur / frappait frappe frappe / contre un mur contre un mur / frappait frappe comme contre / un mur / cherchant attendant / raison perdant / un signe / de sa fille / un signe / de survie / la colère d'un homme..."
Serge Marcel Roche : C'est le village entre ses lèvres le long d'où circulent tout le jour les autos, les petites japonaises travesties en taxi qu'on s'entasse dedans, les grandes aux vitres endeuillées, celles qui sont à plateau et les camions de bière, la nuit aussi, mais c'est moins nombreux, un tremblement lointain, la peau qui se rétracte aux bords de la plaie, un soubresaut d'essieux, de lames grinçantes dans mon demi-sommeil, un bruit de train, de claquement du rêve, une lueur sonore parce que je dors les yeux ouverts, j'ai des yeux de sorcier la nuit, des yeux d'agonisant, ça défile la mort de la forêt, les fûts cadavérés qu'on enchaîne, les troncs débandés qu'on fera lattes de parquets où marcher sans conscience comme sur des peaux humaines..."
Dans les mois qui viennent, FPM sera aussi une maison d'édition, Tarmac. Fouler les herbes sauvages qui résistent au bitume avant d'envoyer sous la nue le long courrier de l'aventure humaine ! On reconnaît bien là l'esprit de Jean-Claude Goiri. Bonne chance dans la pelletée des nuages.
La revue FPM est en vente au prix doux de sept euros, sur le site ou à la commande chez votre libraire. Courez-y vite, avant qu'elle file !

jeudi 24 mars 2016

Aymeric Patricot, Les petits Blancs

Aymeric Patricot aime prendre des risques. Son essai Les petits Blancs Un voyage dans la France d'en bas, par la seule mention de "petit Blanc", aurait pu lui attirer les foudres de la gauche bien pensante ou plus radicale, et, à l'opposé, séduire la droite dure voire extrême. Le journal Le Monde refusa de chroniquer l'ouvrage sans même l'avoir lu cependant que le polémiste Eric Zemmour s'en emparait avec quelque gourmandise. Dans un pays dont l'intelligentsia germanopratine refuse d'entendre parler de statistiques ethniques, les accusations de racialisme ou carrément de racisme ont vite fait de pleuvoir... Surtout si un histrion alimente à dessein le flou...
Aymeric Patricot précise pourtant sa place et sa posture. " Ma position est sans doute celle du petit-bourgeois en voie de déclassement." Il évoque son père devenu médecin dans le service public, une carrière éprouvante et marquée par un sentiment d'échec au plan des idéaux malgré le confort matériel. Il dit, en toute sincérité, que [son éducation, son niveau de vie, sa santé mentale, ses aspirations] le séparent des petits Blancs mais que la frontière entre eux et lui est parfois poreuse.
Les petits Blancs donc ! Que les Américains appellent white trash ! Qui sont-ils au juste ? De l'employé précaire qui végète dans son quartier sensible au professeur vacataire non rémunéré pendant les vacances scolaires en passant par toute la piétaille jeune ou vieille, active ou retraitée de l'industrie et du commerce, de l'agriculture, la catégorisation sociale est facile. Les caractérisations anthropologiques sont en revanche plus ardues à cerner tant elles sont empreintes de porosités diverses. Aymeric Patricot, en s'appuyant sur la culture populaire, le rap, la télévision... et les nombreux témoignages qu'il a recueillis, en distingue quatre.
1 - Un genre particulier de fêtes (se déchirer la tête comme un zombie à grandes lampées de rhum, de bière, de vodka...)
2 - Le sentiment d'être perdu pour la société ("Non, vous ne valez rien, votre nature est mauvaise et personne n'a même envie de vous sortir de ce marasme.)
3 - Les stigmates physiques et mentaux de la pauvreté (obésité, dos voûté, timidité maladive, négligence vestimentaire, honte de soi.)
4 - Les passages à l'acte violent ou la tentation de la violence ("Des situations où le petit Blanc, ne supportant plus le piège dans lequel il est pris, fantasme d'en sortir par un coup d'éclat.")
Toute catégorisation est d'autant plus difficile à définir que s'institue, selon les discriminations vécues, un jeu complexe dans les rapports de dominé à dominant.  Telle situation ordinaire fera du dominé x le dominant y et inversement dans telle autre, à l'aune du coefficient d'oppression de chacun. " Que penser de l'individu qui subit une forme de discrimination tout en jouissant, face à un autre, d'une forme de privilège ? Victime d'un côté, oppresseur de l'autre ; discriminé le matin, discriminant le soir. Faut-il tenir certaines formes d'oppression pour plus fondamentales que d'autres ?"
Le lecteur, enfin, s'attardera longuement sur les portraits qui émaillent dans la plus grande justesse et le plus grand respect le récit-essai de l'auteur. Entre la haine des autres et la haine de soi, la rancoeur, la soumission, l'abjection... les sueurs froides sont garanties sur cette galère qui pourrait à chaque instant chavirer...
Le livre d'Aymeric Patricot a d'abord été publié aux éditions Plein jour dont le projet est de donner la parole à des écrivains pour exprimer la complexité sociale. Il vient d'être repris par les éditions Points en collection de poche et j'en recommande vivement la lecture.


dimanche 20 mars 2016

Isabelle Lagny & Salah Al Hamdani, Contrejour amoureux

Les dictionnaires définissent le contre-jour comme l'éclairage d'un objet recevant de la lumière en sens inverse de celui du regard. Le Contrejour amoureux écrit à quatre mains par Isabelle Lagny et Salah Al Hamdani est publié aux éditions Le Nouvel Athanor. Tantôt monologué tantôt dialogué, il exprime les multiples coulisses de l'émotion amoureuse en son théâtre d'ombres et de lumières. 
Isabelle Lagny et Salah Al Hamdani s'aiment indéfectiblement. Ils s'aiment dans les mots comme dans les corps, sur les passerelles de la langue devenues passerelles du sentiment. Entre terre d'accueil et terre d'exil, à l'unisson ou en dissonances. " L'orange se fend le long de son plus grand diamètre", écrit Isabelle Lagny. Bien plus loin dans le livre, la voix de Salah Al Hamdani offre cet écho à l'amoureuse : " Je voudrais te parler de la fissure inconsolable d'une ville".
Le drame de la dictature à Bagdad n'a pas fini de se graver au plus profond de la poésie et du corps de Salah. [Un déluge d'absents vient encore troubler son sommeil.] L'amour a parfois des épines quand les aubes sont tendues. "Ici et là, mon amour la lumière a mal", note l'écorché qui cherche à [se décoller de sa vieille peau]. Et Isabelle Lagny lui répond : "Se retourner et sourire même quand la lune sombre dans le lac". Sa voix chargée d'étincelles apaise les tourments de l'amoureux. Sa présence est capable [d'éteindre la pluie].
Dans sa petite préface, Jacques Ancet observe que l'amour s'augmente d'être dit. Et il s'augmente d'autant qu'il est dit sans tricherie ni compromission. Dans la nudité simple des mots. En cette longue traversée amoureuse, écoutons chuchoter la voix douce d'Isabelle : 
Je t'emmènerai sur mes ailes
Amour
Ne pleure plus
Je serai ton éternel rivage

mercredi 16 mars 2016

La revue Voleur de feu

La revue Voleur de feu, à parution trimestrielle, est une création de Double Vue éditeur. Elle propose dans chacun de ses plis une rencontre entre un auteur et un plasticien d'aujourd'hui.

Le premier numéro daté de janvier s'intitule Première étincelle. Il présente deux poèmes et deux proses d'Anna de Sandre. Une forte présence des paysages y souligne l'énigme entrevue de l'essence humaine. " Les troncs bouillonnent // Dans la neige couvre-sol // Un merle se plaint au sorbier // Des oiseleurs". La poésie sandrienne, symboliste jusque dans le choix de vocables oubliés, tisse des liens avec les mythologies des vieilles campagnes. Les "glaneuses de simples" dialoguent ici avec les sylphes au mouvement tellurique du pendule. Les âmes des morts sont emplies de colère comme [les racines plantées bas] sont assoiffées. Ce distique enfin, hésitation tremblante entre Lorca et Machado, qui assemble le chant profond d'Anna de Sandre : "Quand on mordille une bouche rieuse // On amende un désir d'argile". 
Les peintures de William Mathieu, dont Les yeux du chaos et Quatre coulées de lumière, disent les fragilités de l'immensité cosmique, ses hasards improbables dans le creuset du feu cerné d'un noir absolu. La qualité des reproductions en pleine page et en vis-à-vis des textes contribue pleinement au double jeu des regards. Des regards de voyants qui précèdent le geste, qui précèdent le mot ainsi que Rimbaud les imaginait en ses illuminations.

Le deuxième numéro daté du point vernal, (intersection de lignes imaginaires sur le soleil), s'intitule L'apprivoisement. Il présente un long soliloque  de Derek Munn avec en exergue ces mots de Virginia Woolf : " ... we are the words ; we are the music ; we are the thing itself." L'auteur arpente à l'envers le paradigme de la conjugaison, du pluriel au singulier. Ce jeu fort habilement conduit et toujours sensible lui permet d'égrener toutes sortes de moments dans le simple fait d'être. " ... la nuit vous fermez les yeux de votre maison, vous vous sentez isolés, vous ne sortez pas dans votre jardin, la grandeur du noir vous fait peur, vous êtes toujours un enfant, vous imaginez des hordes qui apparaissent à l'horizon, vous leur prêtez une menace, c'est encore une histoire que vous vous racontez, vous ne voyez pas qu'elle est la nôtre..." Le lecteur est séduit par l'absence totale de hiérarchie dans cet égrenage. Manger, se couper les cheveux, sortir une bouteille et deux verres... il n'y a pas de différence avec [l'entretien du silence], [l'éducation à dissoudre] ou "le son écrasé de la cloche". La chose elle-même est bien ce flux de vivre, dans cette langue-là ou dans une autre, lestée ou non d'une pierre, qui portera d'autres idées à la lumière ou à l'obscur.
Les peintures d'Antoine Henry, Service, Fruits, Home... natures mortes et paysages surgis du noir en quelques traits, pourraient s'effacer de nos yeux sans qu'on s'en aperçoive, comme une réalité impossible à fixer, tendue vers l'oubli.

La revue Voleur de feu est disponible à l'achat sur Internet au prix de cinq euros plus deux euros pour le transport ou à l'adresse de l'éditeur : Double Vue Editeur, 19 rue Maurice-Rontin, 47170 Mézin. N'hésitez pas à vous l'offrir et vivement la venue du numéro suivant, en juin avec l'apparition d'un nouveau point à la surface du soleil.

mardi 8 mars 2016

La revue la piscine

Un soir de juillet deux mille quinze à Montpellier, la photographe Louise Imagine réunit quelques amis autour de sa piscine. Les mots tintent joyeusement à l'unisson des verres dans la touffeur amoindrie. Les gouttelettes qui perlent dans l'air et sur les peaux rappellent cette vérité scientifique : le corps humain est composé à soixante pour cent d'eau et à quarante pour cent de vent. Ce vent, nous le savons, trace des ridules humides à la surface des choses, pousse les sources à serpenter dans les vallées avant de rejoindre la mer, creuse des vagues crêtées d'écumes, élève et abat des précipices, dans les paysages comme dans les rêves.
Louise Imagine propose de créer une revue. Une revue graphique et littéraire. Où textes et images entretiendraient toutes sortes de conciliabules. Philippe Castelneau, Alain Mouton et Christophe Sanchez, passionnés par les multiples facettes de l'écriture, s'enthousiasment. Les expressions aquatiques jaillissent comme eau fraîche en fontaine : on se mouille, on se jette à l'eau, on plonge, toutes voiles dehors et que la vigie ouvre bien les yeux...
Six mois plus tard, le numéro zéro de la revue la piscine accueille en son bassin quarante et un textes et dix-sept images. Une face en noir et blanc, l'autre, tête bêche, en couleurs. L'eau évidemment y coule à flots, du ventre maternel au grand large, et c'est toute la vie qui bouillonne, dans l'infinie variation de ses humeurs. 
Le lecteur trouvera au sommaire des auteurs-navigateurs déjà confirmés ( Thomas Vinau, Murièle Modély, Guillaume Siaudeau, Louise Imagine...), quelques rescapés de l'exploration Métèque (Isabelle Bonat-Luciani, Azilys de Nowhere, Marlène Tissot), et de nombreux mariniers d'eau douce comme de haute mer (Melania Avantazo, Olivia Del Proposto, Guillaume Estève, Louis Raoul et Christophe Sanchez...)
Ce beau numéro zéro de la revue la piscine est dédié à l'écrivain de théâtre Emmanuel Darley disparu au mois de janvier.
Il est disponible à la vente (quinze euros) sur le site de la revue et dans quelques librairies à Montpellier et Bordeaux (La librairie Olympique) en attendant d'autres escales partout en nos villes de terre et d'eau.

lundi 7 mars 2016

Béatrice Mauri, iench

Béatrice Mauri signe avec iench un récit qui emporte le lecteur dans les fanges les plus nauséeuses de la désespérance humaine, tissée de solitudes et de ruminations rances, de suints corporels par tous les orifices, de sordide à tous les étages de l'âme. Le Bundle, bègue qui a [perdu tous ses mots de dehors] après une tentative de noyade, est un narrateur dont la langue est tout entière retournée vers l'intérieur, rebroussée même, à la façon d'un glossolale pris au piège de son vertige. Il raconte le naufrage de La mère, dite aussi, parmi une multitude de sobriquets qui auraient fait le miel de Frédéric Dard, La Grognasse, La Vipère, La Belle au gras dormant, L'escaladeuse de braguette et La fierce... Avec ses "épaules de fenêtrière" et ses "bas résines", ses "lèvres au pinceau lignes appliquées lames coupantes qui font d'un bisou une écharde". Elle se fait visiter les conduits par toutes sortes de ramoneurs qui n'ont jamais vu la suie et ne connaît de tendresse que le col froid des bouteilles de "whisk". [Amuse-gueule à proxo], cette mère n'amuse pas du tout Le Bundle, le iench, le chien. Lui qui se définit comme une "emmerde suintée", se verrait bien expédier La frénétique au fond du puits. Mais que peut-il faire si son frérot Le munch est toujours à pédaler sur son vélo avec son pied bot ? Comment se faire entendre d'un aîné qui se forge des voyages dans un orient inaccessible, peuplé de "femmes dorées douces de sucre" qui "servent bien le thé paraît que c'est une herbe qu'on boit après diffusion dans l'eau" ? Comment mettre un terme à cet enfer où chacun est le prisonnier de chacun, sous l'ombre disloquée du Paternel ? Pour que le repos enfin vienne ?
Dans sa préface, Edith Azam évoque avec raison la maîtrise avec laquelle Béatrice Mauri tient la bride à ses mots inventés détournés tout en les faisant bouillonner et mentionne l'univers de Faulkner. On peut y ajouter celui d'Elfriede Jelinek dans Enfants des morts. La même violence de l'écriture y dépèce les corps et les désirs les plus opaques, dissèque sans complaisance les tourmentes de l'humain en zone de catastrophe. Quel "putrain" !
iench, de Béatrice Mauri est publié par Les éditions Moires, jeune maison au courage audacieux dans ses choix singuliers.


mercredi 17 février 2016

C'est la route qu'on n'a pas prise

C'est la route qu'on n'a pas prise
qui essaime toujours - l'autre a fini
dans un sac au fond de quelle chambre obscure*
Sur les coteaux et dans les combes des enfances
Les sentes qu'on prenait
Avec des fleurs pareilles à des abeilles
Et des frémissements sous l'herbe sèche
Je ne les tiens plus dans mon pas qui piétine
Je cherche encore les chemins détournés
Qui m'interdisaient leur mystère
A moi seul figé déjà dans un corps mal assemblé
Quand la petite voisine y jetait ses doux ans en pâture
Son rire et sa peau blanche

 Guy Goffette, La vie promise, (Lettre à mon voisin), 1991


Marcher dans la nuit, parler sous la rumeur,
pour que le rayon du jour naissant fuse et réplique à
mon pas*
Mes enfances encore sous les hivers trop bas
Les signes de la nuit que je devais conjurer
Entre l'eau des marais et les creux dans la combe
Le petit peuple des chimères courait sur ma peau
S'engouffrait dans ma gorge sans cri
La lumière tardait sous l'horizon
Haché des hautes herbes
Mes gestes rentraient dans mes gestes
Cloués par le noir sans issue
J'en contemple les restes sous mes mots
Les énigmes tapies
J'ai cinq ans pour toujours

 Jacques Dupin, Le corps clairvoyant, (Moraines), 1969


De toutes petites pensées tournent en rond ici,
ne cherchent rien,
ne désirent rien.*
Elles zèbrent l'eau croupie des bassins
Où vont les feuilles mortes
Se changent en mouche dans les vieux souvenirs
De lampes et de toile cirée
Quand l'ennui crépitait autour de mes yeux
Elle se jettent sans dessein
Sur l'horizon froissé comme un drap
De mauvaise nuit
Elles n'ont pas assez de corps
Pour énoncer le temps qui manque
Le désir qui languit
Mes mots s'essouffleraient à les chasser
La marche seule parfois les dissout

 Pӓr Lagerkvist, Angoisse, 1916


Formée de boues et de sédiments
une très confuse image
monte de l'absence*
Des chimères venues d'avant moi
Dans des souvenirs de fièvres
Au creux d'autres corps
Accompagnent encore mes pas
Les bêtes blanches ont des grimaces de suie
Des remuements de lie des murmures de vieille eau
Le temps ne les remise pas dans ses plis
Ma langue échoue à les combattre
Ma solitude est trop absente

Françoise Hàn, ne pensant à rien, (Absence), 2002

mercredi 3 février 2016

Gabriel Josipovici, Infini l'histoire d'un moment

Le roman de Gabriel Josipovici Infini     l'histoire d'un moment est construit à la façon d'un entretien. L'auteur ne nous montre jamais l'individu qui conduit cet entretien. Il ne montre pas davantage Massimo dans son évocation sans cesse reprise du compositeur Tancredo Pavone. De même, aucun élément de décor n'apparaît. L'ouvrage est uniquement centré sur l'entretien, sur les paroles dites à ce moment-là. C'est, en effet, l'histoire d'un moment. Dans sa nudité qui bredouille les souvenirs. Massimo, employé de maison au service du musicien, en perd souvent l'écheveau, ne sait plus au juste de quoi il se souvient, se tait. Le meneur du jeu, avec lenteur et patience, procède à des relances, par petites touches, quand le silence pourrait menacer l'écoulement des mots.

"Il s'arrêta. J'attendis qu'il continue mais, quand il devint clair qu'il n'allait pas le faire, je lui dis : Continuez.
- Je ne m'en souviens plus, dit-il.
- De quoi ne vous souvenez-vous plus ?
- De rien.
- De rien ?
- De ce qu'il a dit à ce sujet.
- Ca ne fait rien. Parlons d'autre chose.
- Oui, monsieur, dit-il.
J'attendis."

Mais qui est donc Tancredo Pavone ? Comment définir ce compositeur absolu ? Comment cerner la personnalité de l'aristocrate sicilien obsédé par la propreté de ses costumes, de ses chemises, de ses chaussures, hanté par la pureté des origines et des commencements mais sans dédaigner pour autant les plaisirs de la chère et de la chair ? C'est peut-être là que réside une partie de l'infini, dans cette impuissance à dire qui il était vraiment. Oui, Tancredo Pavone incarne peut-être l'infini, dans l'infinité de ses vertiges, de ses mystères. Laissons-le, par la bouche du méticuleux Massimo qui faisait aussi office de chauffeur, s'exprimer sur la musique :

" Un véritable musicien, Massimo, a-t-il dit, devrait être capable de nettoyer les caniveaux, il devrait être capable de se battre dans les tranchées, il devrait être capable de travailler dans un bureau ou dans un hôpital, parce qu'il a créé un espace de solitude en lui-même où la musique pourra être écrite."
" Quand le compositeur comprend que l'éternité et le moment ne sont qu'une seule et même chose il n'est pas loin de devenir un vrai compositeur, a-t-il dit. Sans cette compréhension il n'est rien."

Sauvé de la médiocrité de son siècle par la découverte des musiques profanes et sacrées en Afrique et au Népal, Tancredo Pavone égrène avec jubilation ses nombreuses détestations. Ainsi, le plafond de la Chapelle Sixtine de Michel-Ange relève de "l'homo-érotisme grotesque". Quant aux pianistes et aux chanteurs invités dans des salons, il faudrait les fusiller sans barguigner et les propriétaires desdits salons pareillement. Toute complaisance avec la bassesse est une faute impardonnable car "quand on se penche sur l'histoire du monde, ce que l'on voit est l'histoire du mouton. De fous menant des moutons et de moutons suivant des fous". Seules trois personnes échappent au jeu de massacre du compositeur absolu. Trois personnes qui sont des moments de grâce dans un infini d'abjection. Parmi elles, Henri Michaux. L'ami.

Je recommande vivement, chaleureusement la lecture de ce roman de Gabriel Josipovici traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner et publié par Quidam éditeur. Assurément, voilà une langue qui n'est pas pour les moutons...



samedi 30 janvier 2016

Céline Curiol, Un quinze août à Paris

"Pour Fernando Pessoa, elle se nomme l'intranquillité. Pour Donald Winnicott, elle est une réévaluation intérieure de l'être. Pour Marguerite Duras, elle se nomme la maladie de la mort. Pour Charles Baudelaire, elle s'appelle le spleen. Pour Rainer Maria Rilke, elle se nomme l'existence en surnombre. Pour Russel Banks, elle se nomme la volonté agitée. Pour Sylvia Plath, elle se nomme la cloche de verre."
Mais qui est-elle au juste ? Pour être nommée de si diverses manières, elle doit peser lourdement sur les corps et les esprits. Céline Curiol a sous-titré son récit-témoignage-essai : Histoire d'une dépression. Elle, c'est donc la dépression. Mais comment la définir alors que l'auteur (e) concède qu'il existe à peu près autant de genres de dépressions que de modèles de voitures ? Le terme "dépression" remplace au début du vingtième siècle celui de "mélancolie" jugé trop vague. Mais le flou persiste. Il faut recourir à des adjectifs pour cerner les contours de la dépression : clinique, nerveuse, saisonnière, unipolaire, masquée, névrotique...
Céline Curiol nous livre sans fard ni détour son expérience de la dépression dont l'une des phases aiguës a lieu le quinze août deux mille neuf à Paris. La ville est déserte. " Comme souvent l'été, le ciel doit être bleu, les petits matins agréables et les couchers de soleil savoureux, les terrasses des cafés animées et plaisantes." Céline Curiol ne voit ni la ville ni le ciel bleu, n'entend pas les conversations aux terrasses des cafés. Elle cherche désespérément l'hôpital qui voudra bien lui renouveler ses médicaments. Déplace sa détresse d'établissement en établissement, endure dans la douleur les soupçons voire la rudesse de certains soignants. Céline Curiol est seule face au tsunami qui submerge dans le même interminable présent son corps et son esprit, sa langue enrayée qui ne parvient plus à nommer. Des âmes a priori bienveillantes se sont peu à peu détournées d'elle. Situation classique vécue par la plupart des patients. La dépression est-elle une maladie honteuse comme l'ancienne mélancolie condamnée par l'église ? La dépression est-elle une maladie contagieuse comme la peste ou le choléra ? Comment ne pas penser au suicide, la seule question philosophique qui vaille vraiment selon Camus ?
Céline Curiol appelle à son chevet les plus grandes voix de la littérature, de la philosophie, de la psychanalyse et des neurosciences. Pour mettre un peu d'ordre dans le chaos, renouer les fils rompus du récit de son histoire, retrouver l'imagination salvatrice et des habitudes créatrices de soi.
Le lecteur sort forcément ébranlé de ce concert savant. Antonio Damasio évoque les capacités proprioceptives du cerveau sans lesquelles, en cas d'affection grave, l'esprit se focalise au-delà de la raison sur le fonctionnement interne du corps. Roland Jouvent rappelle l'absolue nécessité des structures mentales de l'imaginaire. En état de dépression, elles "deviennent de plus en plus rigides et finissent par s'appauvrir". Le patient, incapable de faire le geste qu'il ne parvient plus à imaginer, est prisonnier de son corps, lequel rabâche un éternel et insupportable présent.William James souligne l'importance de la croyance dans la constitution de l'homme libre et Camus lui fait chorus : "Penser au lendemain, se fixer un but, avoir des préférences, tout cela suppose la croyance à la liberté même si l'on assure parfois ne pas la ressentir".
Mais redonnons la parole à Céline Curiol, bouleversante quand elle aborde la sortie du trou noir : " Aujourd'hui, un certain nombre de souvenirs se sont estompés, mais je conserve l'image de cette femme qui tente, avec une éprouvante lenteur, de réinvestir un elle-même à la manière d'une demeure incessible, de réapprendre à filer son propre monologue en le croyant digne d'évoluer... Ma guérison ne saurait cependant se résumer à quelques épisodes déterminants et significatifs : comme toutes les guérisons, elle se déroulera aussi en secret, au fil de nuits et de rêves auxquels je me suis livrée, au gré du mystérieux rééquilibrage des réactions chimiques qui tiennent un être en vie".
A la fin du livre disponible en Babel poche, Céline Curiol remercie notamment Siri Hustdvet et Paul Auster, lesquels ont aussi vécu une expérience de l'angoisse et de la dépression. Elle a participé à la traduction du dernier ouvrage de Paul, La pipe d'Oppen, et est l'auteur (e) de plusieurs romans parus chez Actes Sud.