mercredi 29 juin 2016

Dehors, recueil sans abri & Sabine Huynh

Eléonore Jame des éditions Janus et Christophe Brégaint membre de l'association ActionFroid créée par Laurent Eyzat viennent de publier une anthologie poétique sur les sans-abri. La totalité du produit des ventes sera versée à l'association. Résultat de recherche d'images pour "dehors accueil sans abri"
La longue prose de Sabine Huynh, Des araignées plein la bouche, me touche particulièrement :
"Les araignées, elles t'épargnent toujours, alors que tu es affalée sur leur territoire, comme Gulliver tombé dans une soupe pour Lilliputiens. Par contre, quand tu es dans ton lit, tranquille, au chaud et au propre, elles n'ont aucune pitié. Et piquent et repiquent et remordent, bien fait pour toi, tu sens trop bon tu sens pas bon. Mais quand tu es dans un local à poubelles, dans un local à vélos, dans une cave d'immeuble, sous un banc, elles te laissent tranquille, comme si elles savaient... que c'est malgré toi que tu dors là, les yeux à deux pattes de leurs toiles. Dormir est un bien grand mot pour ce que tu essaies de faire. Elles le voient, que tu ne dors pas, que jamais tu n'y arriveras (plus). Elles te pardonnent de laisser tes cheveux attraper leurs soies et les déchirer au passage. Elles en profitent pour fouiller ton crâne. Elles sont minuscules, grises, rapides, grouillent, descendent dans tes oreilles, forent jusqu'à ton cerveau. Mine de rien ça fait mal. Tu as envie de crier. Tu as envie de hurler mais tu restes silencieuse, comme les araignées. L'esprit est plus fort que le corps l'esprit est plus fort que le corps. C'est toujours pareil. Si personne ne te voit, ne te regarde, ne s'approche pour te parler, te tendre la main, une pièce, un sandwich, une bouteille d'eau, tu meurs et meurs et meurs, c'est comme se taper la tête contre un mur ou se noyer devant des indifférents. Et pourtant, tu aimerais tant être invisible. Regardez-moi, j'existe, aidez-moi, je crève. Détournez votre regard, passez votre chemin, laissez-moi, je ne suis personne, je ne suis plus rien, je pue, j'ai des boutons plein le front, les yeux et les cheveux collants, les ongles sales, des kystes remplis de venin derrière les oreilles, j'ai honte, je veux crever. C'est toujours pareil. Tu as tout le temps froid, tout le temps faim. Un kilo de biscuits pour chien à l'époque coûtait cinq francs, ou peut-être dix ? Non, c'est impossible, jamais tu n'aurais pu récolter dix francs. Cinq francs alors. Imbattable. Cinq fois, dix fois plus de biscuits qu'en contiennent les paquets destinés aux humains. Des biscuits ronds, ou carrés, ou triangulaires, ovales peut-être ? Tu ne sais plus, jusque que le plastique du paquet était transparent, teinté en jaune ou en orange peut-être, tu ne sais plus, que les sablés étaient de couleur caramel, de goût peut-être aussi ? Tu ne sais plus. Dessus on voyait... des voitures, des bateaux, des vélos, des ballons, des nounours, des poissons, des fleurs... Oui, des jouets étaient dessinés sur les biscuits pour chiens...
... Les araignées sont partout, mais les prédateurs ne sont pas des araignées. Ne sont pas des araignées les violents les violeurs. Ne sont pas des araignées non plus les flics qui te crient de lever les mains, qui te passent les menottes, te font tomber et te plaquent la joue au sol. Rugueux. Froid. Gravillons. Tessons. Contrairement aux araignées tu ne possèdes pas de ligne de survie. Par terre par terre, c'est toujours là que guettent les cloportes, par terre par terre tu te retrouves alors que tu aurais préféré rester high, au plafond. Les araignées foncent sur toi en masse. Leurs multiples yeux. Tu grelottes de peur. Et pourtant tu n'as rien fait. Et pourtant ce n'est pas toi. Tu as volé, mais rien pris, rien vendu. Et pourtant tu y as songé, à la valeur de ton corps, à la douceur de ton abdomen tatoué. Tu as envie de crier. Tu as envie de hurler mais tu restes silencieuse, comme les araignées. L'esprit es plus fort que le corps l'esprit est plus fort que le corps..."

Dehors recueil sans abri coûte 15 €. Il est parrainé par Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social de la ville de Paris.

mardi 28 juin 2016

Annie Kurkdjian & Marlène Tissot dans Voleur de feu

Le numéro trois de la revue Voleur de feu vient de paraître chez Double Vue éditeur sous la houlette de William Mathieu. Il accueille des oeuvres d'Annie Kurkdjian (pastel sur papier, acrylique sur toile..) et des textes de Marlène Tissot (poèmes, prose). 
Cette résonance des mots et des images s'intitule Mise à nue
Les corps d'Annie Kurkdjian ont des formes généreuses et déliées. Les membres ont parfois quelque démesure. Les doigts vibrent comme des tentacules. La tête sans cou penche et tombe sur l'épaule. Corps étranges donc, avec des fleurs à longue tige qui poussent dans les paumes ouvertes et à la pointe des seins. Saisissement de l'homme assis sur les genoux de la femme. Sa tête disparaît dans la poitrine offerte, par une échancrure au scalpel.
On peut penser à l'univers de Topor, de Cardon pourquoi pas.Afficher l'image d'origine
Les mots de Marlène Tissot ne gardent pas la langue dans la poche, disent sans détour la brutalité du quotidien, l'absurdité aseptisée du monde moderne. L'humour a des grincements de trémie pour endiguer les larmes. "Les émotions, ce n'est pas censé déborder, même lorsqu'on les porte à ébullition." Le texte en prose Tu t'es assis dans mon ventre est tout à fait poignant. Poignant. Poing. Poignard. Comme la vie en son sang et ses révoltes.
"Un jour, tu es venu et tu t'es assis dans mon ventre. Tu étais beaucoup plus grand, beaucoup plus fort que moi. Il n'y avait pas assez de place pour nous deux à l'intérieur, alors je me suis enfuie hors de moi. Et toi, tu es resté là, avec ton regard d'autrefois, avec ta voix qui disait, On fait un jeu, regarde, je vais m'asseoir dans ton ventre. Tu n'avais pas prévenu que tu resterais assis là et que je ne pourrais plus jamais me relever."
La revue Voleur de feu, pliée et non reliée, permet de réaliser des sous-verres de la plus haute tenue. Le prix étant modique (cinq euros), je suggère au lecteur d'acheter chaque parution  en deux exemplaires. Un pour la bibliothèque. Un autre pour ailleurs dans la maison. 
Nous attendons d'ores et déjà la quatrième livraison à l'automne prochain.
L'image d'Annie Kurkdjian provient du site aralya.fr et ne figure pas dans la revue. Consultez ce site.

mercredi 22 juin 2016

Ortigosa, la leyenda de la mujer muerta

Il existe à Ortigosa del Monte plusieurs légendes de La femme morte. L'une d'elle évoque le demi dieu Hercule en sculpteur de haute altitude, rocaille et ciel à bras le corps. Une autre met en scène un duel inégal entre deux prétendants aux faveurs d'une belle crépusculaire et la région sombra dans le chaos des batailles. 
Celle qu'on m'a contée parle d'une reine en son royaume. Veuve et mère de deux jumeaux. Lequel allait régner sur les âmes d'ici bas ? Les princes ne tardèrent pas à se quereller, chacun avec ses fidèles. Du sang coula. Des villages s'embrasèrent. La source Bezoya prit des couleurs de fournaise. Au grand dam des coquelicots et des genêts. Quelques buses, qui sait, plus sensibles que d'autres aux effrois des humains, choisirent de fracasser leur envol contre les pierriers. La veuve et mère pleura beaucoup. Supplia. Implora. Que faire ? Comment arrêter le branle de l'absurde ? la mort des desdichados ? Résultat de recherche d'images pour "la leyenda de la mujer muerta"
Elle marcha toute une nuit dans les couloirs de son château, monta sur la plus fière de ses tours et mira longuement le drapé des étoiles. Elle ne pria pas. Elle ne priait plus ce Dieu impuissant qui n'avait pas sauvé son aimé. Elle le maudissait même. 
Au petit matin, sa décision était prise. Elle se faufila déguisée en servante dans le tumulte des horions et des hennissements. Elle gravit la montagne. Un sentier s'ouvrit devant ses pas. Les cailloux se rangèrent sur les bas-côtés. Les chênes verts s'inclinèrent si profondément qu'elle put s'emparer des ramures les plus souples pour mieux se hisser. Le vent aussi l'aida, qui emporta loin d'elle les hurlements de la vallée. 
A la fin du jour, elle se coucha sur le sommet qui partageait en deux parties égales le royaume convoité. Deux nuages aussitôt accoururent. Piquetés de filaments d'oiseaux. La veuve et mère s'endormit. Peu à peu, son sommeil la pétrifia.
On raconte que son sein a pris l'éclat du marbre blanc. On raconte que toute les lumières du firmament se rassemblèrent dans ses yeux.
Nul ne sait ce qu'il en fut vraiment. Mais, dès le lendemain, les jumeaux déposèrent les armes. Les chevaux cabrèrent leur joie dans les halliers. Et la source Bezoya retrouva sa fraîcheur. Une paix nouvelle commença, qui dura trois siècles. 
Après, c'est une autre histoire. Une autre légende. De mémoire en mémoire, elle creuse aujourd'hui encore ses sillons. Dont celui-ci, dont je vous fais l'offrande.

Image acueducto2.com

mardi 21 juin 2016

Ortigosa del Monte, un pueblo espagnol

Ortigosa del Monte, un pueblo espan͂ol
Un village de cinq cents âmes au flanc de la sierra Guadarrama, à un quart d'heure de Segovia, veillé par La femme morte sur les créneaux de la montagne. Des buses accompagnent les planeurs lancés depuis el Parque nacional. Des chevaux de bocages contemplent les immenses étendues des coquelicots, amapolas dans la langue de Cervantes. Des cigognes nichent sur les pylônes et le clocher de l'église.
Les couleurs à Ortigosa, dans les grandes saignées de la terre et sur les façades, oscillent entre le jaune serin et le rouge brique en passant par toute une palette d'ocres plus ou moins profonds. Ne doutons pas que les corbeaux (cuervos) et les pies (urracas) des chênes verts y soient sensibles quand le ciel de juin hésite entre blanc laiteux et bleu tropical. Un décor pour les peintres de plein air ; Van Gogh aurait aimé.
Contrairement à bien des villages français de cette dimension, Ortigosa n'est pas un lieu abandonné. On y trouve deux restaurants, trois bistrots, une épicerie, une pharmacie et même, à la Venta vieja, une boucherie dont la viande de bœuf est goûteuse. La présence d'une école sur la place de la mairie (ayuntamiento) et plus loin d'un collège de secteur fournit quotidiennement son lot de criailleries rigolardes. Un ensemble de terrains de sport, foot, tennis, pelote, basket (baloncesto) réunit en fin de semaine tous les férus de la sueur venus des environs. Et la culture a aussi son foyer. Au programme de ces derniers jours une pièce de théâtre de boulevard, Pareja de tres, que je traduis par Ménage à trois.
Mais la vie à Ortigosa porte aussi les stigmates de la crise immobilière qui a si sévèrement touché l'Espagne. De nombreuses maisons sont à vendre : ruines, anciennes demeures paysannes rénovées, grosses villas construites par des madrilènes au temps de la Movida, lotissements périurbains contemporains... Et le chômage (paro) ne baisse pas, ou si peu. Des réseaux de petites solidarités parviennent à s'organiser. On se serre les coudes, quoi ! Tout au moins, on essaie.

Il y aurait encoreRésultat de recherche d'images pour "ortigosa del monte" beaucoup à dire sur les topographies de cette bourgade si j'avais les connaissances et les talents d'un Elisée Reclus. Une énumération de quelques toponymes (calle de la fuente, calle de las fraguas, calle cercado del cristo, calle real...) apprêterait tout pareil le lecteur au voyage. Le mieux est encore d'y venir. Pour visiter les champs cernés par les bleuets et dire bonjour aux ânes blancs. Pour souhaiter à La femme morte une belle éternité en son fief de nuages. Pour déguster des judiones qui sont de gros haricots plats et de l'agneau rôti au vinaigre.  Et puis et puis, Ségovie si proche avec son Alcázar et ses tranquillités procure bien des enchantements. Enfin, en un peu plus d'une heure par l'autoroute, le centre de Madrid ouvre ses rues aux flâneurs. Mais c'est une autre histoire. Un autre voyage. Une autre rêverie.

dimanche 12 juin 2016

Par la fenêtre donnant sur le labour

Par la fenêtre donnant sur le labour
on voit briller des ustensiles
de cuivre ardent*
Garder le souvenir d'un visage penché
Sur la glaise
Sa bouche fermée aux remugles
Le soc luit sombre dans le sillon retourné
Des courtilières pourraient bondir
A l'assaut des corbeaux tapis
Le soleil de novembre s'effondrerait
Sans qu'on s'en étonne sous le ciel bas
J'ai toujours dix ans
Un froid me fait trembler

 Jean Follain, Exister, 1947


La courbe que l'oiseau
Va suivre s'il s'envole.*
Mais comment savoir ce qui en soi
Prendra la mesure de l'instant
La lumière est trop tendue
Le ciel s'ouvrira-t-il
Poser la question aux travers du chemin
Attendre un frisson sous la peau
Qui jetterait des traits
Chercher le regard des bêtes blanches
Toutes ces présences pour augurer la trace
Déjà plus là
Une éternité minuscule

 Eugène Guillevic, Sphère, 1963


Alguien está tocando una música espesa
en la esquina del mundo.*
Une musique au coin du monde
On l'entend tout au bout de la fatigue
Dans l'énigme du corps défait
Où aller encore si le chemin
N'est plus qu'un trait
Qu'on ne sait pas finir
Il faudrait se dissoudre là
Avec les notes blessées qui montent des fondrières
Dans les remuements faibles de l'air
S'accorder au murmure de l'eau
Parmi les hautes herbes
Devenir une idée nue ouverte comme une main
Pour sauver

Julio Llamazares, La lentitud de los buyes, 1979

tout est noyé tout s'estompe tout s'amenuise
on dirait un chagrin suppurant de la terre*
Il n'y a plus de tumulte
Les ombres gisent à l'entour des jardins
L'eau a perdu les traces des bêtes blanches
Un volet  battant dans le vide
Eloignerait de mes pas
Les menaces du vent
L'ornière étouffe un sanglot quand je déglutis
Du noir

Lionel Bourg, L'étoffe des corps (Paysages après la pluie), 1994


Un homme seul
regarde passer
un garçon
qui chancelle*
Je ne me suffis pas de son vertige
Ecarquillé dans les flaques
Des ombres battues en ses clins
Il me faudrait prendre aussi la douleur
Qu'il ignore encore
Loin des pères et des mères
Aux moignons qui suppurent
Mais comment nous inventer ensemble
Avant la chute

Bernard Delvaille, Faits divers, 1976

lundi 6 juin 2016

Patrick Rödel, michel serres, la sage-femme du monde

Patrick Rödel aime partager ses admirations. Avec michel serres, la sage-femme du monde, il le fait avec simplicité, tendresse et humour. C'est que Michel Serres n'est pas un philosophe comme les autres. Il ne s'enferme pas dans un bureau comme les vieilles barbes de l'Institution qui n'ont jamais connu que leurs grimoires. Il pratique le monde en "plein air" et, tout en auscultant le présent, essaie d'imaginer, de penser l'avenir de l'humain dans tous ses états.
Ancien marin au long cours, Michel Serres a éprouvé avec son corps les dangers des océans. Une école de la vie dans la matière des choses, qui marque l'esprit et l'âme, qui imprime un style à l'existence et à l'écriture.
Michel Serres n'écrit pas des essais arides criblés de notes en bas de page mais des livres où la poésie surfe à la crête des mots. " Homme libre, toujours tu chériras la mer..." Gourmand de toutes sortes de vocabulaires oubliés ou revisités qui touchent aussi bien à l'ordinaire des jours qu'aux vagues hauturières, notre philosophe hors des clous sorbonnards prise également les termes techniques de la biologie, de la mécanique, de l'informatique...
Facétieux et lui même gourmand, Patrick Rödel consacre une large part de son ouvrage à un "glosserres", fouillant au plus profond des racines étymologiques. Le lecteur apprend ainsi que "le pontife, c'est celui qui construit les ponts". De même, le passage est "ce chemin que le bateau cherche entre les écueils, entre les courants contraires". Ponts et passages. Aucun jargon doctoral ! Montaigne aurait apprécié ce désir d'homme à hauteur d'homme, qui veut tendre la main au futur. 
Bien des auteurs mesurent chichement leurs citations. Ce n'est pas le cas de Patrick Rödel qui choisit de mettre en avant le style du "maître" plutôt que le sien pourtant fort ciselé :
" Qui suis-je, liquide, parmi les larmes cachées ? Qui suis-je enfin, topologique et temporel ? Quand le silence, enfin, et la nuit, insularisent la solitude, lorsque se tait le langage qui tient le siège des autres en moi - comment museler le bec de cet irrémédiable bavard ?..."
" Qui n'a jamais vu l'été indien dans les forêts du Québec au nord de Montréal et jusqu'au bord de la Chesapeake Bay dans le Maryland, n'a pas encore accédé à la plénitude extasiée du regard. A l'inverse, quels millions de merveilles ces millions d'érables ont-ils vues dans le ciel pour éclater ainsi en millions de teintes pourpres, écarlates, cramoisies ?"
De l'étonnement à l'émerveillement. Ces pierres angulaires de la poésie. De la philosophie. Les deux ensemble pour notre bonheur de chercher à savoir. 
Lisez michel serres, la sage-femme du monde de Patrick Rödel aux éditions Le Pommier et vous entrerez dans les méandres simples et complexes d'un philosophe-écrivain totalement original, au service des humbles.

mardi 31 mai 2016

Dans la durée des oiseaux est publié

Mon recueil de proses poétiques Dans la durée des oiseaux, lisible comme un récit, vient de paraître aux éditions du Cygne. J'en ai commencé l'écriture en 2005 et je l'ai fini en 2014. Entre temps, le texte s'est perdu pendant trois ou quatre ans, je ne sais plus. Peut-être le fallait-il, qu'il se perde ! Pour que les mots continuent à travailler tout seuls sans que je les enquiquine avec mes prétentions d'auteur. Pour qu'ils prennent le temps du voyage entre Prague et Venise en passant par la ville morte en terre du nord. Pour...

Enfin, voilà ! Mettons que Dans la durée des oiseaux soit un livre d'amour. Pas un amour en limousine sur l'autoroute du soleil, ça non ! Mais un amour tout de même. Avec ses ombres qui font naître aussi des lumières. Je ne sais pas.

A vous de voir, si vous le voulez bien. Pour commander l'ouvrage, il suffit de taper www.editionsducygne.com et en principe ça marche.

Vous pouvez aussi le réserver chez votre libraire préféré. En vous offrant mes brassées d'oiseaux, vous aidez aussi un éditeur méritant. D'une pierre deux coups sur l'étang des cygnes et l'eau ondoie. C'est beau une eau qui ondoie.

mardi 17 mai 2016

André Bucher, Déneiger le ciel

Dans la vallée du Jabron, du côté de Curel ou du col de l'Homme Mort, les flocons de neige sont aussi abondants que les habitants sont rares. La température peut chuter à moins trente dès la mi-décembre et le manteau blanc reste sans accrocs jusqu'à la fin février. Les voitures s'échouent comme des carcasses. L'huile gèle dans les mécaniques des tracteurs. Les téléphones restent muets.
David, la soixantaine chevelue, vit seul dans la ferme qu'il a retapée à bras le corps. Sa compagne Mireille est morte en pleine jeunesse, fauchée par un fou du volant. Sa fille Noémie a fait sa vie, comme on dit, deux gosses et un divorce cahin-caha... Alors la solitude pèse lourd au trébuchet des souvenirs. Les étreintes fugaces avec la voisine Muriel n'y changent pas grand chose. Une douleur contre une douleur, il y a mieux pour engendrer la joie. Même la musique n'y parvient pas. Steppenwolf. Nina Simone. Norah Jones et ses nightingales. Tant d'autres. Nostalgies...
Alors que le paysage s'immobilise dans la neige et dans la glace une veille de Noël, David reçoit deux appels à l'aide. Un vieux berger dans sa masure. Un jeune voyageur épris des mêmes rythmes nord-américains, l'image du fils qu'il aurait tant aimé. David commence une longue très longue marche dans la nuit. Les souvenirs sont très vivants sur le grand écran du blanc. Les morts parlent, c'est sûr. La fille de Muriel notamment, qui a disparu, qu'on a cherchée tant et tant... Et si elle s'était transformée en saumon ? !
Déneiger le ciel de André Bucher est un roman de la nature tourmentée par les éléments. La langue est directe, rugueuse parfois comme la vie à ras de terre saignée avec les mains. Mais empreinte tout du long de poésie. Les arbres sont des "vieillards décavés". Un peuplier figure "un nu aux bas noirs, une allégorie de la douleur". "La brume [laisse] perler quelques flocons emberlificotés dans sa toile" cependant que "le ciel courbaturé de la veille [compte] ses bleus".
Lors d'un récent passage sur un plateau de télévision, sans jamais poser à l'écrivain, hésitant parfois quand tant d'autres déblatèrent d'un trait d'assommantes considérations, André Bucher a évoqué Rick Bass, ses Cinq saisons dans le nord rigoureux de l'Amérique. La parenté est en effet évidente. Dans l'humilité. Dans la tendresse retenue, pudique. Comme avec le vieux berger sauvé de justesse. Mais David se sauvera-t-il lui-même ? Qui rencontrera-t-il au bout de cette nuit peuplée de chimères ?
Allez ! Encore un refrain, pour la route, un refrain de poupée, et retenez vos larmes :
"J'avance, j'avance, me prépare pour le grand jour.
Je fais des claquettes sur une scène blanche.
Des claquettes sur un champ de mines.
Donne donc tout ce que tu as, jusqu'à la fin de ton malheur."
Déneiger le ciel de André Bucher est disponible dans la collection de poche des éditions Sabine Wespieser.

André Bucher, entre terre et ciel est un documentaire de plus de deux heures réalisé par Benoît Pupier et visible sur Internet.

lundi 16 mai 2016

Passeur de poésie dans le Loir-et-Cher

Je serai le lundi 23 mai devant une petite communauté de lecteurs curieux de poésie. Dans le Loir-et-Cher. A Ternay, village  près de Montoire et du château de la Possonnière où naquit un certain Pierre de Ronsard le dix septembre mil cinq cent vingt-quatre.

J'ai choisi de ne pas tenir de discours sur la poésie. Je n'aime pas ça. Les professeurs m'ennuient trop souvent avec leurs mots qui font comme des culs.

Je présenterai brièvement huit auteurs et je lirai leurs textes. Je mouillerai la chemise car je souhaite allumer des étoiles dans les yeux.

Dans l'ordre, ces huit auteurs sont :

Antoine Emaz, Flaques, éditions Centrifuges, 2013
Valérie Rouzeau, Va où, éditions Le temps qu'il fait, 2002
Murièle Modély, Penser maillée, éditions du Cygne, 2012
Thomas Vinau, Bleu de travail, éditions La fosse aux ours, 2015
Jean-Louis Giovannoni, L'immobile est un geste, éditions Unes, 1989
Anise Koltz, Un monde de pierres, éditions Arfuyen, 2015
Salah Al Hamdani, Rebâtir les jours, éditions Bruno Doucey, 2013
Perrine le Querrec, Le plancher, éditions Les doigts dans la prose, 2013

Une liste aux petits oignons, dans l'équilibre des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, ouverte à tous les genres et à la francophonie.

Je renouvellerai cette expérience en 2017, vraisemblablement avec le soutien de la médiathèque de Montoire et, pensant à ma promotion, j'y parlerai aussi de Dans la durée des oiseaux, ensemble de proses poétiques à paraître en juin aux éditions du Cygne.

lundi 2 mai 2016

Maurice Pons, Les saisons

C'est un village de montagne à la frontière. Une tierra desdichada où l'automne de pluies et de boues dure des dizaines de mois, où l'hiver du gel bleu pétrifie le regard en quelques minutes et à tout jamais. On ne cultive ici que la lentille, à main nue car on ignore l'usage des bêtes de somme. Soupes de lentilles, galettes de lentilles, alcool de lentille constituent l'ordinaire des villageois sans horizon ni mémoire.
Un jour, peinant sous un havresac chargé de feuilles de papier filigrané, Siméon demande l'hospitalité à la tenancière de l'auberge. Branlebas de combat. Qui est cet Errant, cet Etranger ? D'où vient-il ? Que veut-il ? Les villageois, qui pratiquent la démocratie directe, se réunissent dans la salle du conseil, sous le portrait moisi de l'amiral. Siméon obtient le droit de rester dans son galetas ouvert à tous les vents auquel il accède par une échelle dégoulinante de purin. Il va pouvoir écrire le roman qu'il porte en lui. Il va pouvoir apaiser ses souffrances, apaiser aussi le souvenir douloureux d'Enina, sa sœur morte torturée dans le désert.
Mais comment résister à l'hostilité de ce lieu sans nom ? L'adjoint du brigadier des douanes, notamment, cherche toutes les occasions pour lui nuire. Et sa constitution fragile ne l'aide en rien. Une blessure au pied tourne à la gangrène. Il va falloir consulter le Croll qui fait office de médecin. Et il y aura d'autres blessures, sans compter celle de l'amour, de la morsure de l'amour...
La quatrième de couverture des Saisons de Maurice Pons, publié par Julliard en 1965 et régulièrement réédité chez Christian Bourgois, évoque une confrérie de lecteurs initiés dans une dévotion égale à celle qui réunit les admirateurs de Malcolm Lowry ou de Julio Cortázar.
Je pense, pour ma part, à Gabriel García Márquez. Le vertige me prend quand j'imagine que Maurice Pons et l'auteur de Cien an͂os de soledad ont pu écrire en même temps leur livre. Comment ne pas être troublé par les scènes de l'œuf aux vers et de l'insoutenable accouchement de la vache ? La découverte de ce que contient le corset de l'énorme aubergiste n'est-elle pas aussi éminemment marquézienne ? Nommons Buendía l'amiral de la salle du conseil et l'illusion sera parfaite d'une communication télépathique d'un bord à l'autre de l'océan...
Entre drame et bouffonnerie, porté par des personnages aussi apocalyptiques que les lieux-mêmes, ce roman inclassable nous suffoque en sa démesure. Servie par une langue tantôt flamboyante tantôt triviale. Au petit jeu des appariements, des visions de La lluvia amarilla de Julio Llamazares me traversent. La pluie jaune sauf qu'ici la laideur est partout. Siméon est aussi repoussant que le Croll. La fillette Louana, nonobstant ses cocasseries, empeste de la bouche autant par son haleine que par ses propos orduriers. La laideur donc, résolument. Comme dans des tableaux de Bruegel l'Ancien où défilent toutes sortes d'estropiés...

Après la lecture de ce chef d'œuvre, je recommande la critique plus approfondie qu'en fait Marc Villemain sur son site (www.marcvillemain.com). Vous verrez ! Les lentilles n'auront plus jamais le même goût. Le riz non plus du reste... Mais chuutt !!! Lisez d'abord.