vendredi 17 février 2017

Paul de Roux sur mon chemin

On voit la pluie qui tombe
doucement dans la rue
entre les mansardes closes*
Le silence est plein de solitude
La lumière aura tout sali avant le soir
On ne comprend pas le froid
Qui monte dans le sang
On se détourne du ciel fermé
Il faudrait échancrer l'horizon
Qui étouffe l'envol des oiseaux
Inventer des traverses des plis où disparaître
Une ombre titube le long d'un mur
Un chagrin peut-être la fera tomber
Un chien s'ébroue et fait trembler
Les remugles des bouches
On restera ligoté quoi qu'on fasse
On manque de mots pour dire ce qui suffoque

*

ce sont elles qui se sont déposées en nous*
On retrouve partout leurs fenêtres
Les lignes entre les lés fleuris
Deux ou trois taches comme des géographies
Qu'on n'a jamais su nommer
On se souvient des rumeurs
Juste avant le sommeil
Le son lointain de la rouille plantée dans la terre
Alors qu'un rire monte l'escalier
Et une main le retient contre les lèvres
Le poème viendra-t-il parmi ce flou
Si les contours du corps sont aussi brouillés
De toute mémoire

*


à la fenêtre sans rideau
un bout de lumière jaune
un vieillard qui s'habille*
On ne devine pas que la marche s'assombrit
On demeure dans les gestes
De l'arbre et de l'oiseau
Le bleu du ciel est à notre portée
Mais un enfant traverse le chemin
On regarde son image bien découpée
Dans les mouvements de l'air qui tremble
Et voilà qu'on imagine
Une autre fenêtre une autre silhouette
On frissonne en pressant le pas

Cet enfant ne vivra pas vieux

*


Tous nous avons connu cela, un grand
arbre isolé à contre-jour, qui prend
sur lui toute l'ombre*
On ne sait jamais la crainte qui nous attire
Vers ses ombrages pleins de rumeurs
On ne partage pas les mêmes solitudes
Sa mémoire peut-être nous appelle
Qui pourrait nous dire

Ce qui nous manquera

*


La rouille a recouvert les vieux clous
et l'humidité gonfle planches et madriers*
La débâcle des restes sur le chemin
Peaux mortes de maisons abandonnées
A la pluie des ornières
Et repli de bêtes blanches
La terre a sous mes pas des bouffissures
Mes enfances font chanceler mes souvenirs
Qu'avais-je donc entrevu
Du déchirement du ciel et des hommes
Un mauvais feu sans doute avait couvé
Derrière la porte des margelles
Un oiseau passe avec son chant

Je me ressaisis dans sa lumière

*

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image lemonde.fr

samedi 11 février 2017

Sylvia Plath sur mon chemin

Il y a ce mur blanc, au-dessus duquel le ciel se crée -
Infini, vert, totalement intouchable.*
On n'a plus sous les pas
La sensation de la terre
Les yeux à tâtons dans la marche
Eprouvent l'épuisement de la langue
On échoue à désigner ce qui manque de nom
L'infini résonne si mal par-delà le mur
Le ciel s'est perdu depuis nos enfances
Comment savoir si ce n'est pas lui sous nos semelles
Comment retrouver sa mémoire

*

Mon paysage est une main sans lignes,
Tous les chemins s'y nouent,
Je suis le nœud serré*
Mon regard comme mes mains
S'épuisent à l'ébauche de l'horizon
Les oiseaux vont trop bas
Sous les plis de la lumière
Les herbes couchées abandonnent leurs signes
Dans les remugles de la terre

Je suis un goitre 

*

La lune a traîné dans la nuit
Son sac sanglant, comme une bête
Malade*
Les jardins aux premiers pas du matin
Des coulées grises suppurent
Aux abords des fondrières
Les bêtes blanches auront pu s'échapper
Le ciel est prisonnier de petits monticules
Où vont des souvenirs de courtilières
La lune lance encore une pâle lueur
Et mes yeux se détournent
Je l'enjambe comme un remords

Son agonie pourrait être la mienne

*

Tu seras bientôt conscient d'une absence
Qui grandira près de toi comme un arbre*
L'absence du père disparu en des sables lointains
L'absence de la mère au ventre trop fiévreux
Fardeau de l'ormeau mort qu'on n'a pu essoucher
Des gestes coupés avant le premier souffle
On y creuse avec des mots sans élan

On attendra la mort pour grandir

*

Jusqu'où s'étendent les arbres noirs
qui s'abreuvent ici ?*
Je ne dépasse pas la menace des frondaisons
Les aiguilles sèches y ont trop de murmures
Les ombres entreraient dans ma bouche
Et planteraient des racines
Mon sang prendrait la couleur des vieilles nuits
Quand mes enfances ne savaient pas
Où déposer les cris battus
Les arbres déjà avaient la couleur de la suie

Partout dans ma mémoireRésultat de recherche d'images pour "sylvia plath"

Image bl.uk

jeudi 9 février 2017

Jean Follain sur mon chemin

Par la fenêtre donnant sur le labour
on voit briller des ustensiles
de cuivre ardent*
Garder le souvenir d'un visage penché
Sur la glaise
Sa bouche fermée aux remugles
Le soc luit sombre dans le sillon retourné
Des courtilières pourraient bondir
A l'assaut des corbeaux tapis
Le soleil de novembre s'effondrerait
Sans qu'on s'en étonne sous le ciel bas
J'ai toujours dix ans
Un froid me fait trembler

*

Des enfants se tenaient par la main
mais le plus grand seul parlait.*
Rester dans la place du silence
Les genoux serrés sur le manque
Le souffle à peine ouvert
Je suis pour toujours le petit
Aux gestes ancrés si mal aux gestes
Des mots passent au large
Avec les oiseaux et les chats
Dans la lumière lente des berges
Ont-ils des lèvres que je saurais saisir

*

L'homme entend
l'horloge à chiffres noirs
près des plis du rideau mouvant*
Je devine son cou penché
Sa main qui cherche un appui
Une solitude prise au dépourvu des heures
L'air même se dérobe à la fenêtre
Une rose blanche pique du nez
Sur la table nue
Je hâte mon pas
Je ne veux pas tomber

*

Alors on revoit les arbres
la plaine
et la route dure*
Des sonnailles tintent
Un troupeau qu'on ramène vers la soif
Et le ciel bas soudain
On a trop vite déplié les souvenirs
Des enfances à souffle court
On se trompe dans les gestes
Qu'on avait pour vivre les énigmes
Des brumes au bord des berges
Les arbres sans oiseaux
N'apportent aucun secours
La route n'en finit jamais
De durer

*

L'herbe a grandi au fossé profond
l'homme en marchant fixe
le nuage étiré*
Il reste beaucoup à traverser de soi
Jusqu'au soir
Beaucoup à apprivoiser des faux silences
L'herbe fait des plis dans la lumière
L'air couvera bientôt les braises du jour
Mon cœur se serre
Mon sang est une poix
Le nuage du sable dans ma bouche












samedi 28 janvier 2017

Utopie aujourd'hui, réalité demain

Texte à crier pour défendre les libertés, les droits de l'homme et la justice sociale considérés comme des utopies par les forces de l'argent. Mise en voix avec choeur et percussions.Chacun pourra augmenter ou réduire à sa façon ce texte que j'offre à qui en voudra.


- Décret du 27 avril 1848 instituant l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

- Loi du 28 mars 1882 instituant la scolarité primaire obligatoire et gratuite jusqu'à l'âge de treize ans. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

- Loi du 13 juillet 1906 instituant le dimanche comme jour férié. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

- Loi du 23 avril 1919 instituant la journée de travail de huit heures. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

- Loi du 31 mai 1933 instituant la gratuité de l'enseignement secondaire public. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

- Loi du 11 juin 1936 instituant deux semaines de congés payés. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

- Ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 instituant la Sécurité sociale. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

- Loi du 16 mai 1969 instituant la quatrième semaine de congés payés. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

- Loi du 1er décembre 1988 instituant le Revenu Minimum d'Insertion. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

- Loi du 13 juin 1998 instituant la réduction du temps de travail à 35 heures par semaine. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

- 2017, l'homme politique Benoît Hamon milite pour un revenu universel de base. Le patronat hurle à l'utopie et au déclin de la France.

Ces utopies sont devenues des réalités. Dans une vingtaine d'années, le revenu universel de base deviendra une réalité. 

L'utopie est une force contre les forces de l'argent.
L'utopie est une force pour les droits humains.

Jésus-Christ est mort assassiné pour ses utopies
Thomas More est mort assassiné pour ses utopies
Jean Jaurès est mort assassiné pour ses utopies
Federico Garcia Lorca est mort assassiné pour ses utopies
Jean Zay est mort assassiné pour ses utopies
Parouir Sevak est mort assassiné pour ses utopies
Martin Luther King est mort assassiné pour ses utopies
Salvador Allende est mort assassiné pour ses utopies
Pablo Neruda est mort assassiné pour ses utopies

Les forces de l'argent assassinent des religieux, des hommes politiques, des journalistes, des écrivains, des chefs d'Etat, des militants des droits de l'homme, des militants de l'écologie, des photographes de presse, des poètes, des avocats, des médecins, des lanceurs d'alerte, des informaticiens, des scientifiques, des caricaturistes, des pamphlétaires, des enseignants, des citoyens, des hommes et encore des hommes, des femmes et encore des femmes, des enfants et des adolescents, des pays tout entiers, des continents avec leur faune et leur flore, des océans avec leur faune et leur flore.

Les banques internationales assassinent.
Les groupes pétroliers assassinent.
Les laboratoires pharmaceutiques assassinent.
Les investisseurs de l'immobilier assassinent.
Les producteurs de pesticides assassinent.
Les fabricants de béton assassinent.
Les marchands de canons assassinent. 
Les exploitants des forêts assassinent.
Les industriels du textile assassinent.
Les industriels de l'agroalimentaire assassinent.

Pour l'argent l'argent l'argent l'argent
encore encore encore encore
toujours toujours toujours toujours
davantage davantage davantage davantage

Des citoyens soumis aux idéologies de droite dénoncent comme utopiques les libertés, les droits de l'homme et la justice sociale et demeurent silencieux devant la puissance des assassins.
Des citoyens soumis aux idéologies de gauche dénoncent comme utopiques les libertés, les droits de l'homme et la justice sociale et demeurent silencieux devant la puissance des assassins.

Parce que les utopies, au fil des luttes sociales, deviennent des réalités pour le plus grand bien commun.
Parce que les utopies sont "le rivage auquel l'humanité sans cesse aborde*".

* Oscar Wilde

Hervé Le Corre, Prendre les loups pour des chiens

Aucun doute là-dessus, Prendre les loups pour des chiens d'Hervé Le Corre est bien un roman noir. Très noir. Tous les ingrédients du genre y sont. La violence de l'argent. La violence du sexe. La violence des regards et des silences. Les trafics de came et de bagnoles. Les règlements de compte au fusil ou à la batte de baseball entre bandes rivales. Les souvenirs de la prison qui collent au coeur et à la peau. La déglingue à petits feux. Cette banalité-là, tellement réelle dans les banlieues balafrées de Bordeaux comme dans les masures de la lande girondine où le paysage écrasé de chaleur vous saute à la gorge avec ses menaces de serpents. 
L'histoire est menée au pas de charge par Hervé Le Corre, implacable dans ses engrenages à broyer tout espoir de ciel bleu. Le coup de théâtre final démontre une incontestable maîtrise mais le talent de l'auteur s'exprime davantage encore dans l'écriture souvent poétique et la saisie des personnages.
Frank d'abord, pas un tendre évidemment, mais effrayé par sa propre violence quand il serre de trop près un nourrisson impossible à calmer. Un rêveur aussi, d'une petite vie tranquille, loin des méchancetés ordinaires, des veuleries, des coups bas. Pour les forcenés de son milieu comme le Gitan et le Serbe, capables de défigurer un mec et de lui crever les yeux, une fiotte.
Rachel ensuite, souvent vêtue d'une robe rouge, quasi anorexique et quasi mutique. Ecrasée par une mère qui tantôt l'étouffe de baisers tantôt la tabasse. De quoi souffre vraiment cette petite fille ? Qu'a-t-elle vu et qu'il faut taire ? Absolument taire. Qu'a-t-elle enduré dans son corps et dans son âme au point de faire la morte au fond d'une piscine ? 
Frank, qui se souvient de son enfance avec son frère Fabien, s'attache à cette môme inquiétante. L'apprivoise pas à pas. Veut la protéger de ce qui la hante. Car les nuages s'amoncellent sur la masure de la lande girondine. Le paysage devient crépusculaire, hostile, surtout quand surgit des frondaisons le chien de la famille. Un chien ou un loup ? Un monstre assurément et Frank a peur pour Rachel.Résultat de recherche d'images pour "prendre les loups pour des chiens hervé le corre"
Bientôt, mais quand exactement ? l'orage va éclater et ce sera terrible. Le lecteur le devine. Le lecteur tremble. Qu'au moins la gosse échappe au grand massacre ! Tous les autres peuvent bien crever la gueule ouverte mais pas elle, non, pas elle...

Prendre les loups pour des chiens d'Hervé Le Corre, titre évocateur d'un poème d'Aragon, est publié aux éditions Rivages.

image webmarchand.com


lundi 23 janvier 2017

Pensée positive ? Mon cul !

L'enseigne de la grande distribution Carrefour y est sans doute pour quelque chose : il faut positiver !
Depuis une vingtaine d'années, au fur et à mesure que la modernité ravale l'humain au niveau d'un déchet, (pape François dixit), la pseudo science de la psychologie positive le débite en tranches comme du saucisson :
- pensée positive
- mémoire positive
- émotion positive
- énergie positive
- attitude positive (transformée en positiv' attitioude par Jean-Pierre Raffarin en 2004)

Avec ce corollaire à la mortadelle sur les réseaux sociaux : " Si tu veux être triste vis dans le passé, si tu veux être inquiet vis dans le futur, si tu veux être en paix vis dans le présent."Résultat de recherche d'images pour "rosette de lyon"

Comment ne pas succomber à une ire légitime devant ces sottises, relayées notamment par l'intellectuel de la charcuterie Christophe André ? Comment ne pas voir qu'il s'agit là d'une nouvelle croyance pour duper les ignorants, savamment mitonnée par les hérauts du libéralisme décomplexé ? Afin de mieux les soumettre. Encore et toujours davantage.

Je pense à tous ces sociologues, ces philosophes, ces anthropologues, ces économistes qui s'efforcent, avec l'humilité du vrai savant, d'énoncer et d'élucider le réel. 

Je pense aux enseignants, aux éducateurs, aux médecins, aux animateurs engagés sur le terrain du quotidien là où il saigne et qui refusent, comme les chercheurs, le simplisme et le réductionnisme de la pensée binaire.

Je pense à la consternation qui les mine, au découragement qui les menace.

Comment résister aux forces qui organisent l'ignorance en découpant en morceaux les perceptions de l'humain et du temps ? Quels arguments simples mais pas simplistes leur opposer, sujet après sujet, pour ensuite les rassembler dans la globalité du réel ?

Prenons l'exemple d'un verre aperçu sur une table. Si je suis pessimiste (donc soit-disant négatif), je vois le verre à moitié vide. Si je suis optimiste (donc soit-disant positif), je vois le verre à moitié plein. Voilà une assertion qui ne résiste pas à l'examen. Un verre à moitié vide est dans le même temps de la perception un verre à moitié plein. Qu'un sujet, mis à l'épreuve de ses émotions, de ses sentiments, mobilise sa volonté pour voir le plein plutôt que le vide, tant mieux. Joyeux, il saura savourer une rosette de Lyon en complétant son verre à moitié plein avec du Chambertin. Est-il pour autant optimiste et donc positif ? Bien sûr que non ! Il est seulement, à ce moment précis, un sujet qui désire déguster une rosette de Lyon copieusement arrosée de Chambertin, tout en sachant que c'est mauvais pour la santé. La pensée positive se transforme en pensée négative. Et l'optimisme cache mal le pessimisme de l'individu condamné par ses excès de bouche.Résultat de recherche d'images pour "chambertin grand cru"

Autrement dit, séparer le bon grain de la pensée dite positive de l'ivraie de la pensée dite négative est une escroquerie intellectuelle. Et il en va de même pour le temps en supposant qu'il existe. Le passé et le futur ne sont pas des caissons étanches. Quant au présent, oups, il a déjà filé...

Alors oui. Pensée positive ? Mon cul !

Et vive le saucisson !

Image 1, rosette de Lyon. espritrestauration.fr
Image 2, Chambertin. wine-searcher.com