lundi 22 juillet 2013

Petit conte pour l'été, 2

Le cocktail cellulaire me fait du bien. Mon corps se délie au mieux dans la marche et j'ai le moral au beau fixe. La moitié des cent mille nano implants sont dévolus au check up du cerveau. Les neurotransmetteurs revivifiés préviennent ainsi les moindres chutes de régime. Les maladies mentales, comme les autres, ont disparu. Les hôpitaux ont été transformés en centres de loisirs thématiques et le public est nombreux à s'y rendre.

Je m'enfonce dans ce qu'on appelait jadis le vieux Bordeaux. Je croise des militants du parti des Béatitudes qui vont bras dessus bras dessous en chantant. Des gens à leur fenêtre leur adressent des signes amicaux. Je souris. J'esquisse moi aussi un signe. Mais voilà que ma jambe droite glisse sur le pavé. j'étouffe un cri dans ma main. Un militant aussitôt accourt, me demande si je ne suis pas blessé. Je lui assure que non. Je suppose qu'un capteur du pavage rétractile de la rue est défectueux. Je souris encore. Le militant appelle un robot réparateur.

Des adolescents jouent avec leurs holocats autour de la fontaine Steve Jobs. Un concerts de miaulements se mêle aux piailleries juvéniles. Le pelage des animaux scintille sous le soleil. La mode des holocats durera-t-elle autant que celle des holodogs ? Alors que des holobirds sont annoncés pour l'an prochain ? Qu'importe ! En 2116, l'adolescence est un âge heureux, comme tous les âges de l'existence humaine, et c'est ainsi que le monde exulte.

La réalité radieuse, si bien organisée soit-elle par les programmateurs de la Weather&Health, montre depuis quelque temps de menus signes de faiblesse. Un homme, qui proférait des paroles aussi crépusculaires que décousues, a été arrêté sur la Cinquième avenue à New York. Trois cas de suicide ont été identifiés à Berlin et, à Paris, une jeune femme est morte en pleine rue. Le World Report a consacré une dizaine de secondes à chacun de ces faits divers. L'Indice de Bonheur Universel a chuté de cinq centièmes. Cela ne s'était jamais vu.

Je continue ma promenade dans les entrailles de l'ancienne ville. Onze heures sonnent au clocher de l'église Saint-Pierre. Les robots architectes qui en ont construit la réplique n'ont négligé aucun détail. Un graffiti amoureux des années 1960 a même été conservé. L'amour, ce tourment obsolète qui enténébrait les coeurs, voire les poussait au crime, ne cède plus de nos jours au dérèglement des sens. Le poison de la jalousie reste sous le contrôle des cocktails cellulaires et personne ne s'en plaint.


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