Juillet
2116. Dix heures du matin. Le soleil brille dans le ciel bleu. Depuis
une vingtaine d'années, le soleil brille tous les jours partout sur
la terre. L'humanité, enfin, a réussi à maîtriser le temps qu'il
fait. Les ordinateurs de la Weather&Health exécutent leur
partition météorologique sans fausse note. Le calibrage des pluies
et des vents, l'équilibre entre le froid et le chaud, la mesure des
bleus célestes piquetés de blanc maintiennent au plus haut le
bonheur des populations.
Un
indice de bonheur élevé est le garant de la bonne marche des
affaires du monde, dans les chambres à coucher comme dans les
chambres de commerce. Les militants du parti des Béatitudes, sourire
jusqu'au bout des doigts qui grattent l'oud et le sitar, plus
sautillants que des cabris sur un semis de pervenches, répandent du
matin au soir leurs promesses d'un ici-bas meilleur.
Bercé
par la brise des ionisateurs suspendus dans les palmiers, j'arpente,
légèrement rêveur, la plage de Bordeaux. Je lève les yeux
vers le fil de l'horizon. Je pense au temps lointain où la ville
n'était pas côtière, au paysage qu'il fallait traverser pour aller
se baigner dans l'océan. Je retiens un soupir. Les robots nettoyeurs
qui purifient le sable avant la ruée des touristes pourraient
l'entendre.
Je
bois le dernier cocktail cellulaire à la mode. J'ai choisi le plus
fort, celui dosé à cent mille nano implants avec sélection
aléatoire du goût. Des saveurs de pêche et de goyave succèdent à
des délices de poire et de kiwi. Mes papilles se dilatent comme des
spores. Une douce fraîcheur m'envahit. Sur la rambla, les voitures
et le tramway aérien tintinnabulent. Leur musique n'est jamais la
même. Les ordinateurs de la Weather&Health sont aussi des
artistes.
Vous
vous souvenez, mademoiselle, du temps où il y avait des
embouteillages ? La serveuse m'offre son plus parfait sourire et
continue de vaquer entre les tables de la terrasse. Non, bien sûr,
vous êtes trop jeune. Vous n'avez pas connu le monde ancien. Nous ne
sommes plus très nombreux à l'avoir connu. Je finis mon verre sans
avoir obtenu de réponse. Parler d'autrefois ne fait pas partie des
conversations courantes. C'est même déconseillé.
Les
adeptes des bains de mer matinaux font sagement la queue devant le
portique qui délivre l'accès à la plage. Dès qu'une lumière
rouge clignote, un robot soigneur s'approche. Un examen
complémentaire est nécessaire. La température de l'eau est certes
garantie à vingt-cinq degrés jusqu'à cent mètres du rivage mais
la technologie du chauffage marin n'est pas encore totalement sûre.
Il y a eu un accident l'an dernier. Il ne faudrait pas qu'il y en ait
un autre.
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