A
Saint-Pétersbourg, le tram est rouge et blanc. Plus anguleux qu'un
parallélépipède. on pourrait le poser
comme serre-livres dans une bibliothèque et il serait du voyage avec
les mots. Sur l'île de Vasilivskiy Ostrov, bien que le terrain soit
plat, il ressemble à une espèce de funiculaire
fantomatique. Les rues sont si larges, si peu encombrées que sa
disparition passerait inaperçue.
La vie, ici, en ce moment, ne se montre
pas. La vidéo que je regarde, son coupé, a peut-être été
prise un dimanche vers midi, sous le soleil. Je devine quelques
promeneurs en polo et lunettes noires. Je distingue un jeune couple avec
une poussette. Un bus entièrement bleu mais vide m'étonne.
Où sommes-nous vraiment ? Quelle est la destination du tram ? Si
j'ignore les rares enseignes en cyrillique sur lesquelles le film
s'attarde à dessein, je peux me croire dans tel ou tel tronçon
de la rue Achard. Mêmes immeubles austères des années mille neuf
cent trente. Mêmes portes d'entrée lépreuses. Mêmes ombres rachitiques
embusquées dans les embrasures.
Un arrêt sur image bien
choisi et l'illusion serait presque parfaite. Il suffirait d'en
décalquer les contours et de les transposer n'importe où, n'importe
quand. Le but ne serait pas de démontrer je ne sais quelle
théorie générale mais de découvrir une découpe identique du paysage,
de préférence aux antipodes, pour éprouver l'ivresse de
l'incompréhension. Un original persévérant, ayant beaucoup de temps à
tuer, pourrait s'y essayer. Il n'aurait même pas à se déplacer. Avec
un ordinateur et une organisation méthodique, l'aventure est viable.
Internet fourmille de vidéos qui montrent toutes sortes
d'espaces dans toutes sortes de lieux habités ou non. Tout original
que soit notre quidam, il se satisferait des relevés les plus
approchants, qu'ils aurait notés avec une précision quasi
atomique sur du papier millimétré. Après les ultimes vérifications
d'usage, il se rendrait sur place. Une vingtaine d'heures d'avion
pendant lesquelles ses pensées, de conjecture en conjecture,
finiraient par s'égarer. Un autre bus entièrement bleu traverse la
vidéo. Un homme qui porte un sac attaché à sa ceinture court sur un
trottoir. Puis il revient sur ses pas, s'éponge le front
d'un revers de main. Est-il de Saint-Pétersbourg ? Est-ce plutôt un
touriste perdu ?
J'arrête le défilement de l'image et je l'agrandis. Cet
homme a des cheveux gris au niveau des tempes. De
chaque côté de son nez, une ride dessine un accent sur sa peau. Je
reste quelques minutes à observer ce visage que l'âge commence à
défaire. J'éteins brusquement l'ordinateur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire